Un monde tortionnaire

Rép. démocratique du Congo


Fiche publiée en 2010

Les cas de sévices et de mauvais traitements sont nombreux : la torture est appliquée en RDC de façon « ordinaire ». La dérive autoritaire, perceptible dès les premiers mois de la présidence de Joseph Kabila, n’a depuis lors fait que s’accentuer. Les violations quotidiennes des droits de l’homme sont ponctuées d’opérations de répression de grande ampleur, se caractérisant par un usage excessif de la force létale, par de nombreuses exécutions sommaires et par un nombre important d’arrestations et de détentions arbitraires suivies d’actes de torture et de condamnations à des peines de prison à la suite de procès iniques.

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Contexte

La République démocratique du Congo (RDC) est un pays-continent à la dérive. Malgré ses formidables potentialités, tant économiques (très nombreux gisements de minerais) qu’humaines (pays francophone le plus peuplé au monde avec plus de 68 millions d’habitants en 2010), ce pays a connu une suite d’errements politiques accompagnés de violations massives des droits de l’homme et de conflits interethniques : une colonisation belge répressive, une indépendance sanglante en 1960, une dictature « mobutiste » violente jusqu’en 1997 et une succession de rébellions dévastatrices dans l’est du pays, avec des implications régionales dans un contexte de génocide au Rwanda et de conflits dans la région des Grands lacs (Ouganda, Burundi). Un espoir naît avec la période de transition démocratique initiée par la signature de l’Accord global et inclusif (AGI) par les parties en conflit le 17 décembre 2002 à Pretoria (Afrique du Sud), et qui s’achève avec la promulgation d’une nouvelle constitution le 18 février 2006 et la tenue des premières élections multipartites depuis l’indépendance du pays. À l’issue d’un scrutin à deux tours, Joseph Kabila, soutenu par l’Alliance pour la majorité présidentielle (AMP), est investi président de la RDC le 11 décembre 2006.

Toutefois, la dérive autoritaire est perceptible dès les premiers mois de la nouvelle présidence de Joseph Kabila et n’a, depuis lors, fait que s’accentuer. Les violations quotidiennes des droits de l’homme sont ponctuées d’opérations de répression de grande ampleur, se caractérisant par un usage excessif de la force létale, par de nombreuses exécutions sommaires et par un nombre important d’arrestations et de détentions arbitraires suivies d’actes de torture et de condamnations à des peines de prison à la suite de procès iniques.

Les provinces du Nord-Kivu et du Sud-Kivu, ainsi que le district d’Ituri (Province orientale) demeurent en proie à des affrontements réguliers entre divers groupes rebelles armés (Forces démocratiques de libération du Rwanda – FDLR –, rébellion d’origine rwandaise ; Armée de résistance du seigneur – Lord’s Resistance Army, LRA –, rébellion d’origine ougandaise) et les Forces armées de la RDC (FARDC). Ces régions sont le théâtre de nombreuses violations des droits de l’homme perpétrées par les deux camps contre la population locale, dont de nombreuses violences sexuelles. Depuis 1998, 5,4 millions de personnes ont péri en RDC, selon International rescue committee (IRC) : c’est le conflit le plus meurtrier depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale.

Les cas de torture sont nombreux : la torture est appliquée en RDC de façon « ordinaire ». Un rapport conjoint de la FIDH, du groupe Lotus, de la Ligue des électeurs et de l’Association africaine de défense des droits de l’homme (ASADHO) qualifie même de « systématique » la pratique de la torture en RDC. La RDC est partie aux principaux instruments internationaux en matière de protection des droits de l’homme, notamment la Convention des Nations unies contre la torture. Ce pays n’a cependant pas ratifié la Convention internationale contre les disparitions forcées, ni le Protocole facultatif à la Convention contre la torture permettant l’inspection des lieux de détention par un organisme indépendant. La RDC a présenté son rapport initial au Comité contre la torture en 2005, avec huit ans de retard. La dernière visite du rapporteur spécial sur la torture dans ce pays, alors nommé Zaïre, remonte à 1990.

Pratiques de la torture

Victimes

Les personnes perçues comme critiques à l’égard du gouvernement sont particulièrement visées par la torture, spécialement lorsqu’elles ont publiquement affiché leurs positions (défenseurs des droits de l’homme, syndicalistes, journalistes, opposants politiques). Les prisonniers de droit commun et les militaires (particulièrement ceux qui sont originaires de la même province que l’opposant Jean-Pierre Bemba, la province Équateur) sont également des victimes potentielles, tout comme la population civile localisée dans les zones de conflit (est et nord-est du pays).

En 2009, l’ACAT-France est intervenue en faveur de Mulumba Kapepula, syndicaliste et agent de la Société nationale des chemins de fer au Congo (SNCC), arrêté, puis torturé par des éléments de l’Agence nationale de renseignement (ANR) le 16 mars 2009 à Lubumbashi. Il avait critiqué en public le président de la République à propos des primes élevées accordées aux joueurs de l’équipe nationale de football, alors que les travailleurs de la SNCC ne touchaient pas leur salaire depuis 36 mois. Pendant sa détention au bureau national de l’ANR du Katanga, Mulumba Kapepula a été longuement torturé par des membres de l’ANR et de la Police nationale congolaise (PNC) : électrocution, coups de poing et de pied au visage et au bas-ventre, doigts et testicules pressés, bastonnade avec fouet et morceaux de brique, privation de nourriture et d’eau. Le 5 juin 2009, faute de preuves permettant de l’inculper pour « offense au chef de l’État », Mulumba Kapepula a été relaxé par le tribunal de Lubumbashi, puis libéré. Il a déposé plainte au parquet de Lubumbashi pour les actes de torture subis. Aucune enquête n’a cependant été entreprise.

L’ACAT-France est également intervenue en faveur de Norbert Luyeye Binzunga, président du parti politique de l’Union des républicains (UR), arrêté le 4 mars 2009 à Kinshasa sur ordre de l’administrateur général de l’ANR, après avoir été accusé d’injures publiques contre le président. Transféré au cabinet de l’administrateur général de l’ANR, il a été torturé jusqu’à ce qu’il perde connaissance. Poursuivi pour « atteinte à la sûreté de l’État » et « propagation de faux bruits », il a été acquitté et libéré le 5 septembre 2009 par le tribunal de paix de Kinshasa/Ndjili. Aucune enquête n’a été menée à la suite des allégations de torture et des autres mauvais traitements subis par Norbert Luyeye Binzunga lors de sa détention.

Tortionnaires et objectifs

Si la torture peut être utilisée à des fins personnelles (assouvir ses désirs sexuels, sa soif de pouvoir, arrondir ses fins de mois), elle est essentiellement utilisée en RDC à des fins politiques contre les opposants au régime ou les défenseurs des droits de l’homme.

En RDC, toutes les forces de sécurité, parmi lesquelles des policiers (PNC), militaires (FARDC, Garde républicaine – GR –, Groupe spécial de sécurité présidentielle), membres des services de renseignement (ANR, Direction de sécurité et de renseignement – DSR –, Direction des renseignements généraux et services spéciaux de la police – DRGS), ainsi que les groupes rebelles, pratiquent la torture : les tortures sont en majorité commises par les forces de sécurité dont les prérogatives et fonctions ne sont pas précisément définies – la Police d’intervention rapide (PIR, unité spéciale de la PNC), la Direction générale des services spéciaux de la police (autre unité spéciale de la PNC), la Garde présidentielle (sous le commandement direct de la présidence de la République), l’ANR et l’état-major des renseignements militaires – mais qui, dans les faits, sont dotées de pouvoirs d’arrestation, de mise en détention et d’enquête.

L’ANR est particulièrement redoutée du fait d’un usage quasi systématique de la torture à l’encontre des personnes qu’elle détient. Placée sous l’autorité des services présidentiels, l’ANR est en principe uniquement habilitée à enquêter sur les infractions portant atteinte à la sûreté de l’État. Elle sort pourtant régulièrement de ses attributions en se substituant aux instances judiciaires et policières compétentes. Les agents de l’ANR procèdent ainsi en toute impunité à des arrestations arbitraires de sympathisants de l’opposition, de membres de la société civile, de journalistes, ou encore de personnes soupçonnées d’infractions de droit commun.

Dans le cadre du conflit prévalant dans l’est du pays et du fait de l’absence d’autorité étatique, les groupes rebelles et les groupes de bandits détiennent des prisonniers (paysans, commerçants, enfants), souvent dans le but d’obtenir une rançon de la part de leur famille, et tout comme les forces de sécurité congolaises, se rendent coupables d’assassinats, d’enlèvements, de viols et de tortures contre des civils. La torture est non seulement utilisée pour extorquer des aveux ou des renseignements, mais également à des fins de représailles : des civils sont ainsi fréquemment torturés par les FARDC pour avoir prétendument collaboré avec les groupes rebelles, ou par les groupes rebelles pour avoir prétendument collaboré avec les forces gouvernementales.

La torture est également utilisée comme arme de terreur contre la population, afin de la chasser d’un territoire convoité pour ses richesses naturelles ou pour la remplacer par une autre population.

Méthodes et lieux de torture

Les techniques utilisées par les divers acteurs de la torture en RDC sont extrêmement variées : tabassages, suspensions, électrocutions, viols, esclavage sexuel.

Les tortures sont fréquemment commises dans des centres secrets de détention tenus par les forces de sécurité et services de renseignement, tels que l’ANR, la DSR ou la DRGS.

En contradiction avec la décision présidentielle du 8 mars 2001 interdisant tout lieu de détention non soumis au contrôle du pouvoir judiciaire, l’ANR détient de nombreux prisonniers dans des cachots secrets. Ces lieux de détention, dont les services responsables nient l’existence, échappent à tout contrôle et deviennent aisément le lieu de traitements cruels, inhumains et dégradants. En 2006, date du dernier examen du rapport de la RDC devant le Comité contre la torture, ce dernier s’est inquiété de la persistance de « lieux de détention occultes » où des militaires et des responsables de l’application des lois infligeraient couramment des tortures et des mauvais traitements aux personnes détenues. Les groupes rebelles possèdent eux aussi des cachots illégaux où ils enferment les personnes enlevées dans l’attente de rançons.

Le viol comme arme de guerre

En RDC, différents groupes armés utilisent les violences sexuelles comme une arme de guerre contre la population civile. Programmées et utilisées de manière systématique, ces violences sexuelles visent à détruire l’individu et sa communauté entière. Les crimes sexuels servent également de récompense pour les miliciens. Selon les Nations unies, plus de 170 femmes issues de 13 villages ont ainsi été violées par des membres de groupes armés, notamment des FDLR, entre le 30 juillet et le 2 août 2010, dans la région de Walikale, dans le Nord-Kivu. Les informations recueillies indiquent que ces viols étaient organisés et systématiques, le long d’une portion de route de 21 kilomètres. Les assaillants avaient bloqué la route et empêché les villageois d’atteindre les communications extérieures pour demander de l’aide.

Selon les statistiques de l’UNFPA, le nombre d’agresseurs parmi la population civile a augmenté à la suite des années de conflits, de la désorganisation des cellules familiales et communautaires et du fait de l’impunité presque totale pour les auteurs de violences sexuelles. Cependant, dans les zones où le conflit est toujours en cours (provinces du Nord-Kivu et du Sud-Kivu), la grande majorité des agresseurs est toujours constituée de soldats, dont beaucoup font partie de l’armée congolaise. Pour les Nations unies, les viols systématiques peuvent constituer des crimes de guerre et contre l’humanité.

Pratiques de la détention

Légalité des détentions

Le maintien excessivement prolongé de milliers de personnes en détention provisoire est l’une des principales causes de la surpopulation carcérale. Il n’existe pas de statistiques fiables sur le sujet, mais selon le Haut-commissariat des droits de l’homme des Nations unies (HCDHNU), près de 80 % des détenus seraient en instance de procès. Cette situation résulte des graves dysfonctionnements de l’appareil judiciaire, notamment de durées d’instruction et de délais d’audiencement très longs. Des milliers d’individus restent des mois, voire des années, en détention avant d’être libérés ou jugés. Certains magistrats, notamment au sein des juridictions militaires – destinées à juger les militaires et les personnes ayant fait usage d’armes de guerre –, font preuve d’une extrême sévérité en prononçant des peines de vingt ans d’emprisonnement, voire la perpétuité, pour des infractions mineures telles que l’abandon de poste. La procédure de libération conditionnelle est sous-utilisée.

Conditions de détention

Les conditions de détention en RDC sont désastreuses et contraires aux normes internationales de protection des droits des détenus, comme aux normes édictées par les textes nationaux.

Les prisons sont surpeuplées. En septembre 2009, le Centre pénitentiaire et de rééducation de Kinshasa (CPRK), la plus grande prison du pays, comptait 4 000 détenus, selon le directeur adjoint du CPRK – pour une capacité d’accueil de 1 200. La quasi-totalité des centres de détention en RDC ne reçoit aucun budget de l’État pour la nourriture ou pour les soins médicaux. Les détenus dépendent donc de l’assistance de leur famille ou des organisations humanitaires. Les décès dus à la malnutrition ou à des pathologies curables sont fréquents. Dans la majorité des cas, les centres de détention et cachots sont dépourvus d’eau, d’électricité, d’installations sanitaires et d’un nombre suffisant de cellules ou de matelas. Les bâtiments sont sales, exigus, délabrés, mal aérés et sombres. La plupart des prisons ont été construites pendant l’ère coloniale et certains bâtiments tombent en ruine.

La séparation entre hommes, femmes et mineurs n’est pas assurée dans toutes les prisons. Dans la prison de Mbandaka, tous sont enfermés dans une même enceinte et partagent le même dortoir la nuit, ce qui entraîne des risques de viols. Les personnes placées en détention provisoire ne sont pas séparées des condamnés.

Peu de progrès ont été effectués depuis la dernière publication, en 2005, par la Mission des Nations unies en RDC (MONUC), d’un rapport accablant sur l’état des centres de détention et des cachots : ce rapport dressait un constat particulièrement préoccupant en assimilant les prisons du pays à des « mouroirs » et affirmait que, compte tenu de la malnutrition, un séjour même réduit en prison équivalait, en certains endroits du pays, à une condamnation à mort. Selon le HCDHNU, 44 personnes seraient mortes en détention au CPRK du fait de la malnutrition et du défaut de médicaments entre janvier et août 2009.

S’agissant des sanctions en prison, la MONUC signalait en 2005 la mise au cachot pour une période pouvant aller jusqu’à quarante-cinq jours, l’utilisation de chaînes pour attacher les détenus punis et de fouets pour réprimer les détenus indisciplinés. Ces pratiques sont prévues par le règlement pénitentiaire, ouvrant la porte aux abus de toutes sortes. Faute de gardiens de prison, ce sont souvent des détenus qui assurent la sécurité, certains d’entre eux n’hésitant pas à abuser de leur pouvoir en rackettant les autres détenus.

Législation et pratiques judiciaires

Condamnation de la torture en droit interne

Compte tenu du défaut d’application par les cours et tribunaux congolais du principe de primauté du droit international dans l’ordre juridique national, pourtant affirmé par la Constitution, l’absence d’incrimination de la torture en droit interne est particulièrement problématique. Comme le relève le dernier rapport du Comité contre la torture sur la RDC, le droit congolais ne prévoit aucune définition de la torture conforme à celle de l’article 1er de la Convention contre la torture de 1984.

Si l’article 16 de la Constitution de 2006 prévoit que « nul ne peut être soumis à un traitement cruel, inhumain ou dégradant », aucune mention n’est faite de la torture. Selon l’ASADHO, « l’omission (involontaire ou délibérée) du terme “torture” constitue un véritable recul en matière de protection des droits de l’homme, d’autant que les traitements cruels, inhumains ou dégradants sont une violation des droits de l’homme d’un degré moindre que la torture. » L’article 61 de la Constitution précise de manière contradictoire qu’« en aucun cas, et même lorsque l’état de siège ou l’état d’urgence aura été proclamé conformément aux articles 85 et 86 de la présente Constitution, il ne peut être dérogé aux droits et principes fondamentaux énumérés ci-après : […] l’interdiction de la torture et des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. »

La torture ne fait pas l’objet d’une incrimination autonome, mais est uniquement envisagée par le droit pénal congolais en tant que circonstance aggravante d’autres infractions : l’article 67 alinéa 2 du code pénal réprime la torture seulement lorsqu’elle est commise dans le cadre de détentions arbitraires ou de détentions illégales, privant de tout recours les autres victimes de torture.

Un projet de loi portant pénalisation de la torture, élaboré en 2004, modifiant et complétant le code pénal pour intégrer pleinement la Convention contre la torture dans la législation nationale, a été déposé pour examen à l’Assemblée nationale en octobre 2004 par deux députés. Il n’a cependant toujours pas été examiné.

Répression des auteurs de torture et de violences sexuelles

Aucun cadre légal de répression de la torture n’étant prévu en droit interne, de nombreux actes de torture sont commis sans que leurs auteurs ne soient jamais poursuivis en justice.

Lorsque ceux-ci sont déférés devant la justice, ils comparaissent non pas sous l’incrimination de torture, mais sur la base d’autres infractions, telles que les arrestations arbitraires suivies de tortures ou les coups et blessures volontaires. Or ces infractions ne rendent pas compte des différents éléments constitutifs de la torture et notamment des souffrances aiguës auxquelles sont soumises les victimes.

Depuis 1996, 200 000 cas de violences sexuelles ont été dénombrés officiellement. Plusieurs plaintes ont été déposées et 24 personnes ont été condamnées à des peines allant de deux à dix ans de prison. Néanmoins, dans la grande majorité des cas, l’impunité prévaut. Le gouvernement congolais a promulgué des lois sur les violences sexuelles et a annoncé une politique de tolérance zéro pour l’armée. Toutefois, l’application de ces lois laisse à désirer. Le gouvernement n’a pas encore prouvé sa volonté politique de s’atteler à certaines questions primordiales telles que l’impunité des commandants de haut rang et la réforme de l’armée.

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