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Tunisie
Un monde tortionnaire

Tunisie

Avec la tenue des élections législatives en octobre 2014 et de l’élection présidentielle les mois suivants, la Tunisie poursuit son apprentissage de la démocratie, commencé il y a maintenant quatre ans, avec le départ de l’ex-président Zine el-Abidine Ben Ali le 14 janvier 2011. Un apprentissage jalonné par des errements, des instabilités gouvernementales, mais aussi par des réformes encourageantes dont la plus importante d’entre elles réside dans l’adoption d’une nouvelle Constitution le 27 janvier 2014.

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Contexte

Avec la tenue des élections législatives en octobre 2014 et de l’élection présidentielle les mois suivants, la Tunisie poursuit son apprentissage de la démocratie, commencé il y a maintenant quatre ans, avec le départ de l’ex-président Zine el-Abidine Ben Ali le 14 janvier 2011. Un apprentissage jalonné par des errements, des instabilités gouvernementales, mais aussi par des réformes encourageantes dont la plus importante d’entre elles réside dans l’adoption d’une nouvelle Constitution le 27 janvier 2014. Entre autres avancées positives, le nouveau texte rééquilibre la répartition des pouvoirs entre le président et un chef du gouvernement qui gagne en prérogative, consacre la parité hommes-femmes, institue une Cour constitutionnelle, pose le cadre d’un Conseil supérieur de la magistrature indépendant soustrait au contrôle de l’exécutif et garantit les libertés fondamentales. Les bases de la nouvelle démocratie sont ainsi posées mais, pour autant, un travail fastidieux reste à accomplir pour garantir que les dispositions de la nouvelle Constitution ne resteront pas purement cosmétiques.

Aujourd’hui encore, c’est au stade de la mise en œuvre que le bât blesse et les multiples débordements opérés par les forces de sécurité depuis la révolution laissent planer le spectre d’une nouvelle dérive autoritaire.

Pratiques de la torture

Victimes

La torture est moins systématique qu’avant la révolution mais elle continue d’être exercée fréquemment à l’encontre de victimes aux profils divers. Comme à l’époque de Ben Ali, les jeunes musulmans pratiquants présentant un profil salafiste et suspectés de ce fait d’appartenir à des groupes terroristes constituent les principales victimes. Depuis la reprise de la lutte antiterroriste début 2012, des dizaines, voire des centaines de Tunisiens ont déjà été torturés pendant leur garde à vue. Des mineurs sont au nombre de ces victimes que leur jeune âge ne protège pas des sévices.

Wassim Ferchichi[1], mineur de 15 ans vivant à Tunis, a été arrêté le 2 janvier 2013 à Kasserine où il se rendait pour prendre des contacts dans l’idée de rejoindre un groupe jihadiste caché dans la montagne Chaambi. Il a été emmené au poste de la garde nationale de Kasserine où il allègue avoir subi toutes sortes de sévices pendant deux jours jusqu’à ce qu’il signe des aveux dans lesquels il reconnaissait son implication dans un mouvement terroriste. Deux jours plus tard, le jeune garçon a été transféré aux mains de la brigade antiterroriste de Laaouina. Ses parents n’ont pu le voir que le 6 janvier, soit quatre jours après son arrestation. Les agents de Laaouina ont enjoint à son père de signer des procès-verbaux datés du 4 janvier pour faire croire qu’il avait assisté aux interrogatoires de son fils comme l’exige la loi.

Récemment, les brigades antiterroristes ont aussi arrêté des proches de personnes recherchées pour forcer ces dernières à se livrer. Des frères, mères et épouses de suspects ont ainsi été arbitrairement détenus et, pour certains, psychologiquement et physiquement maltraités voire torturés avant d’être finalement relâchés.

Les personnes suspectées d’avoir commis un crime de droit commun sont toujours fréquemment victimes de mauvais traitements pouvant aller jusqu’à la torture si le suspect refuse d’avouer l’infraction qui lui est reprochée.

Zyed Debbabi[2] a été arrêté le 17 septembre 2013, suspecté de trafic et consommation de stupéfiants. Des agents de la police judiciaire de Ben Arrous l’ont attaché dans la position du poulet rôti*, roué de coups de pieds et de matraques et brûlé avec des cigarettes jusqu’à ce qu’il signe des aveux. Le jeune homme a finalement été acquitté et libéré le 25 avril 2014, après sept mois de détention provisoire, sans que ses tortionnaires ne soient sanctionnés.

Depuis la révolution, plusieurs jeunes hommes arrêtés pour des infractions de droit commun sont morts dans des postes de police dans des circonstances suspectes qui n’ont toujours pas été élucidées par la justice[3].

Les forces de sécurité recourent parfois à une violence extrême dans la rue ou au poste de police dans le cadre d’opérations de maintien de l’ordre à l’encontre de personnes soupçonnées d’avoir participé à une manifestations ou des heurts sur la voie publique.

Le 10 septembre 2013, M.A. rentrait chez lui du travail lorsqu’il est passé à proximité d’une bagarre entre des jeunes de deux cités. Des policiers, dont une majorité d’agents cagoulés des Brigades d’intervention étaient en train de poursuivre les jeunes et de les asperger de gaz lacrymogène. Une quinzaine d’agents ont interpellé M.A. dans la rue et l’ont roué de coups de matraques au point de lui causer une fracture ouverte au bras droit. Puis ils l’ont abandonné sur place, dans la rue, à demi- inconscient.

Ces deux dernières années, des rappeurs[4], des blogueurs et des jeunes activistes[5] considérés comme tenant des discours hostiles au ministère de l’Intérieur ont été violentés par des agents de sécurité.

Azyz Ammami, célèbre bloggeur tunisien, a été arrêté le 13 mai 2014, au cours d’un contrôle routier alors qu’il était en voiture avec un ami. Les policiers l’ont reconnu et l’ont fait descendre de voiture pour le fouiller, dans l’espoir de trouver de la drogue. Azyz Ammami ayant refusé la fouille, les agents l’ont roué de coups de pieds et de poings sur la tête et le corps en l’insultant, devant son ami. Comme ils n’ont rien trouvé sur lui, ils ont redoublé les insultes et les coups. Ils ont arrêté les deux jeunes hommes qui ont été placés en détention provisoire puis finalement innocentés quelques jours plus tard.

Les victimes de torture et leurs proches qui portent plainte contre des agents tortionnaires encourent aussi le risque d’être harcelés ou maltraités voire torturés par les accusés ou leurs collègues[6].

Enfin, l’ACAT a été informée de plusieurs cas de personnes qui ont été torturées pour la simple raison qu’elles avaient eu un désaccord avec un agent de la force publique ou un de ses proches[7].

Mourad Limem a eu un accident de la circulation, le 30 juillet 2012. Quelques jours plus tard, il a été convoqué au poste de police de la route de Moncef Bey pour témoigner en tant que victime de l’accident. A l’intérieur du poste, Mourad Limem a été agressé verbalement puis physiquement par des agents en civil, en présence de l’auteur de l’accident qui s’est avéré être un ami du chef du poste. Il a essayé de s’enfuir mais les agents l’ont arrêté. Les coups se sont poursuivis dans le bureau du colonel de police. Puis la victime a été placée en garde à vue pour agression d’un fonctionnaire de police.

Tortionnaires et lieux

Les arrestations, interrogatoires et tortures exercées dans le cadre de la lutte antiterroriste sont le fait tant de la police que de la garde nationale, deux entités relevant du ministère de l’Intérieur. Chacun de ces deux départements comprend une direction du renseignement et des enquêtes dont dépend une unité nationale des enquêtes contre le crime terroriste, composée d’enquêteurs assistés d’une brigade antiterroriste (BAT) qui procède à l’arrestation et au transfert des suspects vers les centres d’interrogatoire. L’unité antiterroriste de la police est basée au centre de Gorjani et celui de la garde nationale au centre de Laaouina, tous deux dans la banlieue de Tunis. Les BAT et les enquêteurs de Gorjani et de Laaouina recourent presque systématiquement à la torture à l’encontre des détenus. Celle-ci commence dès l’arrestation. Des dizaines d’agents des BAT font irruption au domicile des suspects, souvent

au milieu de la nuit, saccagent les lieux, terrorisent et parfois frappent les membres des familles présentes.

C’est ce qu’a subi Zied Younes[8], 25 ans, arrêté chez lui la nuit du 19 au 20 septembre 2014, vers 1h30 du matin. Selon le jeune homme, les agents de la BAT de Gorjani ont jeté sa mère à terre et lui ont marché dessus, tandis qu’il essayait de leur expliquer qu’elle souffrait de tension et de diabète. Puis ils ont pointé un pistolet sur la tempe de Zied Younes et lui ont intimé l’ordre de les conduire au domicile d’un complice présumé.

La violence se poursuit, plus intensive, tout au long de la garde à vue au centre d’interrogatoire. Un grand nombre de détenus restent enfermés dans le centre d’interrogatoire de Gorjani ou de Laaouina pendant toute la durée de leur garde à vue et y sont soumis à des tortures nuits et jours. Certains sont transférés au centre de garde à vue de Bouchoucha, à Tunis, chaque soir, pour y passer la nuit. Ils y sont alors souvent maltraités en tant que terroristes présumés et sont victimes, comme les autres gardés à vue, de conditions de détention déplorables résultant notamment de la surpopulation et du manque d’accès aux soins[9].

La garde à vue de trois jours est le plus souvent prolongée jusqu’à six jours par le procureur, comme le permet la loi. Depuis la révolution, le délai de garde à vue autorisé n’est que rarement dépassé. Cependant, pendant les six jours règlementaires, le détenu, qui n’a pas droit à l’assistance d’un avocat, est soumis à l’arbitraire de ses bourreaux. Les sévices cessent un ou deux jours avant la présentation devant le juge d’instruction pour laisser aux plaies le temps de commencer à cicatriser.

Arrêté par la brigade antiterroriste de Laaouina, le 20 août 2014, Sami Essid a été torturé pendant sa garde à vue, jusqu’à ce qu’il signe des aveux sous la contrainte[10]. Il allègue avoir notamment été giflé à de très nombreuses reprises, privé de sommeil, d’eau et de nourriture, exposé au soleil pendant plusieurs heures et soumis au supplice de la falaqa*. Il pense aussi avoir été drogué en raison des hallucinations qu’il a eues. Les tortures ont cessé les deux derniers jours de sa garde à vue pour laisser aux traces le temps de s’estomper.

Hormis les unités spécialisées dans la lutte antiterroriste, les autres agents de la police et de la garde nationale régulières recourent aussi couramment aux mauvais traitements pouvant aller jusqu’à la torture dans les postes de police, à l’encontre de suspects soupçonnés d’infraction de droit commun et placés en garde à vue, ou encore dans la rue, au cours des arrestations ou d’opérations de maintien de l’ordre sur la voie publique.

Wajdi et Haythem Ben Alouch, deux frères suspectés de consommation et de trafic de stupéfiants, ont été arrêtés la nuit du 2 mars 2014 par des agents de la brigade des stupéfiants de Tunis. Selon leur avocat, pendant la première nuit de garde à vue, des agents ont déshabillé les deux détenus, les ont roués de coups de bâtons et de coups de pieds sur tout le corps et le visage et les ont menacés de viol avec un bâton, dans le but de leur faire signer des aveux.

Enfin et bien que cela soit moins fréquent qu’avant la révolution, les gardiens de prison recourent aussi aux mauvais traitements et parfois à la torture à l’encontre de prisonniers pour asseoir leur autorité ou pour les punir de comportements jugés désobéissants.

Mahrane Mathlouthi purge une peine de cinq ans d’emprisonnement pour un crime de droit commun. Dans la prison de Mornaguia, il s’est interposé pour empêcher des prisonniers de violer un de ses amis. Des gardiens sont intervenus et ont giflé et frappé les détenus avec des matraques et des coups de pieds. Son ami et lui ont passé huit jours au cachot. Début mai 2014, avec plusieurs détenus, il a été transféré à la prison de Mahdia où ils ont tous été tabassés par des gardiens à leur arrivée.

Méthodes et objectifs

Les méthodes de torture les plus usitées par les forces de sécurité sont les suivantes : gifles, coups de pieds et de poings, tabassages sur tout le corps avec des matraques, des barres de fer, des tuyaux, des crosses d’armes, suspension dans la position du « poulet rôti », coups sur la plante des pieds (falaqa), chocs électriques infligés par une matraque, brûlures de cigarettes, viol avec un bâton, menaces de mort et de viol contre la victime ou les membres de sa famille, privation de nourriture, d’eau, de sommeil et de soins médicaux.

De nombreux détenus arrêtés sur le fondement de la loi antiterroriste ont raconté avoir été contraints de rester immobiles pendant des heures, agenouillés ou debout face au mur, jusqu’à l’évanouissement, sous peine d’être frappés.

Les sévices infligés pendant la garde à vue ont pour objectif de contraindre le détenu à signer des aveux. Lorsqu’elles sont exercées en prison, sur la voie publique ou dans le cadre d’une dispute entre un justiciable et un agent des forces de l’ordre, les tortures ont essentiellement pour but de punir la victime du comportement qui lui est reproché.

LEGISLATION ET PRATIQUES JUDICIAIRES

Condamnation de la torture en droit interne

En 1988, la Tunisie a ratifié la Convention des Nations unies contre la torture et a reconnu la compétence du Comité contre la torture pour l’examen des plaintes individuelles.

Le 29 juin 2011, l’Etat tunisien a ratifié le Protocole facultatif à la Convention contre la torture, s’engageant ainsi à créer un mécanisme national de prévention (MNP) indépendant qui serait habilité à visiter les lieux de détention. Plus de trois ans et demi plus tard, le MNP n’a toujours pas été mis en place, faute de candidats suffisants pour occuper certains postes.

Ce n’est que plus de dix ans après la ratification de la Convention que le gouvernement tunisien a introduit le crime de torture dans son code pénal, à travers l’article 101 bis ajouté par la loi n°89/1999. Cet article a été modifié après la révolution, par le décret-loi 106 du 22 octobre 2011, prétendument pour accroître la répression du phénomène tortionnaire. Le résultat en est une définition de la torture plus éloignée que la précédente de la définition internationale donnée par la Convention contre la torture.

Dans sa nouvelle version, l’article 101 bis prévoit que : « Le terme torture désigne tout acte par lequel une douleur ou une souffrance aiguë, physique ou morale est infligée intentionnellement à une personne aux fins d’obtenir d’elle ou d’une tierce personne des renseignements ou des aveux concernant un acte qu’elle ou une tierce personne a commis ou est soupçonnée d’avoir commis ». Sont aussi considérés comme de la torture, l’intimidation ou le harcèlement exercés aux mêmes fins contre un individu ou une tierce personne. Entrent également dans le cadre de la définition de la torture la douleur, la souffrance, l’intimidation ou le harcèlement infligés pour tout motif fondé sur une discrimination raciale.

La liste des objectifs visés par l’acte a été considérablement réduite par rapport à la version de l’article 101 bis adoptée en 1999, s’éloignant ainsi davantage de la définition donnée par la Convention contre la torture. En effet, les douleurs ou souffrances infligées dans le but de punir ne sont plus considérées comme de la torture. Par conséquent, cela exclut du champ d’application de l’article 101 bis les violences perpétrées en prison, ainsi que celles infligées par des policiers à la suite, par exemple, d’une dispute avec un citoyen, dès lors que l’objectif n’est pas d’obtenir des aveux ou des informations. De plus, l’expression « pour tout motif fondé sur une discrimination quelle qu’elle soit » a été remplacée en 2011 par l’exigence d’une « discrimination raciale ». À l’inverse, la liste des actes pouvant être qualifiés de « torture » a été élargie par la réforme de 2011. À l’infliction d’une douleur ou d’une souffrance aiguë, physique ou morale s’ajoutent désormais l’intimidation et le harcèlement, ce qui va bien au-delà des actes sanctionnés par la Convention contre la torture.

Dans sa nouvelle version, l’article 101 bis précise qu’« est considéré comme tortionnaire, l’agent public ou assimilé qui ordonne, incite, autorise ou ignore la torture dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de ses fonctions. » La peine encourue est de huit ans d’emprisonnement auxquels s’ajoutent 10 000 dinars d’amende (environ 4 500 euros). L’article 101-2 ajoute des circonstances aggravantes et l’alinéa suivant introduit des clauses d’exonération ou de réduction de peine pour encourager la dénonciation du crime[11].

Les actes de torture commis avant l’introduction de l’article 101 bis dans le code pénal en 1999 ne devraient théoriquement pas être sanctionnés sur ce fondement, en vertu du principe de non-rétroactivité de la loi pénale. Toutefois, ce principe semble être battu en brèche par l’article 148-9 de la nouvelle Constitution qui prévoit que pour les crimes soumis au mécanisme de justice transitionnelle (voir ci-dessous), parmi lesquels la torture, sont irrecevables « l’évocation de la non-rétroactivité des lois, de l’existence d’une amnistie antérieure, de l’autorité de la chose jugée, ou de la prescription du crime ou de la peine ».

Répression des auteurs de torture

Le 15 décembre 2013, l’Assemblée nationale constituante a adopté la loi sur la justice transitionnelle. Cette loi institue l’Instance vérité et dignité (IVD), composée de 15 membres et chargée notamment d’enquêter sur la fraude électorale, la corruption et les graves atteintes aux droits de l’homme[12] perpétrées par ou avec la complicité d’agents de l’État, à partir de l’arrivée au pouvoir de Habib Bourguiba en 1955, jusqu’à l’entrée en vigueur de la loi en décembre 2013. Après enquête, elle transfèrera les dossiers à des chambres spécialisées créées au sein des tribunaux de première instance et composées de magistrats qui n’auront pas pris part à des procès politiques à l’époque de Ben Ali.

L’IVD a été mise en place en mai 2014 et les chambres spécialisées ont été créées quatre mois plus tard mais n’ont pas commencé à travailler. La loi n’accorde à l’IVD que cinq ans à compter de sa création pour faire la vérité sur les violations commises pendant près de 60 ans, réhabiliter les victimes, collecter et protéger les archives et suggérer des réformes en vue de prévenir la répétition de la répression. Un mandat titanesque dont le volet d’enquête sur les crimes graves, très important, ne représente qu’une partie. Il faudra attendre quelques années pour pouvoir dresser un premier bilan de ce processus de justice transitionnelle.

En attendant que l’IVD et les chambres spécialisées commencent leur travail, ce sont les tribunaux civils et, dans certains cas, militaires[13], qui sont compétents pour rendre justice aux victimes de torture. Le bilan est pour le moment bien maigre. Une seule condamnation pour crime de torture - perpétré en 2004 - a été prononcée depuis la révolution. Les accusés ont été condamnés à seulement deux mois d’emprisonnement avec sursis en appel.

Certains magistrats courageux essaient aujourd’hui de diligenter des enquêtes sérieuses, à la suite de plainte pour torture déposées par des victimes, malgré l’omerta imposée par les toutes puissantes forces de sécurité. Mais ces avancées sont encore trop timides pour être véritablement encourageantes. Les plaintes enregistrées sont trop rarement instruites et, lorsqu’elles le sont, l’instruction est souvent entachée d’irrégularités témoignant parfois d’une volonté manifeste des policiers ou des juges d’instruction de protéger les tortionnaires et leurs complices parmi les médecins et les magistrats. Dans plusieurs enquêtes, le magistrat enquêteur s’est contenté d’une brève confrontation entre la victime et les accusés, avant de décider de clore l’enquête pour manque de preuve ou de l’abandonner de facto, sans même ordonner d’expertise médicale ni entendre les témoins.

Dans certains cas, la hiérarchie policière a refusé de livrer le nom des agents qui étaient présents au poste le jour de la torture[14]. Quand les policiers auteurs de la torture sont identifiés, ils refusent parfois tout simplement de se rendre aux convocations du juge. Plusieurs victimes ont aussi fait état de tentatives de tractation initiées par leurs tortionnaires afin qu’elles retirent leur plainte. D’autres ont eu droit à une approche plus brutale, caractérisée par des menaces et du harcèlement policier[15]. La situation est particulièrement délicate pour les victimes économiquement et socialement marginalisées. Il est facile pour les autorités de fabriquer de fausses accusations pour les faire arrêter et faire pression sur elles afin qu’elles renoncent à obtenir justice.

Enfin, dans les rares affaires où l’instruction a été menée à son terme, le juge a minimisé les faits en les qualifiant de délit de violence et non de crime de torture.


[1] ACAT-France, Un mineur victime de torture, Appel urgent du 4 juin 2014, http://www.acatfrance.fr/action/tunisie-wassim-ferchichi-15-ans-victime-de-torture

[2] ACAT-France et TRIAL, Justice en Tunisie : un printemps inachevé, 2014, pp. 20-21, https://www.acatfrance.fr/public/rapport_tunisie_printemps_inacheve_2014_acat.pdf

[3] ACAT-France, Tunisie – Justice : année zéro, 2015, p. 26.

[4] Human Rights Watch, Tunisie : Des chanteurs de rap condamnés à des peines de prison, 5 septembre 2013, http://www.hrw.org/fr/news/2013/09/05/tunisie-des-chanteurs-de-rap-condamnes-des-peines-de-prison

[5] Observatoire pour la protection des défenseurs des droits de l’Homme, Plusieurs défenseurs des droits humains agressés par les forces de l'ordre et victimes de poursuites abusives, Communiqué du 1er octobre 2014, http://www.omct-tunisie.org/communiques/communique-de-presse-lobservatoire-tunisie-plusieurs-defenseurs-des-droits-humains-agresses-par-les-forces-de-lordre-et-victimes-de-poursuites-abusives/

[6] ACAT-France, op. cit., p. 15.

[7] Kapitalis, Le calvaire de Yacine, agressé par un policier à Hammamet, 15 août 2014, http://www.kapitalis.com/societe/24048-le-calvaire-de-yacine-agresse-par-un-policier-a-hammamet.html

[8] ACAT-France, Une nouvelle victime de la lutte antiterroriste, Appel urgent du 6 octobre 2014, http://www.acatfrance.fr/actualite/une-nouvelle_victime_de_la_lutte_antiterroriste

[9] Human Rights Watch, Cracks in the System : Conditions of Pre-Charge Detainees in Tunisia, 2013, p. 33.

[10] ACAT-France, Torturé au nom de la lutte antiterroriste, Appel urgent du 25 octobre 2014, http://www.acatfrance.fr/action/torture-au_nom_de_la_lutte_antiterroriste.

[11] ACAT-France, op. cit., pp. 37-42.

[12] Il s’agit des crimes de torture, disparition forcée, homicide volontaire, violence sexuelle et peine de mort prononcée à l’issue d’un procès inéquitable.

[13] ACAT-France, op. cit, pp 20-21.

[14] ACAT-France, op. cit, pp. 27-28.

[15] ACAT-France et TRIAL, op. cit, voir les cas de Ramzi Romdhani, Slim Boukhdhir, Sidqî Halimi et Zyed Debbabi.

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