Kimoka Nabeza, Aline Uwineza et Queen Nabeza, animatrices au sein de l’association « Tous pour la paix et la cohésion sociale », vivent dans la clandestinité dans l’est de la République démocratique du Congo (RDC) suite aux violences et menaces de mort à leur encontre. L’une de leurs collègues, Aimé Nyiramudasumba, a été assassinée récemment. Les autorités congolaises doivent immédiatement assurer leur protection et celle de leurs familles.
Qu’est-il arrivé à ces défenseures des droits ?
« Tous pour la paix et la cohésion sociale » est une association congolaise fondée par des femmes de la communauté Banyamulenge. L’association mène des activités de consolidation de la paix, de promotion de la cohésion sociale et des droits humains auprès de diverses communautés présentes sur les hauts et moyens plateaux du territoire de Fizi, dans la province du Sud-Kivu. Depuis janvier 2024, des personnes issues des communautés Fuliru et Bembe accusent l’association et ses membres d’être des espions à la solde des groupes armés Gumino et Twigwaneho.
L’enfer des défenseures : entre intimidations et violences physiques
Le 8 février 2024, les bureaux de l’association ont été fouillés par des membres du groupe armé Biloze Bishambuke à la recherche d’armes à feu. Kimoka Nabeza, Aline Uwineza, Queen Nabeza et Aimé Nyiramudasumba, animatrices au sein de l’association, ont été accusées de loger des membres des groupes armés Gumino et Twigwaneho. Peu de temps après, plusieurs courriers d’intimidation ont été envoyés à l’association lui enjoignant de suspendre ses activités. Début mars, les animatrices ont commencé à être molestées et attaquées physiquement lors d’activités menées sur le terrain. Le 18 mars, en pleine nuit, Kimoka Nabeza, Aline Uwineza, Queen Nabeza et Aimé Nyiramudasumba ont été enlevées à leurs domiciles respectifs. Elles ont été relâchées au cours du mois suivant. Durant leur captivité, elles ont fait l’objet d’actes de torture et de violences sexuelles. À leur retour, les menaces de mort ont continué et le 25 avril, les mères de deux d’entre elles ont été à leur tour enlevées par des individus cagoulés à Bitimbwangoma. Elles ont retrouvé la liberté début mai, après avoir, elles aussi, subi des actes de torture et des violences physiques. Le 7 août, aux alentours de 5 heures du matin, dans le village de Rugezi, deux membres du groupe armé Biloze Bishambuke ont ouvert le feu à l’intérieur de la maison d’Aimé Nyiramudasumba. Shukurada Bipemacho, âgée de 14 ans, sœur cadette de la défenseure, a été mortellement touchée par balles. Dans les jours suivants, les défenseures ont reçu à nouveau des appels d’intimidation et des menaces de mort. Elles sont rentrées toutes les quatre en clandestinité pour se protéger. Le 22 août, les maisons des parents de Queen Nabeza et Aimé Nyiramudasumba ont été incendiées dans le village de Nyangebyuma. Le 15 novembre 2024, des membres d’un groupe armé ont retrouvé Aimé Nyiramudasumba et l’ont assassinée, elle et sa fille âgée de cinq ans. Ses collègues, Kimoka Nabeza, Aline Uwineza et Queen Nabeza, vivent aujourd’hui dans la peur d’être retrouvées et assassinées à leur tour. Jusqu’à ce jour, les autorités locales, bien qu’informées de la situation notamment via divers organes des Nations unies – qui ont émis des alertes en mai puis septembre 2024 – n’assurent pas la protection de ces trois défenseures en danger de mort.
Contexte
La République démocratique du Congo (RDC) est un pays doté d’une grande richesse en ressources naturelles. Cependant, depuis le milieu des années 90, cette abondance a été à l’origine de conflits armés qui ont aggravé les violations des droits humains. L’est du pays, en proie à la guerre, est aujourd’hui confronté à une crise prolongée des droits humains. Cette situation est caractérisée par des crimes de masse, des exécutions extrajudiciaires, des violences sexuelles, des recrutements d’enfants soldats et des déplacements forcés de populations. Les personnes responsables de ces exactions appartiennent à des groupes armés ou à des armées nationales, qu’elles soient congolaises ou issues des pays voisins tels que le Rwanda, le Burundi ou l’Ouganda.
Une loi insuffisante sur la protection des défenseurs des droits humains
Dans ce climat, les défenseurs des droits humains s’efforcent de documenter et de dénoncer ces abus. Cependant, leur travail est entravé par une insécurité permanente, marquée par des menaces, des violences à leur égard, un manque de protection efficace de l’État et une impunité généralisée. En 2023, la RDC a adopté une loi sur la protection des défenseurs des droits humains, qui répond aux normes internationales minimales et qui devrait normalement assurer une protection particulière aux femmes défenseures des droits humains, ainsi qu’une protection physique de l’ensemble des défenseurs des droits humains et de leurs familles.
Un environnement dangereux
Pour l’année 2024, la Rapporteuse spéciale sur la situation des défenseurs des droits de l’Homme, Mary Lawlor, a déclaré « les attaques, les intimidations et les assassinats de défenseurs des droits humains se poursuivent quotidiennement en RDC, malgré les appels répétés aux autorités à intensifier leurs efforts pour enquêter sur les violations des droits humains dans le pays, arrêter et traduire les auteurs en justice ». Entre juin 2023 et avril 2024, le Bureau conjoint des Nations Unies pour les droits de l’Homme en RDC a documenté des cas d’intimidation, de menaces de violence physique, d’attaques et d’actes de représailles visant 387 défenseurs des droits humains et 67 journalistes, ces actes étant perpétrés tant par des agents de l’État que par des groupes armés.
Une insécurité persistante dans le territoire de Fizi
La situation dans le territoire de Fizi, situé dans la province du Sud-Kivu, reste extrêmement préoccupante en raison d’une insécurité persistante. La région souffre de conflits intercommunautaires cycliques ayant leurs racines dans des disputes relatives à la gestion de la migration pastorale et à la compétition pour la terre et le pouvoir politique, opposant la communauté Banyamulenge aux communautés Bafuliiru, Banyindu et Babembe, habitant les hauts plateaux. Les questions autour de la nationalité, liées aux origines de la communauté Banyamulenge, sont souvent utilisées pour attiser la haine et la violence. Les Banyamulenge, qui sont d’ethnie Tutsi, sont régulièrement considérés comme des « étrangers » par les autres communautés et non comme Congolais. Ces discours de haine attisent les tensions dans une zone qui est déjà en proie à la violence par des groupes armés et une méfiance envers l’État, représenté de manière prédominante par ses militaires. L’impunité et les difficultés pour les victimes d’accéder à la justice apparaissent comme un facteur supplémentaire contribuant à l’insécurité actuelle.