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Un monde tortionnaire

Colombie


Fiche publiée en 2010

Dans ce pays, théâtre d’un conflit armé interne opposant les deux principales guérillas d’extrême gauche (Forces armées révolutionnaires de Colombie-FARC-EP et Armée de Libération nationale-ELN) aux forces gouvernementales et aux paramilitaires (Autodéfenses unies de Colombie-AUC), la pratique de la torture par des agents de l’État et les groupes armés est qualifiée de « généralisée » selon le Comité contre la torture. En 2009, le Centre pour la recherche et l’éducation populaires en Colombie (CINEP) a recensé 63 affaires (concernant un total de 181 victimes) dans lesquelles des faits de tortures avaient été rapportés.

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Contexte

Depuis la fin de la Violencia (1948-1960), la Colombie est le théâtre d’un conflit armé interne opposant les deux principales guérillas d’extrême gauche (les Forces armées révolutionnaires de Colombie-FARC-EP, et l’Armée de Libération nationale-ELN) aux forces gouvernementales et aux paramilitaires (les Autodéfenses unies de Colombie-AUC). Ces derniers, soutenus par les élites économiques, une partie de l’armée colombienne et de la classe politique ont pour objectifs de chasser les guérillas de leurs zones d’influence et d’éliminer tout soutien avéré ou perçu comme tel aux activités insurrectionnelles. À ce conflit, se superpose dans les années quatre-vingt-dix la lutte pour la maîtrise du trafic de drogue, lucrative source de financement des activités des groupes armés.

Dans les zones de conflit, la population est prise entre deux feux : les personnes accusées de collaborer avec l’un ou l’autre camp sont fréquemment menacées, enlevées ou tuées. Les campagnes de terreur menées par les paramilitaires dans les zones sous influence de la guérilla s’accompagnent de la spoliation de millions d’hectares de terres dont les communautés indiennes et les afro-colombiens sont les premières victimes. Bien qu’ayant subi de sérieux revers en 2008, les guérillas continuent de se livrer à des exactions : assassinats – parfois précédés de tortures – de civils considérés comme des collaborateurs de l’armée ou des paramilitaires ; enlèvement de personnalités politiques leur servant de monnaie d’échange avec leurs membres emprisonnés, ou de simples citoyens dans le but d’obtenir des rançons ; recrutement d’enfants soldats ; usage de mines antipersonnel. Le viol est utilisé à grande échelle par chacune des parties au conflit comme arme de terreur à l’encontre des populations civiles.

Depuis 2002, plus de 15 000 personnes ont péri ou disparu en raison de leurs activités politiques ou sociales : assassinats d’opposants politiques, de défenseurs des droits de l’homme, de syndicalistes. La Colombie détient le record mondial de syndicalistes assassinés (4 000 en vingt ans).

La politique de « sécurité démocratique », lancée par le président Uribe au lendemain de son élection en 2002 pour regagner le contrôle du territoire, ne fait qu’affecter davantage la population civile, notamment en l’impliquant directement dans le conflit avec la création d’un réseau d’informateurs civils rémunérés et d’une armée de « soldats-paysans ».

L’échec du processus de démobilisation des groupes paramilitaires a entraîné l’émergence de nouveaux groupes paramilitaires, alors que d’autres ont simplement poursuivi leurs activités. Les dépositions de paramilitaires démobilisés, recueillies dans le cadre de la loi Justice et paix de 2005, ont permis de localiser 2 679 tombes anonymes et fosses communes dans lesquelles ont été retrouvés 3 131 corps de personnes disparues, dont plusieurs portent des marques évidentes de torture.

Le Comité contre la torture qualifie la pratique de la torture par des agents de l’État et les groupes armés de « généralisée ». Le rapporteur spécial des Nations unies sur la torture ne s’est rendu qu’une seule fois en Colombie, en 1994. Le gouvernement colombien refuse de ratifier le Protocole facultatif à la Convention contre la torture en faisant valoir que les mécanismes existants offrent des garanties suffisantes de protection des droits des détenus.

Pratiques de la torture

Victimes

En 2009, le Centre pour la recherche et l’éducation populaires en Colombie (CINEP) a recensé 63 affaires (concernant un total de 181 victimes) dans lesquelles des faits de tortures avaient été rapportés. Les premières victimes sont les opposants et les prisonniers politiques, les défenseurs des droits de l’homme, les journalistes, les leaders communautaires, les victimes d’exactions commises par les paramilitaires revendiquant leur droit à la réparation, ainsi que leurs avocats. Sont également ciblés les paysans et les membres des communautés indigènes accusés de fournir des informations à l’un ou l’autre des deux camps.

Le 19 février 2009, sept membres de la famille García Taicús, Indiens de l’ethnie Awa, ont été enlevés, puis torturés à l’arme blanche (oreilles coupées, entailles sur plusieurs parties du corps) par un groupe de paramilitaires les accusant d’être des sympathisants de la guérilla. Ils ont été libérés, à l’exception d’un jeune homme âgé de vingt ans dont on reste sans nouvelles.

Le 23 février 2009, dans le hameau El Castillo (département du Meta), plusieurs paramilitaires agissant sous couvert de l’armée ont torturé une paysanne qu’ils suspectaient de liens avec la guérilla et ont tenté de la violer en présence de ses trois enfants. Le 1er mars 2009, à Chaparral (Tolima), des membres des FARC ont torturé, puis assassiné un homme qu’ils accusaient d’être un informateur de l’armée.

Le 14 mars 2009, des militaires de la brigade mobile n° 17 se sont attaqués à la communauté de paix de San José d’Apartadó. Depuis sa création en 1997, près de 200 de ses membres ont été assassinés par des militaires, des paramilitaires et par les FARC. Lors de cette dernière attaque, des militaires ont tenté de violer Luz Tatiana Puerta dans le village de Mulatos à Antioquia. Ils l’accusaient d’entretenir des liens avec des membres de la guérilla. L’homme qui l’accompagnait, Isaac Torres, a été pris à part. Les soldats lui ont mis une machette sur la gorge et ont menacé de lui crever les yeux. Ces deux personnes ont été relâchées après une demi-heure et ont déposé plainte, en dépit des craintes de représailles.

Le 10 septembre 2009, des paramilitaires ont torturé, puis assassiné Oscar Eduardo Suárez Suescún, professeur à l’université de Pamplona, alors qu’il enquêtait sur la prostitution clandestine dans la ville de Cúcuta. Son corps a été retrouvé dans la rue à moitié dénudé et la tête recouverte d’un sac en plastique attaché avec un ruban.

Le 26 août 2009, des membres de l’unité ESMAD (police antiémeute) ont arrêté, puis torturé un étudiant de vingt-quatre ans dans la ville de Bucaramanga au cours d’une journée de protestation d’étudiants et de professeurs. Ces derniers demandaient la démission du recteur de l’université qui s’était engagé, lors d’une conversation téléphonique avec un chef paramilitaire, à lui fournir une liste de noms d’étudiants, professeurs et travailleurs pour leur appliquer le « plan pistolet ».

Tortionnaires et objectifs

Près de la moitié des actes de torture recensés en Colombie sont imputables aux divers groupes paramilitaires – anciens membres de l’AUC poursuivant leurs activités auxquels s’ajoutent de nouveaux groupes illégaux (Aigles noirs, Los rastrojos…) – agissant très souvent de concert avec la police nationale ou l’armée. Une partie importante des actes de torture est directement imputable aux forces de sécurité : l’armée (particulièrement les brigades n° 8, 15, 17, 30, le bataillon d’infanterie de la marine fluviale n° 10), la police et les services de renseignement. Les guérillas, en particulier les FARC-EP, sont également directement responsables de tortures.

Les tortures perpétrées par l’un ou l’autre des deux camps répondent aux mêmes objectifs : l’obtention de renseignements ou d’aveux sur les activités ou la transmission d’informations au camp adverse. La torture peut être infligée à la victime en guise de punition et vise à terroriser les autres membres de sa communauté afin de la fragiliser et de rompre les liens sociaux en faisant régner la loi du silence.

Méthodes et lieux

Les cas recensés font état de tabassages extrêmement violents. Le viol et les brûlures sont également fréquents. Près de la moitié des victimes sont assassinées après avoir subi des sévices, ce qui tend à occulter l’importance du fait tortionnaire et à favoriser l’impunité quasi totale dont bénéficient les auteurs de tortures.

Plusieurs cas avérés de tortures perpétrées par des paramilitaires se sont produits dans des postes de police et des commissariats. La torture est également présente dans les prisons colombiennes, notamment celles de Valledupar (Cesar), de La Modelo de Bucaramanga, de La Picaleña (à Ibagué – Tolima) et de Doña Juana (à La Dorada – Caldas). En sus de ces lieux que l’on peut qualifier d’« habituels », des maisons (notamment de paramilitaires), des clairières, ou même la jungle, peuvent servir temporairement de cadre à la torture.

Pratiques de la détention

Légalité des détentions

Dans le cadre de la mise en œuvre de la politique de « sécurité démocratique », les détentions massives et arbitraires se sont multipliées. Des centaines de personnes ont été arrêtées en même temps, puis placées en détention. En 2008, les Nations unies se sont déclarées préoccupées par la persistance des arrestations massives et par le recours excessif à la détention provisoire dans certaines régions de la Colombie, comme le département d’Arauca. Le rapporteur spécial des Nations unies sur la détention arbitraire, M. El Hadji Malick Sow, a visité en 2008 des prisons, des casernes militaires et des commissariats de police du département d’Arauca, ainsi que la ville de Cali, où les ONG locales ont signalé le plus grand nombre de détentions arbitraires et massives.

Conditions de détention

Les 139 prisons nationales sont gérées par le Conseil de l’Institut national pénitentiaire et carcéral (INPEC) dirigé par un général de l’armée. Le nombre de détenus en 2010 est estimé à 79 730 pour une capacité théorique de 55 000.

Les bâtiments des prisons colombiennes sont généralement en mauvais état et les conditions de vie y sont difficiles. Le budget alloué aux besoins des prisonniers est insuffisant et il est fréquent que les familles des détenus se chargent de fournir leurs proches en nourriture, vêtements et produits d’hygiène.

L’insuffisance, voire le défaut de formation des gardiens de prison, favorise la violence, l’insécurité et la corruption au sein même des prisons. Plusieurs chefs de cartels de drogue et des paramilitaires, emprisonnés en vertu de la loi de 2005, continuent à gérer leurs affaires depuis les centres de détention. Les émeutes sont fréquentes et entraînent plusieurs dizaines de morts chaque année. En 2009, 27 détenus ont trouvé la mort à la suite d’affrontements et d’émeutes.

En novembre 2009, lors de l’examen du quatrième rapport soumis par la Colombie, le Comité contre la torture s’est déclaré préoccupé par le recours à l’isolement pendant des périodes prolongées à titre de punition. Le Comité a par ailleurs relevé que les plaintes pour tortures et mauvais traitements en détention étaient généralement instruites par l’autorité disciplinaire et que rares étaient celles donnant lieu à l’ouverture d’enquêtes.

Les conditions de détention des civils ou des militaires enlevés par les groupes de guérilla (FARC et ELN), notamment le fait d’être enchaîné en permanence, sont également dramatiques, mais beaucoup moins documentées et donc plus difficiles à décrire.

Législation et pratiques judiciaires

Condamnation de la torture en droit interne

La torture est prohibée par la Constitution de 1991 et incriminée par le code pénal. En vertu de l’article 178 du code pénal modifié par la loi n° 890 de 2004, l’infraction de torture est punissable d’une peine d’emprisonnement comprise entre 128 et 270 mois (soit vingt-trois ans) et d’une amende de 800 à 2 000 fois égale au salaire minimum en vigueur en Colombie.

Cependant, lorsqu’elle n’est pas qualifiée d’infraction pénale de moindre gravité, telle que les dommages corporels, la torture est souvent qualifiée de circonstance aggravante d’autres crimes considérés comme plus graves, tels que l’homicide.

La loi 734/2002 instituant le code disciplinaire unique complète la liste des actes constitutifs d’infractions à la discipline des fonctionnaires d’État en y ajoutant, entre autres, la torture, considérée comme une infraction très grave passible de révocation et d’une incapacité d’exercer une fonction publique d’une durée comprise entre dix et vingt ans.

Répression des auteurs de torture

Lors de l’examen du dernier rapport présenté par la Colombie, le Comité contre la torture s’est déclaré très préoccupé par l’insuffisance des enquêtes pénales conduites sur des faits de tortures et par le fait que nombre d’entre elles ne débouchaient sur aucune poursuite. En novembre 2009, le procureur général de la Nation a mentionné 6 956 enquêtes concernant des faits de torture, mais seules 28 de ces affaires (0,4 %) étaient en cours de jugement.

Les crimes de torture, de génocide et de disparition forcée sont totalement exclus de la juridiction pénale militaire. En vertu du code de procédure pénale, les militaires responsables de violations des droits de l’homme doivent être jugés par des tribunaux civils. Pourtant, dans de telles affaires, les militaires demeurent souvent jugés par leurs pairs et ne sont que rarement condamnés. En 2008, le ministère de la Défense a démis de leurs fonctions 80 officiers et 213 soldats pour inefficacité, conduite non éthique, corruption et implication suspectée dans des violations des droits de l’homme. Ils n’ont cependant pas été jugés.

L’impunité reste donc de mise : alors que toutes les parties prenantes au conflit ont utilisé la torture, les commanditaires de ces actes ne sont que rarement traduits en justice. Les véritables responsables des violences civiles et politiques échappent à la justice et seuls les exécutants sont punis, encore que de façon non systématique et très aléatoire.

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