Mexique
Fiche publiée en 2015
Télécharger la fiche en français
Download the factsheet in English
Mise à jour 2021 : pour aller plus loin, retrouvez l'éclairage pays consacré à la réhabilitation des victimes de torture au Mexique, publié dans la 6ème édition de notre rapport Un monde tortionnaire.
Contexte
Les violations des droits de l’homme ont considérablement augmenté depuis fin 2006, quand Felipe Calderón a déclaré la guerre au crime organisé et au narcotrafic. Plusieurs dizaines de milliers de membres de l’armée et de la marine ont été déployés dans les rues aux côtés de la police fédérale. Dans les 31 États fédérés et le district fédéral de México (ci-après les États), la population civile a payé un lourd tribut à cette stratégie militaire, tandis que la violence des bandes criminelles s’est maintenue. En décembre 2012, à la fin du mandat présidentiel, le bilan était d’au moins 60 000 morts, 26 000 disparus, 250 000 déplacés internes et des milliers de personnes détenues arbitrairement et torturées.
En dépit d’une légère diminution du nombre de militaires dans certains États, le nouveau président, Enrique Peña Nieto n’a pas rompu avec cette politique. Le contexte violent demeure (22 732 assassinats en 2013). Les violations massives des droits de l’homme se poursuivent sans mesures réelles pour sanctionner et réformer en profondeur les comportements répréhensibles des forces de sécurité et des opérateurs de justice en cause.
Pratiques de la torture
En avril 2014, Juan E. Méndez, Rapporteur spécial de l’ONU sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, a conclu au recours « généralisé » à ces pratiques au Mexique. Début décembre 2014, le président de la Cour suprême nationale de justice (SCJN) a reconnu que la torture demeurait « très utilisée » au Mexique. Pourtant, d’une manière générale, les autorités exécutives, législatives, judiciaires et les corps de sécurité nient le problème et sont en mesure de la dissimuler grâce à l’absence d’un système efficace d’enregistrement des cas de torture présumés.
Certains chiffres rendus publics permettent néanmoins d’établir la recrudescence de la pratique tortionnaire. La Commission nationale des droits de l’homme (CNDH) a enregistré une augmentation des plaintes au niveau fédéral de l’ordre de 600 % entre 2003 et 2013, dont 7 164 dénonciations les quatre dernières années. Ces chiffres ne prennent pas en compte les cas, plus nombreux et moins bien recensés encore, au niveau des États, ni ceux non répertoriés parmi les personnes enlevées, disparues (pratiquement 5 000 au cours dix premiers mois de 2014) ou exécutées. Enfin, une minorité de victimes ose porter plainte par peur de représailles ou manque de confiance dans les institutions.
Victimes
Toute personne arrêtée et détenue, quelle que soit l’infraction supposée, court le risque d’être soumise à des tortures ou mauvais traitements. Cependant, les personnes suspectées d’appartenir au crime organisé ou, plus généralement, d’avoir commis un crime « grave » sont les plus vulnérables. Le plus souvent, il s’agit de personnes aux faibles ressources économiques et socialement marginalisées ou discriminées. Elles constituent des coupables faciles à fabriquer et à faire avouer dans un système où la communication sur la rapidité et le taux élevé de résolution des affaires prime sur la preuve scientifique des faits.
La majorité des victimes sont des jeunes hommes, parfois mineurs, de quartiers pauvres, stigmatisés en tant que délinquants. Le 28 juillet 2013, Juan Gerardo Sánchez, 19 ans, et sept hommes âgés de 17 à 34 ans, tous issus du quartier pauvre San Martín à Malinalco, ont été arrêtés par des policiers de l’État de México. Ils dénoncent des tortures qu’ils ont subies au cours d’une détention au secret de 30 heures visant à leur faire avouer vols d’armes et possession de drogue.
Souvent taxés de tous les maux, les migrants, surtout centraméricains, sont fréquemment torturés dans l’objectif de leur faire avouer des infractions, de leur extorquer de l’argent ou de les expulser. Le 23 octobre 2013, José Ismael García, Hondurien, a été arrêté par des policiers municipaux de Saltillo alors qu’il marchait dans la rue. Il a été torturé pendant plus de 36 heures pour avouer détenir de la drogue. L’ONG Maison du Migrant, à Coahuila, a enregistré 40 témoignages similaires de janvier 2013 à mai 2014.
On compte aussi de nombreuses victimes membres de communautés indigènes, discriminées, qui souvent parlent mal ou pas du tout espagnol. Juan Antonio Gómez Silvano, Roberto Gómez Hernández et Mario Águilar Silvano, indigènes tzeltales, dénoncent avoir subi des tortures les 16 et 17 septembre 2014 par des policiers municipaux de Chilón (Chiapas) pour avouer avoir blessé un de leurs collègues. Analphabètes et dépourvus d’aide légale, ils ont été contraints d’apposer leurs empreintes digitales sur une déposition consignant leurs aveux supposés.
Le Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes (CEDAW) a mis en exergue le fait que, sans être à l’abri d’autres sévices physiques et psychologiques, les femmes sont, plus que les hommes, victimes de torture sexuelle. Entre janvier 2010 et juin 2014, selon des informations obtenues par l’ONG Centre des droits de l’homme Miguel Agustín Pro Juárez (Centro ProDH) 143 plaintes pour torture sur des femmes ont été déposées dans treize États (Chiapas, Basse Californie, District fédéral et Puebla en tête). Cristel Fabiola Piña Jasso a été arrêtée à Ciudad Juárez le 12 août 2013 par des policiers de l’État de Chihuahua : elle a été giflée, frappée et agressée sexuellement pour avouer des actes d’extorsion.
Les personnes qui participent à des manifestations, les observent, ou se trouvent simplement à proximité font également les frais d’un usage excessif et indiscriminé de la force, de détention arbitraire et de torture. D’une manière générale, les journalistes, des leaders communautaires et sociaux, des défenseurs des droits de l’homme sont également en danger dès lors que leurs activités gênent des acteurs puissants comme les autorités ou des multinationales. Le 26 septembre 2014, des étudiants de l’École normale rurale d’Ayotzinapa (Guerrero), venus manifester à Iguala, ont été très durement réprimés par les forces de l’ordre qui sont intervenues avec l’aide de membres du crime organisé : 6 morts, 25 blessés, 43 disparus. Aux mois de novembre et décembre, lors de rassemblements de solidarité, de nombreuses personnes, dont des journalistes, des étudiants et des pères de disparus, ont été attaquées par des policiers fédéraux, des granaderos (policiers anti-émeutes) : insultes, menaces par armes à feu, jets de projectiles, coups de casque, des détentions arbitraires.
Enfin, la situation demeure préoccupante pour bon nombre des quelque 259 000 détenus (dont 13 400 femmes). Certains sont détenus en préventive bien au-delà du délai légal de deux ans (qui passera à un an dès l’entrée en vigueur du nouveau Code national de procédure pénale). Lors de sa visite, le Rapporteur spécial Méndez a dénoncé le maintien prolongé des détenus dans leur cellule (22 heures par jour dans les prisons de haute sécurité). L’ONG Asilegal signale des punitions disciplinaires contraires aux normes internationales de détention : en mars 2014, à la prison de haute sécurité de Tijuana (Basse Californie) une détenue a été placée à l’isolement pendant quatre mois pour avoir pris la nourriture que lui proposait un codétenu sans demander l’autorisation préalable aux gardiens. De son côté, la CNDH a enregistré une augmentation de 5,8 % du nombre de plaintes provenant de détenus entre 2010 et mars 2014 au sein des prisons fédérales : allégations de menaces, de coups, de violences ou d’abus sexuels, de fouilles abusives des visiteurs ou de paiements pour ne pas recevoir de coups. Un grand nombre de prisons restent autogérées par des membres du crime organisé, grâce à la passivité ou la complicité des directeurs et des gardiens : ces criminels infligent des châtiments aux autres détenus et monnayent leur protection, l’accès aux repas et au téléphone.
Tortionnaires et lieux de torture
Les polices locales, principalement municipales, jugées plus corrompues, sont souvent pointées du doigt. L’annonce, fin novembre 2014, de la suppression de ces dernières au profit de polices étatiques uniques ne saurait suffire à assainir la situation : en l’absence de contrôle véritable et d’obligation de rendre des comptes, tous les corps de police recourent à la torture.
Le nombre de militaires affectés à la sécurité intérieure demeure très élevé (plus de 30 000). Lourdement armés, ils ne sont pas formés aux fonctions de police (détentions, interrogatoires) et aucun dispositif civil ne les contraints à rendre des comptes. Les formations aux droits de l’homme qu’ils sont censés recevoir ne donnent lieu à aucune évaluation. Le Comité des droits de l’homme du Nuevo Laredo (Tamaulipas) a documenté 95 cas de violation des droits de l’homme, dont des tortures, par des militaires au cours des huit premiers mois de présidence de Peña Nieto, soit une augmentation de 22 % par rapport aux six années de mandat de Felipe Calderón.
Policiers et militaires sont généralement responsables des épisodes de torture les plus sévères au cours des premières heures de l’arrestation, des transferts et de la détention (dans des lieux isolés tenus secrets, des terrains vagues, des commissariats ou des casernes).
L’importance et la multiplicité des rôles joués par le ministère public tout au long de l’enquête et des poursuites pénales créent des conditions propices au maintien de la pratique tortionnaire parmi ses agents. Les bureaux du procureur général de la République (PGR) et des procureurs de justice des États (PGJE) mènent les enquêtes à charge, soutenus par la police judiciaire placée sous leur commandement direct, et recueillent une première déposition, laquelle sert souvent de preuve principale au détriment des déclarations suivantes effectuées devant un juge. Dans de nombreuses affaires, des agents des ministères publics sont accusés d’avoir couvert des arrestations et des détentions arbitraires, torturé les détenus et fabriqué des preuves, poursuivi les intimidations jusqu’à la présentation devant le juge. Le 30 juin 2014, 22 civils ont trouvé la mort au cours d’une opération militaire dans un entrepôt à Tlatlaya (État de México). La recommandation de la CNDH a montré que, dans cette affaire, les services de la PGJE de México étaient complices de 12 à 15 exécutions extrajudiciaires pour avoir manipulé ou dissimulé des éléments de preuve. Par ailleurs, ils se sont rendus coupables de tortures, y compris sexuelles, et de mauvais traitements à l’encontre de trois femmes arrêtées à l’issue de l’intervention.
Plusieurs cas mettent en évidence la complicité de juges qui n’ordonnent pas d’enquête en cas d’allégation de torture, d’avocats commis d’office (sous l’autorité du ministère public) qui couvrent ou taisent les atteintes aux droits de leurs clients, de médecins qui conseillent les forces de sécurité sur les tortures ou dissimulent les marques a posteriori.
Dans les prisons et certains centres de rétention, des directeurs et des gardiens sont responsables de tortures et mauvais traitements à l’encontre des détenus.
Enfin, il convient de signaler les tortures perpétrées par les membres de bandes criminelles (coups, membres coupés, brûlures, viols en public), notamment dans le cadre d’enlèvement contre rançon. Non seulement ces tortures « privées » ne font pas l’objet d’enquêtes efficaces, mais elles sont aussi fréquemment rendues possibles par la complaisance, voire la complicité active, de représentants de l’autorité publique.
Méthodes et objectifs
La torture est avant tout utilisée comme méthode d’enquête et vise l’obtention d’aveux et d’informations. Elle sert également à terroriser, punir, humilier et extorquer de l’argent.
Parmi les techniques les plus fréquentes, on recense : les insultes, les menaces (de viol, de disparition forcée, de violence sur des proches), le maintien dans des positions douloureuses, les privations (nourriture, eau, accès aux toilettes), le tehuacanazo (eau gazeuse envoyée dans le nez), les coups, les décharges électriques (notamment avec des matraques « chicharras »), les simulacres d’asphyxie (avec un sac plastique sur la tête) et de noyade, les violences sexuelles, la disparition forcée.
Les arrestations illégales et les détentions arbitraires massives offrent un cadre propice aux tortures. Un grand nombre de victimes indiquent que les forces de sécurité ne s’identifient pas et ne présentent ni mandat d’arrêt ni motif d’arrestation. Le placement consécutif en détention arbitraire, souvent incommunicado, permet de justifier rétrospectivement ces arrestations en fabriquant des preuves de soi-disant flagrants délits ou de détention d’armes et de drogue lors de contrôles routiers. À ce titre, l’arraigo, rendu constitutionnel en 2008, demeure contraire à tous les standards internationaux. Cette détention préventive, qui intervient avant toute inculpation et enquête, peut durer jusqu’à 80 jours sans supervision par un juge et avec un accès restreint aux avocats et aux visites. Lors de sa visite au Mexique, le Sous-Comité pour la prévention de la torture (SPT) a constaté que selon les registres du Centre national d’arraigo la moitié des détenus présentaient des marques de violence physique. Il semble que le nombre de placements sous arraigo ait baissé depuis avril 2014, date à laquelle la SCJN a réservé son usage strict au système fédéral dans les affaires de crime organisé et amélioré les possibilités de contestation des preuves obtenues par ce biais. Cette détention n’en demeure pas moins arbitraire et propice aux tortures et mauvais traitements. Entre 2008 et avril 2014, environ 11 000 personnes ont été placées sous arraigo. Dans certains États comme le Chiapas ou dans le district fédéral, il semble que l’arraigo ait été remplacé par d’autres formes de détentions arbitraires.
Enfin, la présentation, même si elle est de moins en moins courante, des suspects aux médias avant même l’ouverture de la procédure judiciaire participe des moyens de coercition opérée sur les détenus.
Législation et pratiques judiciaires
Condamnation juridique de la torture
Sur le papier, le Mexique dispose d’un cadre législatif, juridique et institutionnel de défense des droits de l’homme particulièrement développé. Il est partie à tous les instruments de lutte contre la torture des Nations unies et du système interaméricain des droits de l’homme. Dans la réalité, les moyens mis en œuvre pour l’application de ces engagements sont dérisoires, voire inexistants.
La Constitution fédérale interdit la torture. Par ailleurs, des modifications ont été apportées à l’article 1er en juin 2011 faisant obligation de privilégier, entre les textes nationaux et internationaux de protection des droits de l’homme, ceux dont la norme est la plus favorable aux victimes. En matière de torture, cela implique un alignement sur la convention interaméricaine y afférente. Cependant, un arrêt de la SCJN de septembre 2013 a réduit la portée de cette réforme en établissant qu’en cas de contradiction, les articles de la Constitution prévalaient. L’arraigo, défini à l’article 16, n’est ainsi pas menacé.
La loi fédérale pour prévenir et sanctionner la torture (1991, réformée en 1994) invalide la valeur probatoire des aveux obtenus sous la contrainte. Néanmoins, elle pose plusieurs problèmes. La qualification de la torture y est soumise à l’évaluation du degré de gravité et d’intensité des souffrances infligées et ne prend pas en compte l’objectif de discrimination. L’intention de torturer doit être prouvée. Les sévices imposés par des tiers à l’instigation ou avec le consentement d’agents publics ne sont pas pris en compte. La peine encourue pour les actes de torture est de trois à douze ans. Les discussions parlementaires entreprises il y a plusieurs années, afin de mettre cette loi en conformité avec les standards internationaux, n’aboutissent pas.
Le Code pénal fédéral qualifie la détention au secret, les intimidations et la torture comme abus d’autorité et infraction contre l’administration judiciaire. Selon l’article 289, la peine encourue dépend de la mise en danger de la vie et de la durée de rémission pour la victime (plus ou moins 15 jours). Le texte ne mentionne pas l’imprescriptibilité de la torture.
Les États disposent chacun de leur propre constitution, d’un cadre normatif contre la torture et d’un code pénal. Les définitions et les sanctions prévues y sont très différentes et souvent moins favorables à la victime qu’au niveau fédéral. Le Guerrero ne fait même pas mention de la torture dans son code pénal.
Depuis mars 2014, le pays s’est doté d’un Code national de procédure pénale, valable sur l’ensemble du territoire pour réguler le nouveau système pénal. Il pourrait aider à mieux garantir certains droits des personnes arrêtées, détenues et poursuivies en mettant fin aux disparités régionales, à condition d’être dûment appliqué. Aucune référence spécifique n’est faite cependant concernant les enquêtes et poursuites pour torture et mauvais traitements.
Les mêmes problèmes se posent concernant la disparition forcée. Les textes fédéraux ne transcrivent pas les engagements pris à travers la ratification des conventions onusienne et interaméricaine en la matière (le Mexique n’a toujours pas reconnu la compétence du Comité contre les disparitions forcées de l’ONU pour recevoir et étudier les plaintes individuelles). Seuls 15 États fédérés mentionnent ce crime, de façon non conforme aux standards internationaux. En dépit de plusieurs projets, les parlementaires n’ont pas encore adopté une loi générale sur la disparition forcée.
Poursuite des auteurs de torture
Il n’existe pas de registre centralisé du nombre d’enquêtes, de poursuites, de sanctions disciplinaires et de condamnations pénales pour torture. Les rares chiffres connus, souvent contradictoires, mettent en évidence l’impunité quasi absolue pour les auteurs et complices de ce crime. Entre 1994 et 2012, il n’y aurait eu que deux condamnations au plan fédéral. D’après le Conseil fédéral de la magistrature, seules quatre condamnations ont été prononcées entre 2005 et 2013. Dans les États, la situation est pire encore. En 2013, l’État de Chihuahua n’avait procédé à aucune inculpation pour torture depuis 2000.
Au cours des derniers mois, la SCJN a pris des décisions susceptibles de donner l’exemple.
En avril 2014, elle a établi l’obligation, pour les juges, d’ouvrir deux enquêtes indépendantes en cas d’allégations de torture, l’une pour déterminer les responsables présumés, l’autre pour évaluer la légalité des preuves retenues contre la victime supposée.
En mai 2014, la SCJN a rendu public le texte de sa décision de libérer Israel Arzate Meléndez. victime de torture et de détention arbitraire depuis février 2010 à Ciudad Juárez. De cette façon, elle a clairement marqué l’obligation de respecter les garanties judicaires et l’exclusion de toute preuve obtenue sous la torture.
En décembre 2014, elle a adressé un Protocole d’action en cas d’actes constitutifs de torture et mauvais traitements à l’attention de 1 250 juges et magistrats fédéraux et 800 avocats commis d’office, et rappelé que l’absence d’enquêtes et de condamnations rend les fonctionnaires de justice complices, voire responsables, de ce crime.
Parmi les autres avancées, il faut souligner la réforme du code de justice militaire approuvée par les parlementaires en mai 2014 qui établit que toutes les atteintes aux droits de l’homme commises par les forces armées contre des civils devront être confiées à la justice civile. Il conviendrait toutefois d’inclure les militaires victimes de leurs collègues et supérieurs.
Du dépôt de plainte aux poursuites en passant par les enquêtes, des obstacles majeurs à l’application de la justice persistent cependant.
La transition vers un système pénal accusatoire, lancée en 2008, et qui doit s’achever en juin 2016, n’a pas entraîné le respect des droits de l’homme et des garanties judiciaires escompté. Encore minoritaire (seuls 13 États l’ont adopté, dont 10 de façon partielle), il n’est pas correctement appliqué.
Les avocats, particulièrement ceux commis d’office, quand ils sont en mesure d’intervenir, assistent rarement leurs clients dans la dénonciation des violations des droits de l’homme et ce, par manque d’indépendance, corruption, peur des représailles ou méconnaissance.
En cas d’allégations de torture, rares sont les juges qui ordonnent une enquête. Ils vont considérer qu’il s’agit de stratégies de défense, ignorer des témoignages corroborant des arrestations arbitraires violentes, ne retenir que les preuves apportées par les procureurs et avaliser des examens médicaux initiaux bâclés dans lesquels les marques de coups sont présentées comme le résultat d’une opposition à l’arrestation et d’un usage légitime de la force.
Pour avoir une chance d’obtenir justice, les victimes n’ont d’autre choix que de déposer une plainte formelle auprès du ministère public afin d’ouvrir une procédure.
Entre août 2013 et juin 2014, la justice a ordonné la libération des frères Figueroa Gómez et de Misael Sánchez Frausto reconnaissant qu’ils avaient été torturés pour avouer des rackets. Cela n’a pas entraîné l’ouverture automatique d’une enquête pour poursuivre les tortionnaires. Les victimes ont dû déposer plainte pour torture auprès du ministère public le 2 décembre 2014.
Les agents du ministère public enregistrent fréquemment les plaintes sous des infractions mineures (abus d’autorité, lésions corporelles) appliquant les règles les plus restrictives en matière de torture au mépris de la réforme constitutionnelle de juin 2011.
Les enquêtes ouvertes pour torture sont le plus souvent lacunaires et lentes. Le diagnostic médico-psychologique spécialisé pour les allégations de torture ou de mauvais traitement, mis en place en 2003, ne respecte toujours pas l’esprit du Protocole d’Istanbul dont il est censé découler. Les experts médico-légaux chargés de son application ne sont pas indépendants : ils appartiennent aux services de procureurs au sein desquels des agents couvrent, voire participent, à des tortures afin d’accélérer les mises en accusation. Les examens interviennent souvent très tard. L’analyse du traumatisme psychologique est fréquemment remplacée par un test de personnalité dont l’objectif sera de démontrer la propension de la victime au mensonge ou au crime et pourra même servir à l’accuser de faux témoignages. Un résultat négatif suffit à entraîner l’arrêt de l’investigation. Les juges prennent presque exclusivement en compte ces diagnostics médico-légaux au détriment des conclusions des commissions des droits de l’homme et des professionnels indépendants qui appliquent le Protocole d’Istanbul.
La CNDH et les commissions des droits de l’homme des États qui devraient contrebalancer cette situation ne remplissent pas leur rôle, notamment par manque d’indépendance. Peu de plaintes aboutissent à des recommandations publiques aux autorités concernées (1 sur 127 à la CNDH). Les enquêtes sont rarement exhaustives et extrêmement lentes. Les victimes peinent à obtenir les conclusions médico-légales des commissions alors qu’elles devraient pouvoir s’en servir pour leurs procédures pénales. Beaucoup de commissions continuent de s’en référer au code pénal fédéral pour requalifier les tortures en infractions de moindre gravité. Elles poussent souvent les victimes à se contenter d’un accord d’indemnisation et renoncer aux poursuites. Enfin, ce manque d’indépendance nuit à la bonne application du Mécanisme national de prévention dont la CNDH conserve le monopole.
De nombreuses victimes se tournent vers les mécanismes internationaux pour obtenir justice.
En 2012, c’est du Mexique qu’émanait le plus grand nombre de plaintes (1 800) adressées à la Commission interaméricaine des droits de l’homme. Depuis 2009, la Cour interaméricaine a prononcé cinq condamnations contre le Mexique pour violation des droits de l’homme et torture.
En mars 2012, une première plainte a été déposée devant le Comité contre la torture de l’ONU concernant quatre hommes détenus au secret et torturés par des militaires à Playas de Rosarito (Basse Californie) en juin 2009 et maintenus en détention préventive depuis.
En septembre 2014, des ONG ont présenté au procureur de la Cour pénale internationale (CPI) un rapport concernant 30 cas, impliquant 95 victimes, de violation grave des droits de l’homme (dont des tortures), survenues entre 2006 et 2012 en Basse Californie afin de solliciter une enquête pour crimes contre l’humanité.