Brésil
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Contexte
Les élections présidentielles de 1985 ont mis un terme à plus de vingt ans d’une des dictatures militaires les plus répressives d’Amérique latine (1964-1985), marquée par l’épuration des milieux de l’opposition et l’usage systématique de la torture comme arme de lutte contre la subversion.
Malgré la démocratisation du pays et les réformes sociales, la population connaît une situation socio-économique très difficile. Des inégalités profondes demeurent, engendrant une forte criminalité, particulièrement dans les favelas (bidonvilles) et les banlieues pauvres des mégalopoles (telles que São Paulo et Rio de Janeiro) en proie à une très grande misère. Ce contexte favorise les trafics illégaux en tous genres (drogues, armes) organisés par des gangs criminels armés et par les « milices », et entretient une insécurité permanente. Les forces de police, confrontées à une extrême violence, rongées par une corruption endémique et au sein desquelles règne une impunité de fait, seraient responsables d’au moins un sixième des homicides.
Les personnes luttant pour leur droit à un logement décent et à la terre, dont des membres des communautés indigènes, des paysans sans terre et des squatters urbains, sont victimes de graves violations des droits de l’homme dont la majorité restent impunies : tortures, assassinats, exécutions extrajudiciaires. En moyenne, 50 000 homicides sont commis par an sur une population de 194 millions de personnes.
La torture fut systématiquement utilisée sous la dictature militaire pour réprimer les opposants et demeure routinière au sein des forces de l’ordre (polices civile et militaire). Bien que le Brésil ait signé les principaux instruments visant à prévenir et réprimer cette pratique, celle-ci continue à être employée en toute impunité, le système fédéral ne facilitant pas l’harmonisation des législations en la matière. Le rapporteur spécial des Nations unies sur la torture a qualifié la torture de « systématique » dans les lieux de détention et les postes de police de São Paulo lors de sa dernière visite en 2000. Bien que prévus dans le Programme national des droits de l’homme approuvé au mois de mai 2010, les mécanismes nationaux de prévention nécessaires à l’application du Protocole facultatif se rapportant à la Convention contre la torture n’ont à ce jour toujours pas été mis en place.
Victimes
Les principales victimes de la torture au Brésil sont des paysans et des membres de communautés indigènes revendiquant leur droit à la terre, des défenseurs des droits de l’homme, des journalistes dénonçant les agissements crapuleux des milices et de la police. Les personnes issues de milieux défavorisés (en particulier, les jeunes noirs et les métisses) sont également susceptibles de subir des tortures lorsqu’elles sont arrêtées, notamment lors d’opérations d’envergure menées par la police dans les favelas.
En mai 2008, dans la favela Batan à Rio de Janeiro, trois journalistes brésiliens accompagnés de leur guide, lui-même issu de cette favela, ont été enlevés par des miliciens alors qu’ils enquêtaient secrètement sur les agissements de milices collaborant avec la police. En guise de représailles, les miliciens les ont tabassés, électrocutés et les ont asphyxiés avec des sacs plastiques. Forcés de jouer à la roulette russe, ils ont été menacés de mort et d’abus sexuels. Cette affaire a poussé les autorités à créer une commission d’enquête parlementaire qui a publié en décembre 2008 un rapport détaillé sur les milices des favelas.
Tortionnaires et objectifs
Les tortionnaires sont connus tant de la population que des autorités. Il s’agit principalement des trois polices de l’État : la police civile, la police fédérale et la police militaire. La persistance d’une culture acceptant les abus perpétrés par les agents de l’État, d’une tradition de violence au sein des forces de sécurité et l’impunité de fait dont bénéficient les auteurs de ces actes sont à l’origine du phénomène tortionnaire au Brésil. À ces facteurs s’ajoutent une formation insuffisante et une corruption importante des forces de sécurité favorisant le recours à des méthodes violentes.
La torture a pour objectif l’obtention d’aveux, l’intimidation de suspects, l’extorsion d’argent ou la punition de toute personne perçue comme une menace au maintien des intérêts, pécuniaires ou politiques, des commanditaires des sévices. Dans les centres de détention, elle vise également au maintien de la discipline et à punir.
Il est courant que les milices tout comme les gangs séquestrent et torturent des individus pour des motifs crapuleux. Les gangs du PCC (Premier commandement de la capitale) et le Red Command de São Paulo sont tristement célèbres pour leur violence et pour les tortures qu’ils infligent à leurs victimes. Il arrive également que des prisonniers torturent leurs codétenus, voire des gardiens de prison lors de mutineries.
Méthodes et lieux
Les auteurs de torture recourent fréquemment à la méthode du telefone qui consiste à frapper les oreilles de la victime jusqu’à provoquer sa surdité temporaire, à la méthode nommée pau de arara (« perchoir du perroquet », encore appelée « poulet rôti »), ou à l’électrocution de la victime, notamment sur les organes génitaux. La palmatoria, pratique héritée de l’esclavage, consiste à tabasser la victime avec un ustensile en bois de forme plate (qui sert habituellement à tenir des chandelles).
Les victimes risquent la torture à tout moment et à tous les stades de la détention : arrestation, garde à vue, détention provisoire, incarcération. Les actes de tortures ne sont en principe pas étalés dans le temps, mais durent quelques heures. La torture est utilisée à grande échelle dans les institutions pénitentiaires du pays.
Conditions de détention
Les conditions de détention dans les prisons brésiliennes s’apparentent à des traitements cruels, inhumains et dégradants. Elles sont surpeuplées (45 % des détenus sont en détention provisoire) et les conditions de vie y sont très dures : les cellules empestent, sont sales, sombres, manquent d’air et de lumière. La plupart des prisons sont dépourvues d’installations sanitaires minimales. La nourriture y est insuffisante et de mauvaise qualité, les soins médicaux sont inadéquats, sinon inexistants. Les activités dédiées à la réinsertion et les possibilités de formation ou de travail pour les détenus sont rares.
La violence y est omniprésente, parmi les détenus, entre détenus et gardiens : émeutes, trafics de drogues, détention d’armes, assassinats, viols et tortures sont choses communes. Cette situation résulte non seulement de l’influence des gangs dont certains membres poursuivent leurs activités depuis leur lieu de détention, mais aussi d’une surveillance insuffisante et d’une corruption importante parmi les gardiens.
L’État d’Espiritu Santo s’illustre par la cruauté des conditions de détention régnant au sein de ses prisons. Des organisations de défense des droits de l’homme ont fait état d’une surpopulation extrême et de l’enfermement de prisonniers dans des containers (surnommés « micro-ondes ») en guise de cellules. Dans une prison de cet État, les gardiens ont soumis une femme enceinte à des chocs électriques au niveau de l’abdomen. Les détenus blessés à la suite des tortures infligées par les gardiens de prison ne reçoivent pas les soins appropriés et restent infectés pendant plusieurs jours.
En 2009, près de 60 000 personnes étaient détenues dans les postes de police du pays dans lesquels les conditions sont tout autant sinon plus dures (enfermement 24 heures sur 24). Lors de sa dernière visite en 2000, le rapporteur spécial des Nations unies sur la torture a fait état du surpeuplement des cellules, notamment au poste du 11ème district de São Paulo dans lequel 35 personnes étaient entassées dans 12 m².
Pendant des années, les centres de détention pour mineurs ont été dénoncés par les organisations de défense des droits de l’homme et par la communauté internationale comme étant un véritable enfer. En novembre 2005, la Cour a ordonné au Brésil de « prendre sans délai les mesures nécessaires afin de prévenir tout traitement cruel, inhumain ou dégradant vis-à-vis de détenus mineurs ». À la suite de nombreuses condamnations, le gouvernement fédéral a procédé fin 2007 à une réorganisation des centres de détention pour mineurs. La situation s’est légèrement améliorée. De nouveaux centres ont été créés pour répondre à la surpopulation. Les ONG ont désormais la possibilité de s’y rendre pour mener des visites et s’entretenir en privé avec les jeunes détenus. Néanmoins, les violences et les mauvais traitements se poursuivent, le personnel demeurant inchangé. Lors de la visite en 2009 d’un centre de détention pour adolescents, les membres de l’ONG Justice Globale ont constaté que des jeunes étaient maintenus en cellule d’isolement sans pouvoir sortir.