Canada
Fiche publiée en 2014
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Contexte
Souvent décrit comme une démocratie parlementaire et un État de droit exemplaires et influents dans le système onusien, le Canada peine pourtant à respecter tous ses engagements internationaux en matière de droits de l’homme. En 2012, des experts des Nations unies ont notamment dénoncé la persistance des atteintes aux droits fondamentaux des peuples autochtones (Indiens de l’Amérique du Nord, Métis et Inuits, qui représentaient 4,3 % de la population totale en 2011), comme les discriminations dans l’accès aux terres et aux ressources, à l’alimentation, au logement et à l’éducation et taux disproportionné d’arrestations et de détentions. Ils ont aussi pointé du doigt la ségrégation économique exercée contre les femmes et les membres des minorités ethniques et l’absence de volonté politique et judiciaire d’appliquer pleinement les droits sociaux, économiques et culturels. Depuis 2011, le Premier ministre conservateur Stephen Harper a fait de la sécurité publique et de la lutte antiterroriste les priorités de son mandat. Entamée aux lendemains des attentats du 11 septembre 2001, cette politique a rendu le Canada complice de faits de torture pratiqués par des forces de l’ordre d’États tiers et a récemment donné lieu à un durcissement de la législation criminelle ainsi qu’à l’abolition du registre des armes à feu qui visait à mieux contrôler leur circulation.
Pratiques de la torture
Le Canada ne respecte pas pleinement l'interdiction de la torture, notamment dans le cadre de la lutte contre le terrorisme et du traitement des migrants et demandeurs d’asile. En outre, la police recourt régulièrement à une force excessive, et les conditions de détention dans les prisons restent préoccupantes. Enfin, les populations autochtones, notamment les femmes, sont victimes d’abus.
Lutte contre le terrorisme et torture
Dans le cadre du combat antiterroriste mené au cours des années 2000 en collaboration avec les États-Unis, les autorités ont eu tendance à faire primer la sécurité nationale sur le respect des droits de l’homme. Depuis 2001, la Gendarmerie royale du Canada (GRC) et le Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS) peuvent utiliser des informations obtenues sous la torture et pour transmettre des renseignements à des organismes ou pays étrangers qui impliquent des risques de torture, en cas de menace sur la sécurité publique ou sur des vies humaines. Ainsi, en 2002, Maher Arar, un ingénieur canadien d’origine syrienne soupçonné à tort par le FBI et la CIA d’appartenir à al-Qaïda sur la base d’informations transmises par la GRC, a été arrêté aux États-Unis puis expulsé dans le cadre d’une restitution extraordinaire* en Syrie, où il a été torturé et emprisonné dans des conditions inhumaines. Les autorités canadiennes ont également contribué aux mauvais traitements et tortures subis par trois de leurs ressortissants, Abdullah Almalki, Ahmad Abou El-Maati et Muayyed Nureddin, en Syrie entre 2001 et 2004, à cause d’informations transférées aux services de sécurité étrangers. En 2003 et en 2004, des agents de renseignement et un responsable du ministère des Affaires étrangères canadiens ont interrogé Omar Khadr, un mineur canadien arrêté en Afghanistan et détenu à Guantánamo, tout en sachant qu’il y faisait l’objet d’actes de torture.
Pendant leur participation au conflit militaire en Afghanistan (2001-2011), les Forces armées et la Police militaire canadiennes ont officiellement transféré 579 talibans présumés à la police nationale et à la police secrète du pays, la Direction nationale de la sécurité, pourtant réputées faire un usage routinier de la torture et des mauvais traitements lors des interrogatoires des détenus. Dès 2006, un diplomate de l’ambassade du Canada a mis son pays au courant de pratiques telles que des coups de fouets avec des câbles électriques, des privations de sommeil, des soumissions à des températures extrêmes, des blessures à l'arme blanche, des chocs électriques, des abus sexuels et des viols commises dans les prisons afghanes, en vain. En 2012, le Comité contre la torture des Nations unies (CAT) a dénoncé la complicité du Canada dans la torture des Afghans remis aux forces de sécurité locales vu le « risque substantiel » qu’ils couraient de subir des sévices en détention.
Par ailleurs, dans la foulée de l’attentat de Boston du 15 avril 2013, le gouvernement a fait approuver par le Parlement de nouvelles mesures renforçant la loi antiterroriste de 2001. Désormais, la police peut arrêter et placer en liberté surveillée ou maintenir en détention préventive pendant trois jours, sans motif d’inculpation, des personnes suspectées d’implication ou de détention d’informations sur un futur acte terroriste. Er les juges peuvent contraindre un témoin susceptible de posséder des renseignements sur une infraction de terrorisme, passée ou future, à comparaître et à coopérer au cours d’une « audience d’investigation », sous peine d’une incarcération d’un an. Les personnes concernées n’ont pas le droit de contester les preuves retenues contre elles ni les raisons pour lesquelles elles sont convoquées.
Traitement des migrants, des réfugiés et des demandeurs d’asile
Les textes relatifs aux migrants, réfugiés et demandeurs d’asile leur font courir des risques de persécution, traitements cruels, inhumains et dégradants, voire de torture. En 2012, le Canada a accueilli 20 461 demandeurs d’asile et 213 516 migrants économiques.
La loi sur l’immigration et la protection des réfugiés de 2002 introduit des exceptions au principe de non-refoulement*. Elle dispose ainsi qu’un demandeur d’asile ou un immigrant représentant une menace pour la sécurité nationale ou d’autrui, ayant attenté aux droits de l’homme ou aux droits internationaux ou ayant commis un crime grave ou un crime organisé peut être placé en détention illimitée ou expulsé dans son pays d’origine, même s’il court un risque sérieux de subir des mauvais traitements. Ce système dit des certificats de sécurité empêche la personne incriminée d’accéder à l’ensemble des preuves retenues contre elles et donc de préparer efficacement sa défense, en violation du droit à un procès équitable, et ne lui permet pas non plus de faire appel de la décision de la Cour fédérale sur le caractère raisonnable de la procédure. Par ailleurs, certains de ces certificats auraient été établis à partir d’informations obtenues sous la torture. Entre 1991 et 2011, 28 non-citoyens sont tombés sous le coup d’un certificat de sécurité et 19 d’entre eux ont été renvoyés. Quant à la loi visant à protéger le système d’immigration du Canada de 2012, elle prévoit la détention automatique sans contrôle judiciaire pendant douze mois minimum des demandeurs d’asile et réfugiés venus de « pays d’origine désignés » – considérés comme sûrs – âgés de plus de 16 ans et arrivées sur le territoire de manière irrégulière, quel que soit leur état de vulnérabilité. En cas de refus de leur demande, ces derniers ne sont pas autorisés à déposer un recours devant la Section d’appel des réfugiés.
Leurs conditions de détention relèvent parfois de mauvais traitements. Faute de place dans les centres de rétention, certains d’entre eux, même ceux souffrant de troubles mentaux, sont mélangés avec des criminels dans des prisons, souvent de haute sécurité, qui ne correspondent ni à leurs besoins ni à leur statut. Contraints de porter des uniformes, ils disposent d’une faible liberté de mouvement, ainsi que d’un accès limité aux contacts avec l’extérieur (coups de fil, connexions internet) et peuvent être fouillés, menottés, enchaînés ou victimes de violences verbales et physiques de la part des gardiens.
Violences faites aux femmes et aux filles autochtones
Les membres des peuples autochtones constituent un groupe extrêmement vulnérable de la population, notamment les femmes et les filles. Déjà soumises à de nombreuses discriminations, ces dernières sont plus exposées aux violences et aux homicides que les non-autochtones. Depuis les années soixante, un grand nombre d’entre elles ont en effet été victimes de meurtres et de disparitions involontaires, particulièrement au nord de la province de Colombie-Britannique. En mars 2010, une ONG a documenté 582 assassinats et disparitions, intervenus pour la plupart entre les années soixante et quatre-vingt-dix, mais dont 39 % se sont produits après 2000. Les gendarmes se rendent eux aussi coupables d’abus systématiques et routiniers à l’encontre des femmes et filles autochtones. Ces dernières font l’objet d’insultes raciales et sexistes, de harcèlement et d’humiliation, d’agressions physiques et sexuelles, d’usage excessif de la force (aspersion de gaz lacrymogène et tirs de Taser*), notamment lors des interpellations, et de conditions de détention indignes de la part des personnes censées les protéger. En juillet 2012, une autochtone a été emmenée hors de la ville par des officiers, violée et menacée de mort au cas où elle révèlerait ces exactions.
Conditions de détention
La situation dans les 234 établissements pénitentiaires, souvent obsolètes, est aussi préoccupante. À cause de la surpopulation liée à la multiplication des lois anticriminalité, 20,5 % des détenus partageaient une cellule individuelle en janvier 2013. Pour calmer les tensions et maintenir l’ordre, le Service correctionnel du Canada (SCC) fait un usage excessif de la violence (utilisation de moyens de contention, d'aérosol inflammatoire et de vaporisateur de poivre de Cayenne), avec 1 336 incidents recensés en 2011-2012, et du placement en isolement disciplinaire ou préventif, où le détenu passe vingt-trois heures sur vingt-quatre dans sa cellule, avec des contacts et des stimuli limités au maximum. En 2011-2012, 8 700 des 14 793 personnes détenues ont été soumises à ce régime, pendant plus de cent vingt jours pour 16,5 % d’entre elles. Or, selon l’ancien Rapporteur spécial* sur la torture Juan E. Méndez, les isolements d’une durée supérieure à quinze jours sont constitutifs de mauvais traitements, voire de torture, à cause des souffrances psychologiques graves qu’ils entraînent. Faute d’infrastructures et de personnel appropriés, les prisons ne prennent pas correctement en charge les détenus souffrants de problèmes mentaux, qui représentent environ 60 % de la population carcérale : dépistage non systématique à l’entrée, accès insuffisant aux médicaments et à des soignants professionnels. Entre 2010 et 2011, 304 détenus se sont livrés à des actes d’automutilation, dont 54 tentatives de suicide. Pour gérer ce problème, le personnel recourt abusivement au confinement, qui tend à aggraver la situation : près d’un tiers des accidents se produisent dans les cellules d’isolement, pourtant étroitement surveillées. En 2007, Ashley Smith, une détenue de 19 ans souffrant de troubles psychiques, s’est donné la mort par strangulation sous le regard passif des gardiens. Incarcérée dès l’âge de 15 ans, elle a passé presque tout son temps en isolement et a subi des mauvais traitements tels que des tirs de Taser, des aspersions de gaz au poivre, des enchaînements, des fouilles intégrales et le ligotage des pieds à la tête.
Usage excessif de la force lors d’opérations de police
Les agents des forces de sécurité se livrent parfois à des violences, notamment avec des armes dites « à létalité réduite » (irritants chimiques, gaz lacrymogènes, grenades assourdissantes ou pistolets à balles de caoutchouc ou à balles de plastique), pour contrôler les foules et gérer les manifestations, notamment celles organisées contre les réunions du G8 et du G20 en 2010 à Toronto et en 2012 au Québec ou par les peuples autochtones contre la confiscation de leurs terres.
De février à septembre 2012, à la suite d’une décision du gouvernement québécois d’augmenter les frais de scolarité, des milliers d’étudiants, de professeurs, de parents et de syndicalistes sont descendus dans les rues pour manifester contre cette mesure. Ce mouvement, baptisé le Printemps érable, a été sévèrement réprimé. Au moins 3 500 personnes ont été arrêtées et des centaines d’autres ont été agressées. Ainsi, les 354 victimes interrogées par trois ONG ont fait état d’insultes raciales, sexistes ou homophobes ; de plaquages au mur ou au sol ; de coups de pieds, de poings, de matraques, de genoux et même de bicyclettes ; de ligotage trop serré avec des menottes ou des attaches en nylon… Ces brutalités ont souvent entraîné des blessures : fractures, lacérations, traumatismes crâniens, brûlures... Le 1er mai 2012, Gabriel Duchesneau, un manifestant pacifique âgé de 29 ans, a été poussé à terre et matraqué par des officiers anti-émeutes. Il présentait de multiples fractures de la boîte crânienne. Les personnes arrêtées sans mandat au cours de ces mouvements ont été placées dans des centres de détention provisoire surpeuplés où elles ont subi un traitement dégradant : insuffisance de toilettes, d’eau et de nourriture, interdiction de contacter ses proches ou un avocat, fouilles intrusives…
La mort d’un voyageur polonais qui avait reçu des décharges de Taser à l’aéroport de Vancouver en 2007 a conduit le gouvernement fédéral à établir des critères plus restreints en matière d’usage des pistolets à impulsion électrique en 2010. Ces critères, non contraignants, ne sont pas appliqués sur l’ensemble du territoire. Ainsi, en 2013, la police provinciale de l’Ontario a décidé d’élargir le champ d’application de ces armes. Le 4 août 2013, un homme de 27 ans a succombé à ses blessures après avoir reçu des tirs de Taser de la part d’un gendarme lors de son arrestation en Alberta.
Législation et pratiques judiciaires
Condamnation juridique de la torture
Le Canada est partie aux principaux traités internationaux sur les droits de l’homme et a reconnu la compétence du Comité contre la torture* (CAT) pour enquêter sur des communications* présentées par un autre État partie soit par ou pour le compte de particuliers relevant de sa juridiction, mais il n’a toujours pas ratifié son Protocole facultatif (OPCAT). Cependant, dans cet État dualiste, tout traité international doit faire l’objet d’une transposition pour avoir force de loi. Or, les autorités n’ont pas incorporé explicitement dans leur droit interne toutes les dispositions de la Convention contre la torture, qui ne peuvent dès lors pas être invoquées directement par les justiciables comme base d’une action devant les tribunaux.
La Charte canadienne des droits et libertés de 1982 garantit à chaque citoyen, dans son article 12, le « droit à la protection contre tous les traitements ou peines cruels et inusités ». La Déclaration canadienne des droits dispose aussi que « nulle loi du Canada ne doit s’interpréter ni s’appliquer comme […] infligeant des peines ou traitements cruels et inusités, ou comme en autorisant l’imposition ». Quant à la loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous conditions, elle interdit d’infliger un traitement cruel, inhumain ou dégradant aux détenus. Le Code criminel propose une définition exhaustive de la torture, sanctionne d’une peine d’emprisonnement de quinze ans maximum celle commise par un fonctionnaire ou par une personne agissant avec son consentement exprès ou tacite ou à sa demande et interdit l’utilisation de toute déclaration obtenue par la torture sauf à titre de preuve des sévices subis. Par ailleurs, le Canada peut poursuivre et juger toute personne présente sur son territoire soupçonnée d’avoir commis des actes de torture à l’étranger selon le principe de compétence universelle établi par la loi sur les crimes contre l'humanité et les crimes de guerre.
En matière de conditions de détention, le SCC possède un mécanisme de règlement interne des griefs et le Bureau de l’enquêteur correctionnel, organisme externe et indépendant créé en 1973, est compétent pour recueillir les plaintes des délinquants fédéraux, mener des enquêtes et soumettre des recommandations aux responsables de l’administration pénitentiaire, au commissaire du SCC, aux ministres et aux parlementaires.
Poursuite des auteurs de torture
En pratique, il existe peu de cas de poursuites, de sanctions disciplinaires et de condamnations d’agents publics pour recours excessif à la force et mauvais traitements.
Le sexisme, le racisme et l’indifférence qui règnent au sein de la police font obstacle à la justice. Par exemple, les femmes et les filles autochtones victimes de violences se voient souvent refuser l’enregistrement de leur plainte par les officiers ou même accuser de l’abus commis ou d’une autre infraction, arrêter et détenir de manière inhumaine. Dès lors, nombre d’entre elles renoncent à porter plainte par crainte de représailles.
Ce climat d’impunité est aussi renforcé par le manque d’impartialité des mécanismes de plainte contre les forces de sécurité. Les cas d’abus policiers sont traités soit par le Bureau provincial du commissaire aux plaintes contre la police pour les agents municipaux, soit par la Commission nationale des plaintes du public contre la GRC pour les gendarmes. Dans les deux cas, l’enquête incombe généralement au service incriminé ou à un service de police externe. Ainsi, un seul officier impliqué dans la répression massive des manifestants opposés à la tenue du G20 en 2010 a été inculpé, le 12 septembre 2013, pour « agression armée », une infraction passible d’une peine d’emprisonnement de dix ans maximum. Il n’existe pas d’organisme civil indépendant chargé d’enquêter directement sur les exactions commises par les responsables de l’application des lois.
En outre, les autorités se montrent réticentes à faire en sorte que les auteurs d’atteintes aux droits de l’homme soient traduits en justice. Ainsi, en dépit de la forte pression exercée par les ONG et les instances internationales, elles n’ont pas mis en place une commission d’enquête publique sur les disparitions et les meurtres de femmes et filles autochtones ni conçu de plan d’action national pour identifier les causes de ce fléau et s’y attaquer. De même, la commission spéciale mise en place en mai 2013 pour examiner les événements du Printemps érable dispose d’un mandat très vaste, mais elle n’a pas pour mission d’identifier des coupables. D’un autre côté, le Canada rechigne à présenter des excuses officielles et à indemniser Abdullah Almalki, Ahmad Abou Elmaati et Muayyed Nureddin en dépit de sa complicité dans les actes de torture qu’ils ont subis à l’étranger et a longtemps tardé à organiser le rapatriement d’Omar Khadr depuis Guantánamo. Enfin, même si elles ont reconnu en 2009 un Rwandais coupable de génocide, crimes de guerre et crimes contre l’humanité, les autorités préfèrent renvoyer les personnes accusées de telles exactions et de torture dans leur pays d’origine, où elles ont des chances d’échapper aux poursuites, qu’engager l’action publique sur leur territoire. Ainsi, en juillet 2011, le gouvernement de Stephan Harper a publié une liste de 30 criminels présumés soumis à un ordre d’expulsion pour que la population participe à leur traque.
Par ailleurs, les victimes de torture extraterritoriale ne peuvent obtenir une réparation pour le préjudice subi, y compris une indemnisation, en vertu de l’immunité juridictionnelle accordée aux gouvernements des pays étrangers par la loi sur l’immunité des États.