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Réfugiés climatiques : les oubliés du droit international

Une personne chaque seconde. Tel est, d’après l’Internal displacement monitoring centre, la fréquence des déplacements dus aux changements climatiques constatée entre 2008 et 2016. En 8 ans, ce sont ainsi près de 26,4 millions de personnes qui ont dû fuir leur foyer sans aucune garantie juridique de protection. Les prévisions sont tout aussi alarmantes : le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés estime que 200 à 250 millions de personnes vont potentiellement être déplacées d’ici 2050. Les changements climatiques sont réputés être l’une des causes majeures de déplacements de personnes au XXIe siècle. À l’instar des îles du Pacifique qui sont menacées par la submersion, de nombreux États d’Asie du Sud font désormais figure de laboratoire des changements climatiques. Le dernier rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur le climat (GIEC) a encore une fois confirmé la corrélation entre la migration et la montée du niveau des eaux dans les États insulaires. Malgré cet état de fait, la protection de ces personnes déracinées n’en reste pas moins problématique.

Repenser l’exil et la protection

Les études menées jusqu’à présent montrent que les déplacements liés aux changements environnementaux  se font davantage au sein même des pays, plutôt qu’à l’international. C’est notamment une des raisons pour lesquelles le droit international des réfugiés ne permet pas de protéger une grande partie de ces déplacés, car il ne s’applique qu’aux personnes traversant les frontières étatiques. De même, il faut rappeler que seules les personnes victimes de persécution en raison de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leurs opinions politiques ou de leur appartenance à un groupe social sont éligibles au statut de réfugié. Or, s’agissant des impacts des changements climatiques, ils frappent de manière indiscriminée. Seuls comptent les positionnements géographiques et les niveaux de développement.

Ces déplacés n’étant pas en principe éligibles au statut de réfugié tel que défini par la Convention de Genève, la nécessité de repenser leur protection n’a cessé d’être rappelée. D’autant qu’il reste tout de même des communautés entières pour lesquelles l’exil transfrontalier devra être envisagé. C’est le cas notamment de beaucoup d’États du Pacifique dont l’intégrité territoriale, et par conséquent l’existence même de ces territoires en tant qu’États, sont fortement menacées. Bien que les communautés issues de ces États expriment fréquemment leur souhait de rester dans leur propre pays, l’imminence de la montée du niveau des eaux les accule : il est plus qu’urgent de repenser l’exil afin de proposer des solutions adaptées.

Amender le droit international

L’amendement des textes existants est une solution de continuité qui inscrirait la problématique des déplacements liés aux changements climatiques dans le cadre du droit international des réfugiés. Afin de conférer un statut juridique aux déplacés climatiques, il a été proposé d’amender la Convention de Genève et notamment son article 1 A § 2 en vue de considérer les dégradations environnementales comme une forme de persécution. À cette fin, les motifs de persécution devront également être révisés. Cette piste peut apparaître comme une solution de facilité dans la mesure où elle permettrait de faire bénéficier ces personnes déplacées de droits et des structures reconnus, déjà établis en matière de protection des réfugiés. L’avantage de placer les déplacés climatiques sous l’auspice du droit des réfugiés réside dans la possibilité de les faire bénéficier d’un accueil potentiel, en vertu du principe de non-refoulement. Mais aussi attrayante soit cette idée, il convient de ne pas en négliger les écueils. Le terme de réfugié ne renvoie pas seulement à la nécessité pour une personne de trouver refuge, un pays d’accueil ou une protection, mais il renvoie également aux causes délibérément violentes de l’exode. Bien que les répercussions sociales, humaines, économiques du déracinement soient similaires entre un réfugié politique et un déplacé climatique, consacrer ces deux causes de déplacement dans un même et unique document pourrait amener à une assimilation indésirable, le terme de réfugié ayant depuis toujours été associé aux persécutions et aux violations perpétrées volontairement. Par ailleurs, on craint également un affaiblissement de la protection accordée aux réfugiés traditionnels, dans un contexte où celle-ci est déjà loin d’être assurée de manière effective. Alors que les États d’accueil interprètent depuis quelques années les critères traditionnels de la Convention de Genève de manière très restrictive, son extension aux déplacés climatiques risque d’entraîner un nivellement vers le bas de la protection qui leur est accordée et réduirait leurs perspectives d’être accueillis dignement. Les pays du Nord pourraient même saisir cette opportunité pour durcir leurs politiques en matière d’immigration et d’asile.

Adopter un nouvel instrument

La deuxième solution envisagée est l’adoption d’un nouvel instrument spécialement dédié à la protection des déplacés climatiques. Cette nécessité ne fait pas grand débat, mais sa valeur juridique suscite des controverses. En 2005, des chercheurs de l’Université de Limoges, en collaboration avec l’Université de Sherbrooke, ont élaboré un projet de Convention relatif au statut international des déplacés environnementaux, qui leur ouvrirait la possibilité de bénéficier de l’asile. Toutefois, compte tenu des obstacles existants, notamment d’ordre politique, trouver un consensus autour d’un tel instrument, qui serait juridiquement contraignant, serait très probablement une tâche ardue. De ce fait, d’aucuns peuvent penser qu’il serait plus réaliste d’envisager l’adoption d’un instrument non contraignant. Lancée par la Norvège et la Suisse en octobre 2012, l’Initiative Nansen est un processus consultatif visant à améliorer l’état de la connaissance des déplacements transfrontaliers. L’objectif final n’était pas l’élaboration d’une convention ou d’un instrument juridique, mais plutôt « d’établir un consensus ascendant parmi les États sur des éléments clés pour la protection des personnes déplacées et un agenda pour l’action future ». Les consultations globales tenues dans ce cadre ont abouti, en 2015, à un agenda de protection pour les personnes déplacées au-delà des frontières, à la suite de catastrophes et des changements climatiques. Cette feuille de route a le mérite de compiler un éventail de bonnes pratiques, pouvant être généralisées et adoptées par les États pour une meilleure assistance, ainsi qu’une protection renforcée des personnes déplacées.

L’espoir est-il permis ?

Récemment, c’est le Pacte mondial sur les migrations sûres, ordonnées et régulières, adopté à Marrakech (Maroc) le 10 décembre 2018, qui a été porteur de beaucoup d’espoir. Les États signataires sont désormais invités à s’attaquer aux causes du déplacement, à élaborer des stratégies d’adaptation et de résilience, ainsi qu’à favoriser le partage d’informations afin d’identifier et d’aborder les mouvements migratoires. En effet, malgré sa valeur juridique non contraignante, ce Pacte a permis d’inscrire la migration environnementale dans le programme de la gouvernance internationale en matière de migration. L’espoir est donc permis quant à la volonté des gouvernants de mener des discussions concrètes sur la manière d’assurer une meilleure gestion des flux, grâce à l’assistance et à la protection des personnes déplacées à cause des facteurs environnementaux. Cela est d’autant plus prometteur que les États s’engagent à favoriser la migration régulière, y compris par la fourniture de visas humanitaires, d’accords de migration de travail ou de relocalisations planifiées, dans le cas où les efforts d’adaptation échoueraient. Une affaire à suivre, donc.

D’où viennent les réfugiés climatiques ?

Selon le scénario le plus pessimiste établi par la Banque mondiale, l’Afrique subsaharienne, où la température moyenne a augmenté d’environ 1,5°C en 50 ans, pourrait compter 86 millions de migrants climatiques internes à l’horizon 2050. L’Éthiopie figure « parmi les territoires les plus vulnérables », « en raison du poids prédominant de l’agriculture pluviale ». La rareté croissante de l’eau entraîne une baisse du rendement des cultures, poussant les populations à abandonner leurs activités agricoles et à migrer vers les villes. Parmi les cultures impactées, le café : 60 % des zones de production pourraient devenir inexploitables d’ici la fin du siècle. Le café représente un quart des recettes d’exportation de l’Éthiopie et 15 millions de travailleurs.

En 2016, le World Risk Index, calculé par les Nations unies, classait le Vanuatu comme pays le plus vulnérable face aux catastrophes naturelles. Déjà exposé à des risques géologiques majeurs, cet archipel de 83 îles pourrait être englouti. En cause : l’élévation du niveau de la mer – 8 cm en moyenne ces 25 dernières années – causée par le réchauffement de l’océan et la fonte des glaciers. Alors que certaines îles font le choix de la migration – en 2005, un hameau des îles Torrès était déplacé, ses habitants devenant les premiers réfugiés climatiques de l’histoire reconnuspar l’ONU –, l’île de Pelé opte pour la résilience. Par exemple, les cultures de mangrove ou d’herbe de vétiver, réputées pour leur résistance face à l’érosion des côtes, sont privilégiées.

Les inondations sont les catastrophes naturelles poussant le plus de personnes à l’exode. Au Bangladesh, les marées, l’augmentation de la salinité des sols, la multiplication des orages, l’augmentation des températures et des pluies torrentielles provoquent des crues aux conséquences multiples. Les paysans et les communautés rurales voient leurs moyens de subsistance se réduire. Crises alimentaires, augmentation du chômage et de la pauvreté les poussent à migrer vers les villes, à tel point que la population de la capitale, Dacca, passera de 1,8 million en 2017 à environ 3,5 millions en 2035. Le scénario le plus pessimiste de la Banque mondiale annonce, pour l’Asie du Sud, 40 millions de déplacés climatiques internes à l’horizon 2050.

Par Emnet Gebre, consultante et docteure en droit public

Article issu du n°10 d’Humains

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