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Ouganda
Actualité

L'homophobie jusqu'au sommet de l'Etat

Cynthia, 26 ans, est arrivée en France le 27 juin 2013 par avion, après avoir obtenu un visa à l’Ambassade de France en Ouganda. Elle a été violée à plusieurs reprises. Ses bourreaux voulaient la punir d'être lesbienne.
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Cynthia, 26 ans, est arrivée en France le 27 juin 2013 par avion, après avoir obtenu un visa à l’Ambassade de France en Ouganda. Elle vivait cachée, chez des amis, à Kampala, la capitale. Son crime ? Cynthia est lesbienne. Pour avoir montré qu’elle aimait les femmes, Cynthia a été violée à plusieurs reprises, y compris au sein de sa famille. Ses bourreaux voulaient la punir et lui montrer  « ce que c’est d’être une femme ». Comme elle auparavant, de nombreuses personnes lesbiennes, gays, bisexuelles, transgenres et intersexuées (LGBTI) vivent dans la peur en Ouganda, un pays où l’homosexualité est punie par la loi. État des lieux d’un pays homophobe jusqu’au plus haut-sommet de l’État.

Un président homophobe et fier de l’être

Le président Yoweri Museveni, fervent chrétien évangélique, règne sans partage sur l’Ouganda depuis qu’il a pris le pouvoir par la force en 1986 avec son groupe d’opposition armée, l’Armée de la résistance nationale (National Resistance Army, NRA). Cela fait maintenant 28 ans qu’il se maintient au pouvoir grâce à des scrutins peu démocratiques et à une révision constitutionnelle qui lui a permis de faire sauter le verrou de la limitation de deux mandats consécutifs pour un chef d’État en exercice. Ces manœuvres lui permettent aujourd’hui d’entrevoir une fin de vie paisible au plus haut sommet de l’État. Les bailleurs de fonds occidentaux se sont accommodés depuis longtemps de cette démocratie de façade. L’Ouganda est en effet un allié de poids de nombreux États occidentaux dans une région ciblée par de nombreux conflits ethniques et de crises politiques. La croissance économique et la sécurité dans le pays sont vantées par les Occidentaux. Ombre majeure à ce tableau, l’homophobie affichée du président Yoweri Museveni… Le 24 février 2014, malgré de nombreuses pressions internationales venant des pays occidentaux - notamment en termes de gel de la coopération au développement - et de différents organes des Nations unies, le chef de l'État ougandais a promulgué une nouvelle loi contre l’homosexualité. Pour lui, l’homosexualité est une norme sociale venant de l’Occident. Dans un entretien télévisé diffusé sur la chaîne CNN le 25 février 2014, il a même affirmé que les homosexuels étaient des êtres « dégoûtants ».

Une nouvelle loi encore plus répressive

Alors que l’homosexualité était déjà sévèrement pénalisée dans le pays, la nouvelle loi prévoit une peine d’emprisonnement à perpétuité pour « homosexualité entre adultes », « homosexualité aggravée » et « mariage entre personne de même sexe ». La nouvelle législation prévoit également des peines d’emprisonnement pour « promotion de l’homosexualité », « enrôlement de jeunes enfants dans l’homosexualité » et pour non dénonciation d’acte homosexuel. Car dorénavant, en Ouganda, la dénonciation des homosexuels est obligatoire. Gare à ceux qui cachent ou protègent des homosexuels… Pour contrer ces nouvelles dispositions homophobes, une cinquante d’organisations ougandaises et des parlementaires de l’opposition ont déposé devant la Cour constitutionnelle, mardi 11 mars 2014, une requête exigeant le retrait de la loi. Ils affirment que cette loi anti-homosexualité est discriminatoire et donc non conforme à la Constitution de la République de l’Ouganda, qui interdit toute discrimination contre tous les citoyens quelle que soit leur croyance et leur orientation sexuelle. Selon le Premier ministre ougandais, M. Amama Mbabazi, « la Constitution protège les droits des minorités, mais il s’agit des minorités qui agissent en conformité avec la loi ». En gros, les LGBTI ne sont pas en conformité avec le droit et donc, selon lui, ils ne peuvent prétendre à être protégés par la Constitution… Cette loi risque également de réduire à néant le travail des organisations en lien avec les LGBTI, notamment parmi les plus connues Freedom and Roam Uganda (FARUG) et Sexual Minorities Uganda (SMUG) qui luttent contre les discriminations à l’égard des LGBTI. Ces organisations et leurs membres pourraient dès à présent faire l’objet de poursuites pénales pour avoir fourni des soins, des services sociaux ou juridiques à des personnes LGBTI et être donc complices de « promotion de l’homosexualité » selon la loi…

Une manœuvre politique en vue des élections présidentielles de 2016 ?

« Taper sur les homosexuels » est une pratique largement répandue au sein de la classe politique en Afrique car il ne faut pas être dupe, l’homophobie est largement répandue dans la plupart des pays du continent. Dans un contexte de futures élections présidentielles en Ouganda en 2016, à laquelle M. Museveni envisage de se représenter, ne faudrait-il donc pas voir dans cette nouvelle législation, une manœuvre politique du chef de l’État de faire plaisir à un électorat ougandais largement homophobe jusqu’au sein même des puissantes Églises évangéliques. Pour l'archevêque de l'Église anglicane d'Ouganda, Stanley Ntagali : « Les pratiques homosexuelles sont incompatibles avec l'Écriture. Notre porte est ouverte pour conseiller ceux qui sont désorientés sexuellement, les guérir, prier pour eux ». M. Museveni, qui s’affiche volontiers comme un fervent chrétien évangélique, n’a rien à perdre en Ouganda en mettant en avant son homophobie primaire. Il peut au contraire potentiellement gagner des voix d’électeurs indécis pour les prochaines présidentielles. Pas sûr que cette posture homophobe d’un chef d’État africain, de surcroit proche des États-Unis, enchante ses partenaires occidentaux, qui ont bien souvent détournés les yeux sur la situation générale des droits de l’homme dans le pays. Au nom de la lutte contre l’homophobie, la communauté internationale va-t-elle revoir sa position sur la démocratie et l’État de droit en Ouganda ?

Clément Boursin, responsable Afrique à l'ACAT @ClementBoursin