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Prisons : l'éternel recommencement ?

Construire davantage ne permet pas de résoudre la surpopulation carcérale : tel est le constat du Livre blanc publié en avril 2017. Toutefois, ce rapport s'entête aussi dans un paradoxe en préconisant l'accroissement du parc pénitentiaire français.
15770405382_a2e51648ff_z Flickr - Martin Beaumont

Le 4 avril dernier, l’ancien sénateur Jean-René Lecerf a remis un Livre Blanc sur l’immobilier pénitentiaire au garde des Sceaux. Ce rapport, commandé par le gouvernement en 2016, met en lumière tout l'incohérence de la politique pénale et carcérale française, notamment en matière de surpopulation : « Si le nombre de places en établissements pénitentiaires s’est accru ces dernières années, cette augmentation s’est  accompagnée  d’une  croissance  encore  supérieure  du  nombre  des  personnes incarcérées. » Le constat issu du Livre blanc semble simple : construire davantage ne permet pas de résoudre le problème de la surpopulation carcérale. Cependant, quelques pages plus loin, il préconise la construction de 17 000 places supplémentaires. Cette position est dangereuse : en augmentant constamment la capacité du parc pénitentiaire, la priorité va à l’investissement, au détriment des moyens alloués à l’insertion ou aux alternatives à la détention, qui sont de plus en plus chétifs.

Maux anciens dans les prisons

Les seules perspectives qu’offre le Livre blanc s’inscrivent sur le long-terme : résorber la surpopulation carcérale et permettre à chaque détenu de disposer d’une cellule individuelle, à l’issue d’un nouveau programme de construction qui sera mis en œuvre d’ici huit à dix ans. Silence radio sur les moyens d’y parvenir. Des mesures concrètes de court-terme et moins onéreuses pourraient toutefois être envisagées, comme le recommande l’ACAT depuis plusieurs années : aménagement des courtes peines et sanctions alternatives à la détention, comme le sursis ou le placement sous surveillance électronique. Ces mesures favoriseraient, dans le même temps, la réinsertion et la prévention de la récidive, comme la libération conditionnelle qui permettrait, par exemple, un retour progressif et accompagné à la vie extérieure. Dans les prisons surpeuplées, il n’est pas rare qu’une personne détenue sorte de détention sans avoir pu rencontrer son conseiller pénitentiaire d’insertion et de probation qui, parce qu’il assure le suivi des personnes condamnées par la justice, joue un rôle fondamental dans leur réinsertion. Aujourd’hui, 80% des détenus sortent sans accompagnement. De même, de nombreuses études ont montré que les risques de récidive étaient beaucoup plus élevés que si leur peine avait été aménagée : 63% sont recondamnés dans les cinq ans, contre 45% autrement.

Pourtant, les maux relevés dans les prisons françaises ne sont pas récents, surtout lorsqu’il s’agit de surpopulation et de conditions de vie. En novembre 2015, une délégation du Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT) du Conseil de l'Europe s’est rendue en France pour visiter plusieurs établissements des forces de l’ordre, prisons et établissements de santé, et rencontrer des membres de la société civile, dont l’ACAT. L’objectif était d’examiner la situation des personnes privées de liberté et d’adresser des recommandations à l’État français. Quel triste tableau elle dressait alors : droit à disposer d’une cellule individuelle totalement bafoué dans certaines prisons comme celles de Fresnes, du Val-de-Marne ou de Nîmes, conditions de détention inhumaines (moisissures, rats, punaises de lit, cafards…), mauvais traitements infligés par les policiers lors d’interpellations, etc. À la publication du rapport du CPT, en avril 2017, sept établissements avaient une densité de population supérieure ou égale à 200 % et le nombre de 69 430 détenus était atteint dans les prisons françaises  : un triste et nouveau record.

Sécurité contre réinsertion ?

Malgré les avertissements répétés de divers organismes, autorités, associations, à l’instar du CPT, la situation semble se répéter inlassablement. Le CPT n'a pas hésité à signaler l'inaptitude de la France à corriger ses erreurs : « Le Comité constate avec préoccupation que plusieurs recommandations importantes, formulées de longue date, n’ont toujours pas été mises en œuvre, notamment concernant les conditions matérielles de détention dans les établissements de police, la surpopulation carcérale ainsi que les conditions dans lesquelles se déroulent les transferts et les soins des personnes détenues en milieu hospitalier. » Par ailleurs, la publication du rapport, pourtant adopté en juillet 2016, a été suspendue à l’accord du gouvernement français pendant plus de 8 mois. En 2017 comme en 2012, les rapports du CPT ont été publiés en pleine campagne électorale et sont ainsi passés inaperçus. En témoigne la faiblesse du débat présidentiel sur ces questions, alors même que l'urgence d'un changement de perspective sur notre conception de l'incarcération et sur notre politique pénale est réelle.

Pourquoi les gouvernements successifs ne privilégient-ils pas une réflexion vers une nouvelle politique pénale et pénitentiaire durable ? Le discours sécuritaire ambiant, qui s'appuie sur les pulsions de la population, est l'une des explications.  Il impose une politique de l’urgence, qui se traduit notamment dans la manière de penser la politique carcérale. Le rôle assigné à la prison est en train d’évoluer : il ne s'agit plus de réinsérer, plutôt que de protéger la société des individus réputés dangereux. Cette dérive sécuritaire empêche de mener une réflexion globale sur la personne détenue et sur sa place dans la société. Elle pose, in fine, de graves questions sur l'avenir de notre société.

La France bientôt condamnée ?

Au regard du portrait désastreux dressé par le CPT, la France pourrait être condamné en violation de l'article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Selon le Comité européen, les mauvaises conditions de détention en prison, notamment dans les maisons d'arrêt de Fresnes et de Nîmes, associées à la surpopulation et au manque d'activités, pourraient être effectivement considérées comme un traitement inhumain et dégradant. Si l'État français ne réagit pas, la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) pourrait ainsi prendre un arrêt contre l'Hexagone lorsqu'elle statuera, d'ici deux ans, sur les cas de détenus français portés à Strasbourg par l'Observatoire international des prisons (OIP). Affaire à suivre ...


Par Anaïs Gournay, ancienne chargée de suivi de la campagne électorale 2017 à l'ACAT