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L’injection létale au cœur d’une polémique.

Depuis 1982, date de la première injection létale aux États-Unis, on comptabilise au moins 33 cas d’exécutions indiscutablement « ratées » avec cette méthode.

L’année 2014 aura marqué un record en la matière avec un minimum de quatre « bavures ». Le 9 janvier, les derniers mots de Michael Lee Wilson, exécuté par l’État d’Oklahoma, ont été : « Je sens tout mon corps me brûler ». Le 16 janvier, Dennis McGuire, dans l’Ohio, a suffoqué pendant 26 minutes (la durée moyenne des exécutions par injection étant normalement de 7 à 10 minutes). Le 29 avril, dans l’Oklahoma à nouveau, Clayton Lockett a agonisé 15 minutes (agitation, grognements) avant que le directeur de la prison n’ordonne l’arrêt de l’exécution. Le détenu est finalement décédé d’une crise cardiaque 43 minutes après l’injection. Le 23 juillet, l’État d’Arizona a procédé à 15 injections pour pouvoir déclarer Joseph Rudolph Wood mort après 117 minutes. Selon une journaliste ayant assisté à la scène, le condamné a haleté plus de  640 fois.

Alors que, début mai, le Haut-Commissariat aux droits de l’homme des Nations unies rappelait aux autorités américaines la nécessité d’imposer immédiatement un moratoire sur la peine de mort pour « avancer vers l’abolition de cette pratique cruelle et inhumaine », aux États-Unis, le débat s’est essentiellement concentré sur la cruauté des dernières injections létales. La polémique s’inscrit en fait dans une opposition, initiée depuis plusieurs années, entre les abolitionnistes qui ont tenté de mettre un terme aux exécutions en empêchant l’approvisionnement en barbiturique et les États fédérés rétentionnistes qui ont développé des stratégies de contournement.

La pénurie de barbituriques orchestrée par les abolitionnistes

Jusqu’à récemment, la majorité des États fédérés procédant à des exécutions recouraient à un protocole identique d’injection en trois produits. Le premier, le thiopental sodique (dans certains cas le pentobarbital) est un barbiturique destiné à l’anesthésie. Le second, le bromure de pancuronium est censé paralyser les muscles pour éviter que le condamné ne manifeste des réactions physiques. Le troisième, le chlorure de potassium provoque l’arrêt cardiaque.

Ces États ont vu leur tâche se compliquer à la fin des années 2000 quand les sources d’approvisionnement en thiopental sodique se sont progressivement taries.

Il y a d’abord eu une rupture du stock national. À l’été 2009, l’entreprise Hospira, devenue l’unique fabricant américain de thiopental sodique, a suspendu sa production quand son laboratoire en Caroline du Nord a cessé de fabriquer le principe actif. Se tournant vers un laboratoire près de Milan, Hospira est tombé sous le coup de la juridiction européenne de 2005 interdisant le commerce de produits utilisés à des fins de torture ou peine de mort. Incapable de garantir au gouvernement italien que le thiopental importé ne servirait pas à des exécutions, l’entreprise a annoncé l’arrêt définitif de sa production le 21 janvier 2011.

Sous la pression des abolitionnistes, les autres laboratoires étrangers sollicités (principalement européens) ont, tour à tour, renforcé les contrôles et refusé de vendre les barbituriques thiopental sodique et pentobarbital, puis le propofol (anesthésique de substitution envisagé un temps par le Missouri), à l’administration pénitentiaire américaine.

Le 20 décembre 2011, la Commission européenne a ajouté huit barbituriques sur la liste de régulation de 2005 pour empêcher leur utilisation dans des exécutions.

Un obstacle vite surmonté par les rétentionnistes

Cependant l’espoir de voir s’arrêter les exécutions, faute de produits, aura été de courte durée. Les États rétentionnistes ont développé plusieurs stratégies pour pallier cette difficulté.

Ils ont adopté de nouveaux protocoles à un, deux ou trois produits, souvent expérimentaux, qu’ils font fabriquer spécifiquement par des officines pharmaceutiques privées non-homologuées par l’Agence fédérale de contrôle des médicaments (Food and Drug Administration, FDA).

C’est précisément ce qui a créé le scandale des dernières exécutions. En 2012, une épidémie de méningite mortelle avait mis en avant le manque de contrôle et d’hygiène de ces officines. Le cocktail improvisé par l’Ohio pour exécuter Dennis McGuire (midazolam, un sédatif, et hydromorphone, un antalgique) n’avait pas été testé et il a provoqué son agonie. Pourtant, c’est la même combinaison que l’Arizona a choisie pour exécuter Joseph Rudolph Wood, dont la souffrance aura duré près de deux heures.

Alors que la polémique enfle autour des nouveaux protocoles et produits destinés aux injections létales, plusieurs États proposent de revenir aux anciennes méthodes. En mai 2014, le Tennessee a ainsi adopté une loi lui permettant de recourir à la chaise électrique en cas de pénurie de substances létales. Le procureur général de l’Arkansas a suggéré de faire de même dans son État. Celui du Missouri propose de revenir à la chambre à gaz. Les parlementaires du Wyoming et de l'Utah étudient un retour au peloton d’exécution.

Cependant, l’option la plus répandue serait de développer ou de renforcer des dispositifs légaux en faveur du secret généralisé autour des injections : produits utilisés, leur association, ceux qui les préparent et les administrent. Une douzaine d’États ont ou sont en train d’adopter des lois de ce type. La Géorgie l’a fait en 2013. Le Missouri, qui disposait déjà de clauses d’anonymat concernant le personnel administrant l’injection, les a étendues aux préparateurs et fournisseurs en produits létaux. Fin 2014, les députés et les sénateurs de l’Ohio ont adopté un projet de loi du secret qui doit être soumis à la signature du gouverneur. 

Ces États invoquent la nécessité de préserver l’anonymat des officines privées pour éviter qu’elles ne soient harcelées par les abolitionnistes. Dans les faits, ces dispositions légales vont bien au-delà : elles passent sous silence la question de la souffrance des condamnés et visent à brouiller les pistes en cas d’exécution « ratée ». Elles permettront aussi de continuer à occulter le manque de qualification du personnel pénitentiaire qui procède aux injections ainsi que leurs erreurs.

Ces derniers mois, plusieurs condamnés à mort ont demandé à connaître la manière dont ils allaient être exécutés (substances, mode de fabrication, provenance) et à obtenir la garantie d’une mort digne au regard du 1er amendement de la Constitution, qui protège le droit à l’information, et du 8e amendement, qui interdit les peines cruelles.

Cependant, jusqu’à présent, ces appels n’ont permis que de retarder les exécutions et ont fini par être rejetés par la Cour suprême des États-Unis, comme ce fut le cas pour Joseph Rudolph Wood. Il semble que la plus haute cour du pays ne soit pas encore prête à revenir sur sa décision du 16 avril 2008 selon laquelle l'injection mortelle est conforme à la Constitution[1].

Les perspectives de l’abolition encore lointaine

Pendant que le débat se porte sur le manque d’humanité de l’injection létale, il n’est pas encore question de remettre en cause la légalité de la peine de mort, et les États fermement décidés à exécuter trouvent encore les solutions pour y parvenir.

Il est quand même rassurant de constater que les dernières « bavures » ont choqué un très grand nombre d’Américains et permis, même indirectement, de remettre le sujet de la peine capitale sur le devant de la scène. En 2014 « seules » 63 % de la population y étaient toujours favorables, soit un record historiquement bas ces 40 dernières années. Dix-huit des cinquante États l’ont abolie et deux ont déclaré un moratoire.

Anne Boucher, responsable Amériques @Ann_Boucher


[1] En septembre 2007, deux condamnés du Kentucky avaient déposé un recours faisant valoir l’incompatibilité du 8e amendement avec le risque de souffrance par l’injection létale en trois produits. Après un moratoire de six mois, la Cour avait indiqué qu'il ne suffisait pas qu’une méthode d'exécution puisse « engendrer de la douleur, par accident ou comme une conséquence inéluctable de la mort » pour la rendre inacceptable selon le 8ème amendement.

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