Cookie Consent par FreePrivacyPolicy.com
Sri Lanka
Actualité

Sri Lanka : la présidence de l'impunité

En échouant à rendre justice aux victimes, le processus de lutte contre l’impunité n’a pas réussi à initier une réconciliation nationale. La preuve en est l’élection d’un ancien bourreau, Gotabaya Rajapaksa, en novembre 2019.
Article Humains
Le 24 / 02 / 2020

En échouant à rendre justice aux victimes, le processus de lutte contre l’impunité n’a pas réussi à initier une réconciliation nationale. La preuve en est l’élection d’un ancien bourreau, Gotabaya Rajapaksa, en novembre 2019.

Comme un dernier clou dans le cercueil de la justice transitionnelle. Le 16 novembre 2019, Gotabaya Rajapaksa a été élu à la tête du Sri Lanka. L’élection de cet ancien bourreau en dit long sur l’état actuel du processus de justice transitionnelle, réellement initié qu’en 2015 par l’ancien président, Maithripala Sirisena. Ces dernières années, le manque de volonté politique et de moyens accordés à la lutte contre l’impunité ont contribué à entretenir les tensions ethniques et religieuses. À l’arrivée, le bilan est sans appel : des perspectives de justice qui s’éloignent de plus en plus pour les victimes ; une société qui ferme toujours un peu plus la porte à la réconciliation.

Signaux forts

Pourtant, lorsqu’en janvier 2015 Maithripala Sirisena accède au pouvoir et met fin au règne de la famille Rajapaksa – le frère de Gotabaya Rajapaksa, Mahinda Rajapaksa, a dirigé le pays de 2005 à 2015 (voir les dates clefs ci-dessous) – l’espoir est rapidement confirmé par de nombreuses réformes. Le pays accepte la visite du Rapporteur spécial des Nations unies sur la promotion de la vérité, de la justice, de la réparation et des garanties de non-répétition. Maithripala Sirisena s’engage à abroger la loi draconienne sur la prévention du terrorisme (Prevention of Terrorism Act, PTA), qui permettait la détention prolongée et la torture de personnes considérées comme suspectes.

Les droits civils et politiques connaissent également des améliorations significatives, notamment en ce qui concerne la liberté de la presse et le droit à l’information reconnu comme fondamental. Le Sri Lanka ratifie la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées en mai 2016, ce qui est un signal fort en faveur de la lutte contre l’impunité dans un pays où 65 000 personnes ont disparu durant la guerre. En 2016, est mis en place un Bureau national des personnes disparues (Office of Missing Persons, OMP) afin de retrouver la trace de ces personnes, d’indemniser les proches et de fournir des certificats d'absence aux familles.

Persister dans l’impunité

Cependant, le processus est lent. En mars 2018, l’OMP est enfin pourvu de sept membres chargés de mener les enquêtes. Lucide sur la marge d’action faible dont il dispose ainsi que sur ses moyens limités, le Bureau affirme, dans un rapport provisoire remis au président en octobre 2018, qu’il est impératif de garantir la justice. Mais la volonté politique manque lorsqu’il s’agit d’établir les responsabilités et d'engager des poursuites.

Les enquêtes sur les crimes commis par les forces de sécurité sri-lankaises durant la guerre civile restent au point mort. Si Maithripala Sirisena fait la promesse, devant le Conseil des droits de l’homme des Nations unies, d’établir une commission pour la paix et la réconciliation et de créer un tribunal mixte intégrant des magistrats étrangers, il finit par déclarer que le mécanisme judiciaire mis en place ne serait pas compétent pour engager des poursuites, mais chercherait seulement à établir la vérité sur les disparitions. Maithripala Sirisena persiste dans la protection des membres de l’armée accusés d’être responsables d’exactions. Soupçonné d’avoir commis des crimes de guerre, Jagath Dias a été nommé au poste de chef d’État-major de l’armée sri-lankaise. Plus récemment, le lieutenant général Shavendra Silva est passé au commandement de l’armée en août 2019, en dépit des « graves allégations de violations flagrantes du droit international humanitaire et relatif aux droits humains contre lui et ses troupes pendant la guerre », signalées par la Haute-Commissaire aux droits de l’homme des Nations unies, Michelle Bachelet.

« Terminator »

Autre pilier de la justice transitionnelle, la commémoration des victimes n’est toujours pas garantie et la surveillance policière demeure. Les personnes présentes lors de cérémonies de commémoration sont photographiées, parfois interrogées. Les organisateurs, souvent des figures de la communauté tamoule ou des membres du clergé chrétien, peuvent également être inquiétés par la police. Dans un tel contexte, une partie des victimes perd espoir dans le processus de justice, alors même que commémorer la mémoire des victimes est capital pour le processus de réconciliation nationale.

Durant la campagne présidentielle de 2019, le pays a connu une montée des discours nationalistes cinghalais et bouddhiste, hostiles aux minorités tamoules et/ou musulmanes. Une tendance sur laquelle Gotabaya Rajapaksa a surfé, en menant campagne sur la promesse de combattre la corruption et l’extrémisme islamiste face à un peuple traumatisé par les attentats djihadistes du 21 avril 2019, qui ont fait 269 morts. Son élection signe aussi le retour des bourreaux d’hier au pouvoir. Surnommé « Terminator », ce lieutenant-colonel à la retraite a dirigé une unité, baptisée le « Bataillon Tripoli », dont la spécialité était d’enlever les journalistes et les dissidents à bord de camionnettes blanches pour les tuer. C’est ainsi qu’il avait gagné un deuxième surnom : chef du « commando des vans blancs ». Élu à 52 % des voix, il est le symptôme d’une société sri-lankaise qui peine à se pacifier et qui laisse se répandre en son sein le poison de la division, néfaste pour la situation des droits humains et l’harmonie entre Cinghalais et Tamouls.
 

Articles associés

Article
Sandya-Eknaligoda-2
Sri Lanka

Femme et défenseure des droits : Sandya Eknaligoda

Le 07 / 03 / 2024
Prageeth Eknaligoda est porté disparu depuis 2010, probablement enlevé par l'armée en raison de ses caricatures critiquant les crimes de guerre commis par le clan Rajapaksa, alors à la tête du Sri Lanka. En sa mémoire, la Fondation ACAT pour la dignité humaine lui a remis son Prix des droits humains Engel-du Tertre en 2023. À l'occasion du 8 mars, Journée internationale des droits des femmes, portrait de Sandya Eknaligoda, qui se bat pour obtenir vérité et justice pour son époux et les milliers de victimes de disparition forcée au Sri Lanka.
Appel du mois
WEB_HEAD 24.01
ChineIndeSri LankaVietnam

Je soutiens les chrétiens d’Asie persécutés

Le 18 / 12 / 2023
En Asie, les pays sur lesquels l’ACAT-France est mobilisée sont parmi ceux de la zone comptant le plus grand nombre de chrétiens. Pourtant, de nombreuses ONG et organisations religieuses dénoncent les persécutions croissantes dont ces derniers font l’objet.
Communiqué
Prix2023_ACTU
Sri Lanka

Prageeth Eknaligoda reçoit le Prix Engel-du Tertre 2023

Le 07 / 12 / 2023
Ce 7 décembre 2023, la Fondation ACAT décernera, à la Cité internationale universitaire de Paris, son Prix des droits humains Engel‑du Tertre au journaliste sri-lankais Prageeth Eknaligoda, enlevé le 24 janvier 2010 par l’armée. Un appel pour la justice au Sri Lanka, où l’on déplore 60 000 à 100 000 cas de disparitions forcées.