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Les droits humains, grands oubliés de la stratégie française dans l’Indopacifique : l’exemple du Sri Lanka.

  • Justice et impunité

Analyse par Diane Fogelman, responsable Programmes et plaidoyer Asie de l'ACAT-France.

Dans la nuit du vendredi 28 juillet 2023, Emmanuel Macron s’est rendu au Sri Lanka pour une visite express et historique. Elle conclut un mois de juillet riche en relations entre la France et les pays de la zone Indopacifique, depuis l’invitation de Narendra Modi, Premier ministre indien, aux cérémonies du 14 juillet 2023, jusqu’aux déplacements du président de la République en Nouvelle-Calédonie, au Vanuatu et en Papouasie-Nouvelle-Guinée.  

Ces échanges s’inscrivent dans une stratégie plus large de la France dans la région dont l’un des piliers affichés est la promotion des droits humains. Mais cette question n’est jamais publiquement évoquée alors qu’elle revêt une importance toute particulière dans le cas du Sri Lanka, pays sur lequel l’ACAT-France est mobilisée. 

Qu’est-ce que l’Indopacifique ? 

Lire la réponse.

Selon la définition adoptée par la diplomatie française, l’Indopacifique est un « concept géopolitique », représentant un espace « caractérisé par sa dimension maritime »[1].

Son périmètre varie selon les interprétations qu’en font les différents acteurs qui s’en disputent la primauté (États-Unis, Australie, Inde et Japon), en fonction des intérêts économiques, politiques et stratégiques croissants que cet espace représente.    

 

Quelle que soit sa configuration, l’Indopacifique comprend les pays où l’ACAT-France agit : la Birmanie, la Chine, l’Inde, le Viêtnam et le Sri Lanka.

Et, puisqu’il s’étend également aux territoires d’Outre-Mer, la France tente de se positionner comme actrice de cette zone. La vigilance s’impose donc quant à l’évolution des relations multilatérales dans cette zone, car elles pourraient directement impacter la situation des droits humains des pays qui la composent. 

Ces échanges s’inscrivent dans une stratégie plus large de la France dans la région dont l’un des piliers affichés est la promotion des droits humains. Mais cette question n’est jamais publiquement évoquée alors qu’elle revêt une importance toute particulière dans le cas du Sri Lanka, pays sur lequel l’ACAT-France est mobilisée. 

Une visite « historique » purement stratégique  

Les liens entre la France et le Sri Lanka sont forts : cette année, les deux nations fêtent 75 ans de relations diplomatiques. Plusieurs présidents sri-lankais se sont déjà rendus en France. L’actuel, Ranil Wickremesinghe, y était d’ailleurs en juin 2023 pour évoquer la dette du pays.

En revanche, si des ministres français avaient déjà fait le déplacement, rien de tel pour les présidents successifs, qui ont privilégié des visites en Inde ou dans d’autres territoires de la région : la visite d’Emmanuel Macron était donc bel et bien une visite historique.  

Toutefois, celle-ci, très courte, le temps d’une escale, s’est surtout révélée décevante. À son retour, le président s’est contenté d’une courte déclaration sur Twitter : « à Colombo nous l’avons confirmé : forts de 75 ans de relations diplomatiques, nous pouvons ouvrir une nouvelle ère de notre partenariat »… sans davantage de détails. La question du respect des droits humains au Sri Lanka ne semble pas avoir été évoquée, ni faire partie de l’agenda de cette « nouvelle ère ». 

Les sujets à l’ordre du jour étaient d’ordre économique et diplomatique : l’approfondissement des relations bilatérales, les défis régionaux et internationaux des deux pays et la renégociation de la dette sri-lankaise, principalement à l’égard de la Chine. Sur ce dernier point, cette visite a surtout permis à la France de se positionner ouvertement comme une concurrente, conformément à ses ambitions, en faisant valoir une vision et un objectif communs avec le Sri Lanka.

Vis-à-vis des droits humains, la position de la diplomatie française est claire : « la France soutient la protection de ces valeurs [l’universalité des droits humains] dans le cadre de son engagement pour le respect du droit ». C’est en tout cas ce qu’elle affirme dans un document officiel intitulé La stratégie de la France dans l’Indopacifique[2].  

On s’étonne alors du silence à ce sujet après la visite d’Emmanuel Macron, ce qui n’est pas de bon augure pour la place qui lui sera accordé dans leurs relations à l’avenir. La France doit prendre ses responsabilités face à ses propres engagements et tenir une position claire, au-delà des seuls discours.  

L’impunité doit cesser au Sri Lanka 

D’après la déclaration publique de l’Élysée suite à cette visite, Emmanuel Macron « a eu l’occasion de saluer l’action du Président sri-lankais, notamment pour ce qui est du redressement de l’économie du pays et du maintien d’un État de droit, respectueux de la diversité des communautés présentes sur le territoire sri-lankais »

Un maintien tout relatif de l’État de droit, alors que l’actuel gouvernement s’est montré particulièrement répressif envers les participants aux manifestations pacifiques qui ont éclaté dès mars 2022, en réaction à la crise économique majeure que traverse le Sri Lanka  

À l’époque, Ranil Wickremesinghe, qui a pris ses fonctions en juillet 2022, avait promis : « si on essaye de renverser le gouvernement, d’occuper le bureau du président et celui du premier ministre, il ne s’agit pas de démocratie, et nous traiterons ceux-là avec fermeté ». Sans se soucier du caractère pacifique ou non de ces agissements. Par la suite, il a instauré l’état d’urgence et procédé à de nombreuses arrestations en vertu de la loi de prévention contre le terrorisme (Prevention of Terrorism Act, en anglais, ou « PTA »). Une législation draconienne régulièrement condamnée par la communauté internationale.  

L’ACAT-France s’était notamment mobilisée pour obtenir la libération de figures du mouvement étudiant qui se sont illustrées durant ces manifestations, des membres de l’Inter-University Student Federation (IUSF), la plus grande organisation étudiante au Sri Lanka, arrêtés arbitrairement et libérés depuis.  

En mars 2023, le Comité des droits de l’homme des Nations unies s’est même dit préoccupé « par le recours répété à l’état d’urgence, la portée excessive de la loi sur la prévention du terrorisme, l’ingérence et l’obstruction dans les processus judiciaires et d’enquête pour les violations graves des droits de l’homme, les enlèvement, détentions illégales, actes de tortures ». Il est regrettable que ces éléments soient sous-estimés voire ignorés dans les propos d’Emmanuel Macron.  

Contrairement à ce qu’Emmanuel Macron affirme, le pays est toujours marqué par les séquelles de la guerre. En cause : l’absence de réel processus de justice transitionnelle. La fracture demeure entre les communautés tamoules et singhalaises qui s’affrontaient autrefois.  

Car c’est ce qui ressort des expertises internationales. Lors du dernier Examen périodique universel (EPU) auquel le Sri Lanka s’est soumis, en début d’année 2023, le Rapporteur spécial sur les droits à la liberté de réunion pacifique et d’association de l’ONU a « jugé très préoccupante la discrimination systématique dont étaient victimes les minorités ethniques et religieuses ». La précédente Haute-Commissaire aux droits de l’homme ayant même souligné « l’aggravation des tensions intercommunautaires ».  

L’impunité doit cesser au Sri Lanka. Cela commence par des condamnations publiques claires et fermes des violations de ces droits. 

Nos demandes

La France doit :

  • mettre le respect et la promotion des droits humains à l’agenda des relations avec le Sri Lanka et, plus largement, avec les pays de l’Indopacifique.
  • condamner clairement et fermement la situation actuelle des droits humains au Sri Lanka. 

Le Sri Lanka doit :

  • s’engager réellement dans un processus de justice transitionnelle efficace et concret pour mettre fin à l’impunité .

  • libérer immédiatement et sans conditions toutes les personnes détenues arbitrairement en raison de leurs liens avérés ou suspectés avec les manifestations pacifiques, particulièrement au titre de la législation anti-terroriste.

  • cesser immédiatement de réprimer des personnes en raison de leurs liens avérés ou suspectés avec les manifestations pacifiques, particulièrement au titre de la législation anti-terroriste.

Pour aller plus loin.

> « Détention de deux militants d’une organisation étudiante : la jeunesse sri-lankaise opprimée », appel à mobilisation du 12 octobre 2022.

> « Sri Lanka : vers la fin de l’impunité ? »

> « Wasantha Mudalige enfin libre mais la vigilance demeure »


[1] Ministère de l'Europe et des Affaires étrangères, « Indopacifique : 8 questions pour comprendre la stratégie de la France dans la région ». 

[2] Ministère de l'Europe et des Affaires étrangères, La stratégie de la France dans l'Indopacifique.

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