République Dominicaine
Fiche publiée en 2014
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Contexte
Devenue l’une des principales destinations touristiques des Caraïbes ces dernières années, la République dominicaine voit se creuser les inégalités sociales. Aux deux bouts de l’échelle, on trouve les riches propriétaires de complexes hôteliers ou d’exploitations agricoles et les quelque 900 000 à 1,2 million d’immigrés sans-papiers. En parallèle, le taux de criminalité a nettement augmenté. Sous prétexte de lutter contre la délinquance, la police intervient de manière extrêmement brutale et arbitraire. Parmi les principales atteintes aux droits de l’homme commises dans le pays, la société civile dénonce la persistance de la traite des personnes, du travail forcé – notamment de certains braceros (coupeurs de canne) –, des discriminations et des violences pour des motifs fondés sur le genre, la couleur de peau ou l’orientation sexuelle et des agressions à l’encontre des défenseurs des droits de l’homme. Au cours de sa première année de mandat, le président Danilo Medina n’a pas endigué l’impunité et la corruption des politiciens et des agents de l’État, pratiques déjà très reprochées à son prédécesseur Leonel Fernández (2004-2012), issu aussi du Parti de libération dominicaine (PLD) de centre-droit. Depuis 2012, les ONG s’inquiètent d’un projet de réforme qui entraînerait des sanctions allant jusqu’à trois ans de prison en cas de critiques contre des élus et des fonctionnaires.
Pratiques de la torture
Les autorités nient la fréquence du recours à la torture et évoquent des cas très isolés. Bien qu’il n’existe pas de données sur le nombre de victimes, il apparaît pourtant que les policiers, principalement, font un usage excessif, systématique et hautement discriminatoire de la force.
Victimes
La police opère des coups de filet dans les zones urbaines pauvres aux indices de délinquance élevés, comme Capotillo, Gualey, Guachupita, Tres Brazos et Cristo Rey à Saint-Domingue ou San José de la Mina à Santiago. Là-bas, les hommes, mineurs et jeunes adultes, tous assimilés à des criminels responsables de trafics ou d’enlèvements crapuleux et à des membres de naciones (bandes), font l’objet d’arrestations arbitraires et de brutalités. Le 28 septembre 2010, des policiers ont fait irruption dans un motel de Cristo Rey où se trouvaient Junior Tontón Santiago et Samuel Sánchez Monte de Oca. Ils ont tiré sur le premier et torturé le second dans leur fourgon tandis qu’ils parcouraient le quartier afin de lui arracher des informations sur des planques d’armes et sur l’assassinat d’un médecin.
De nombreux habitants de ces quartiers sont également susceptibles de subir la violence d’État dans le cadre d’expulsions forcées servant des projets touristiques ou industriels. La plupart du temps, le gouvernement justifie ces évictions par l’absence de titre de propriété ou d’autorisation d’occupation, ce qui concerne la moitié des Dominicains et 75 % des personnes établies dans la province de Saint-Domingue. Le 15 octobre 2011, 300 policiers et militaires ont fait sortir les résidents des 72 maisons de Brisas del Este, un quartier de la capitale, ont confisqué tous leurs biens et ont rasé leurs logements. Plus de 20 personnes ont dû être hospitalisées, à la suite de tirs de chevrotine notamment, et beaucoup d’autres, dont des femmes enceintes et des enfants, ont souffert de l’inhalation de gaz lacrymogènes.
Les personnes privées de liberté vivent dans des conditions de détention exécrables et sont régulièrement victimes de mauvais traitements. En octobre 2012, le pays comptait 23 000 détenus pour une capacité d’accueil de 11 505 places. Dans les 22 prisons les plus anciennes, de nombreux rapports font état d’une surpopulation extrême, du manque d’hygiène, d’une absence de séparation entre prévenus (65 %) et condamnés et de brutalités entre détenus dans l’indifférence des gardiens. Dans ces établissements, comme dans les 13 Centres de correction et réhabilitation (CCR), plus récents et censés mieux assurer la réinsertion sociale, les surveillants harcèlent les détenus, les violentent, leur extorquent de l’argent s’ils veulent accéder aux activités de formation, aux visites, aux audiences ou à une libération anticipée. En mars 2013, la presse nationale s’est fait l’écho d’allégations de tortures d’occupants du CCR de la ville de Moca par les gardiens et le sous-directeur, en particulier de refus de soin à des détenus malades ou âgés.
Les manifestants subissent un recours excessif et injustifié à la force de la part des autorités. En 2011 et 2012, des étudiants de l’université autonome de Saint Domingue qui protestaient contre des lois budgétaires et de réforme fiscale ont été durement réprimés : l’un d’entre eux, Willy Warden Florián Ramírez, est mort, une autre, Claudia Espíritu, a reçu une balle dans le pied, et plusieurs autres ont été blessés, par les grenades lacrymogènes notamment.
Les personnes LGBTI, discriminées de manière générale, font face à des arrestations arbitraires, à des sévices sexuels, des tortures voire des homicides.
Les journalistes et les défenseurs des droits de l’homme, qui dénoncent ces exactions, et leurs proches sont la cible d’attaques opérées ou tolérées par les forces de l’ordre. Selon le Syndicat national des journalistes, 70 d’entre eux auraient été agressés au cours des dix premiers mois de 2012. Juan Almonte Herrera, membre de l’ONG Comité dominicain des droits de l’homme, a été vu pour la dernière fois le 28 septembre 2009, avec des policiers qui procédaient à son arrestation près de son lieu de travail. Les membres de sa famille et leurs avocats, qui demandent des comptes sur sa disparition, font l’objet de surveillances, de filatures et d’appels anonymes. Ils n’ont reçu aucune protection en dépit des recommandations de la Commission interaméricaine des droits de l’homme (CIDH).
Dans toutes ces situations, les immigrés haïtiens et les Dominicains d’origine haïtienne, en butte au racisme généralisé, constituent une catégorie de population plus vulnérable encore. L’accès aux papiers d’identité leur est pratiquement impossible et, depuis une loi de 2007 renforcée par un arrêt rendu par la Cour constitutionnelle le 23 septembre 2013, des Dominicains d’ascendance haïtienne deviennent apatrides. Beaucoup se font arrêter de façon arbitraire et brutale puis expulser sans avoir pu prouver qu’ils étaient des résidents légaux, ni récupérer leurs biens ou exposer leurs craintes d’être soumis à la torture et aux mauvais traitements en Haïti. En 2012, des ONG locales ont dénoncé les conditions de rétention dans le centre Bono où 50 hommes étaient entassés dans une cellule prévue pour six personnes, sans chaises, sans lits, sans lumière et avec une seule salle d’eau. Elles ont également relevé des cas où les forces de l’ordre et les services d’immigration avaient déchiré des titres de séjour et des papiers d’identité pour pouvoir effectuer les expulsions.
Tortionnaires et lieux de torture
La plupart du temps, les tortures commencent dès l’arrestation et se poursuivent dans les véhicules, dans les commissariats au cours des interrogatoires et en prison.
Les 30 000 agents de la police nationale sont les premiers mis en cause dans des affaires d’exécutions extrajudiciaires, de tortures, de mauvais traitements et de disparitions forcées*. L’Unité motorisée (LINCE), destinée à intervenir rapidement en cas de contexte sécuritaire instable, et l’Unité d’armes et de tactiques spéciales (SWAT), affectée aux enlèvements et aux troubles, sont celles qui commettent le plus ce type d’exactions. Ces pratiques sont dues à plusieurs facteurs. L’article 29 de la Loi institutionnelle de la police nationale ne régule que l’usage des armes à feu, non celui de la force en général, et demeure suffisamment imprécis pour qu’a posteriori les policiers invoquent des « échanges de tirs » ou « tentatives de fuite » sans être inquiétés. La République dominicaine est en tête des pays d’Amérique latine et des Caraïbes en ce qui concerne le nombre de civils morts à cause de la police. Selon le bureau du Procureur général, 15 % des homicides recensés sont encore attribuables aux policiers même si le phénomène décroît un peu ces dernières années (194 morts en 2012 contre 233 en 2011). Les conditions d’arrestation et de détention ne sont pratiquement pas contrôlées. Les agents opèrent fréquemment sans autorisation légale ni mandat d’arrêt, dépassent les délais légaux de quarante-huit heures de garde à vue et mènent les interrogatoires en l’absence de procureurs. Du fait de leur très faible rémunération, nombre de policiers voient dans les interpellations la possibilité d’extorquer de l’argent à leurs victimes. Il n’est pas rare non plus qu’ils utilisent leur uniforme et leurs armes pour travailler en tant que gardiens de sécurité privés, une situation qui entraîne une grande confusion et facilite les abus.
Les procureurs se rendent régulièrement complices de ces tortures policières. Hipólito Caba Tineo, arrêté et torturé en octobre 2010 dans une affaire d’enlèvement, a rapporté : « Quand ils m’ont conduit devant la procureure et que je lui ai montré mes bras, elle m’a dit ‘c’est ce qu’on est obligé de vous faire pour que vous parliez’ ».
Les militaires qui assistent les membres de la police sur certaines opérations, comme les expulsions forcées, et procèdent à des contrôles routiers à la frontière, recourent régulièrement à la torture et aux mauvais traitements (coups, viols) pour obtenir des bakchichs. Le 9 avril 2012, des Haïtiens entrés illégalement sur le territoire ont été interceptés par des soldats près de la ville de Las Matas de Farfán, dans la province de San Juan. Pris de panique, ils ont tenté de s’enfuir, mais deux d’entre eux ont été rattrapés et frappés à la machette. Le premier a eu la main sectionnée, le second le dos lacéré.
Les surveillants pénitentiaires, que ce soient les policiers et militaires dans les prisons anciennes dites « traditionnelles » ou les civils employés dans les CCR, se rendent également coupables de tortures et mauvais traitements.
Méthodes et objectifs
Parmi les principales techniques de torture, on recense les coups (de poings, de pieds, de bâtons), le frottement d’oignons sur les yeux, le « sous-marin sec » (recouvrement de la tête avec un sac en plastique), le maintien dans des positions douloureuses (à genoux ou suspendu avec interdiction de poser les pieds), les violences sexuelles ainsi que les privations d’eau, de nourriture et d’accès aux toilettes. Ces méthodes sont utilisées pour obtenir des informations ou des aveux, punir ou extorquer de l’argent. Le 12 mars 2012, des policiers ont arrêté un jeune couple à Saint-Domingue. Ils ont exigé de l’homme qu’il aille leur chercher de l’argent. Ils ont alors abusé sexuellement de sa compagne.
Législation et pratiques judiciaires
Condamnation juridique de la torture
Les principaux textes nationaux interdisent clairement le recours à la torture. L’article 42.1 de la Constitution dispose qu’« aucune personne ne peut être soumise à des peines, des tortures et des mesures vexatoires qui impliquent la perte ou la diminution de sa santé ou de son intégrité physique et psychique ». Le Code pénal, en son article 303, donne une définition de la torture qui tient compte des divers objectifs poursuivis, qu’ils entraînent ou non des souffrances physiques ou psychiques. Néanmoins, le texte n’évoque pas la responsabilité des agents de la fonction publique ou des personnes agissant sous leur commandement ou avec leur consentement. La peine encourue pour les actes de torture est de cinq à dix ans d’emprisonnement. Elle peut aller jusqu’à trente ans s’il existe des facteurs aggravants : la victime est mineure, handicapée, a subi un viol ou l’auteur est un fonctionnaire ou le conjoint. Les articles 10, 107 et 276 du Code de procédure pénale prohibent la torture et les traitements cruels, inhumains et dégradants. Selon les articles 166 et 167, les preuves obtenues illégalement ne sont pas recevables par les tribunaux. L’article 27 de la Loi institutionnelle de la police nationale prévoit qu’aucun membre de la police ne pourra « infliger, inciter ou tolérer des actes de torture » ni « invoquer l’ordre d’un supérieur ou des circonstances exceptionnelles ».
La République dominicaine a ratifié la Convention interaméricaine pour la prévention et la répression de la torture en 1986. En revanche, la Convention des Nations unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants n’est entrée en vigueur qu’en février 2012.
Poursuite des auteurs de torture
Le pays présente une longue histoire d’impunité. Les auteurs d’arrestations arbitraires, de tortures, d’exécutions et de disparitions forcées* (environ 50 000 victimes, dont 17 000 Haïtiens) sous la dictature de Rafael Leónidas Trujillo Molina (1930-1961) n’ont jamais été traduits en justice. Visiblement, aucun responsable de tortures et mauvais traitements n’a été condamné non plus au cours des dernières années. Il n’existe pas d’informations concernant le nombre d’agents de l’État faisant l’objet d’enquêtes, d’inculpations ou de jugements pour ces crimes. Sur les 79 cas d’homicides policiers connus entre septembre 2008 et juillet 2010, 24 ont entraîné 13 décisions de justice, dont 8 condamnations. Les 55 affaires restantes n’ont vraisemblablement pas donné lieu à une enquête. La majorité des victimes n’ose pas se manifester ou porter plainte, soit par méconnaissance de ses droits, soit, le plus souvent, parce qu’elle craint des représailles et ne fait pas confiance au système d’investigation et de justice.
Les autorités sont défaillantes à mener des enquêtes rapides, impartiales et exhaustives. D’après la loi, elles doivent intervenir dès qu’elles ont connaissance d’allégations de tortures. Dans les faits, la probabilité qu’elles le fassent sans dépôt de plainte est quasi nulle. Ensuite, l’attention accordée aux affaires dépend du degré de médiatisation et de pression politique. Le Ministère public est chargé de diriger l’enquête. Mais, selon l’article 171 de la Constitution, le président désigne le Procureur général de la République et la moitié de ses procureurs adjoints. Cela accroît le risque d’influences partisanes. D’après le Code de procédure pénale, la police assiste le Ministère public dans les investigations. Dans la pratique cependant, les rôles sont souvent inversés. Les policiers donnent leurs conclusions, y compris sur des faits qui les mettent en cause, que les procureurs se bornent à valider. Quand, lors des audiences, les inculpés portent des signes flagrants de tortures, les juges ne requièrent pratiquement jamais d’enquête et se limitent à éviter la détention préventive. Par ailleurs, ils accordent régulièrement une valeur probatoire aux preuves obtenues sous la contrainte. Les personnes qui allèguent avoir été victimes de tortures et déposent plainte peinent à bénéficier des services d’un avocat. La plupart d’entre elles doivent recourir à des avocats commis d’office faute de moyens, or ces derniers sont en nombre insuffisant et manquent de ressources. En l’absence d’un programme de protection, les témoins renoncent souvent à se présenter au procès par peur de mesures de rétorsion.
Certaines réformes récentes constituent des avancées potentielles mais demandent à être développées et plus contrôlées. En 2001, une loi a créé la fonction de Défenseur du peuple pour mieux faire respecter les droits de l’homme et produire des rapports réguliers. Néanmoins, douze ans plus tard, le poste reste toujours à pourvoir. Depuis 2004, il n’y a plus de tribunaux policiers et militaires et les affaires de violations des droits de l’homme relèvent exclusivement de la juridiction ordinaire. Il semble néanmoins que de nombreux cas échappent à la justice pour faire l’objet de seules sanctions disciplinaires. Un Institut national de sciences légales (INACIF), chargé des expertises médicolégales, scientifiques et techniques dans le cadre des procédures judiciaires, a été créé en 2005 mais il manque encore des moyens et attributions claires qui lui donneraient l’indépendance suffisante vis-à-vis de la Sous-direction centrale de la police scientifique notamment. L’Unité centrale des affaires internes de la police nationale a proposé des formations aux droits de l’homme et destitué – mais en partie réintégré – des agents corrompus (12 000 entre 2007 et 2010). Toutes les réformes envisagées pour remédier aux violations des droits de l’homme par les policiers sont retoquées sous la pression exercée par les hauts gradés sur le Parlement et le gouvernement. C’est ainsi qu’en 2011, la proposition de loi organique du Ministère public, qui aurait amélioré les capacités d’enquête, a été vidée de son contenu. Le 26 novembre 2012, le président Danilo Medina a créé une commission destinée à proposer des mesures pour remanier la police en profondeur (recrutement, conditions de travail, promotion, contrôles) dans le cadre d’un plan national relatif à la sécurité publique. En mars 2013, la CIDH a rappelé aux autorités dominicaines leur obligation de consulter la société civile sur ce processus. À la parution de ce rapport, elles n’avaient pas encore tenu compte de ces recommandations.