Cameroun : 10 ans après la répression de février 2008, l’impunité comme seule réponse
Paris, le 23 février 2018 : Il y a dix ans, du 25 au 29 février 2008, le Cameroun a été le théâtre de violentes manifestations sociales que les observateurs ont appelé «les émeutes de la faim». À la différence d’autres pays africains qui ont connu le même type d’évènements à la même période, c’est un facteur politique – le projet de modification constitutionnelle visant à permettre au président Paul Biya de se maintenir au pouvoir[1] – qui, conjugué avec la hausse des prix des carburants et des denrées alimentaires, a servi de déclencheur au soulèvement populaire.
À la suite de l’appel à la grève des principaux syndicats de transporteurs contre la hausse du prix du carburant, de nombreux jeunes – exaspérés par la perspective de prolongement de la mauvaise gouvernance du régime en place – ont pris d’assaut les rues des principales villes du sud Cameroun le 25 février 2008, avec des revendications socio-économiques, civiques et politiques. Face à l’ampleur du mouvement social, transformé en émeutes avec les premiers morts par balles, les autorités ont décidé de déployer en nombre des militaires sur le terrain avec des moyens disproportionnés pour contenir des populations, certes furieuses, mais aux mains nues.
« Les forces de défense et de sécurité se sont alors livrées à une répression sanglante durant quatre jours, avec un usage excessif de la force létale, causant la mort d’au moins 139 personnes selon l’Observatoire national des droits de l’homme[2], dont plusieurs exécutions extrajudiciaires » rappelle Clément Boursin, Responsable Afrique à l’ACAT ; 40 morts selon les autorités dont un policier. Près de 3 000 jeunes, considérés comme des « apprentis sorciers », ont été arrêtés. Nombre d’entre eux ont fait l’objet de mauvais traitements, voire de tortures, lors de leurs arrestations et leurs détentions.
Du massacre à huis clos à l’impunité silencieuse
Ces événements sont passés relativement inaperçus sur la scène médiatique internationale. Face au silence complaisant de la communauté internationale et à l’absence de pressions, les autorités camerounaises n’ont entrepris aucune enquête indépendante et impartiale afin d’établir la vérité sur ces quatre journées de violences. « Aucun élément des forces de sécurité suspecté d’avoir commis de graves violations des droits de l’homme n’a fait l’objet de sanctions ni de poursuites judiciaires en dix ans » indique Clément Boursin, Responsable Afrique à l’ACAT.
Durant plusieurs années, différents organes des Nations unies (Conseil des droits de l’Homme, Comité contre la torture, Comité des droits de l’Homme) se sont inquiétés de cette impunité. Les autorités camerounaises ont, à chaque fois, affirmé que les forces de l’ordre avaient agi en état de « légitime défense » face à des personnes qui s’étaient « procuré des armes de guerre en attaquant les unités de police et de gendarmerie »[3]. Bien que demandé à plusieurs reprises, le rapport administratif des autorités camerounaises sur le sujet n’a jamais été transmis aux Nations unies ni rendu public.
Une nouvelle répression qui se transforme en conflit de basse intensité
La même répression s’est abattue, dès octobre 2016 et pendant plus d’une année, sur les jeunes anglophones camerounais qui marchaient pacifiquement contre la « francophonisation » de leurs régions. Le 1er octobre 2017, plusieurs dizaines de manifestants – considérés comme des « délinquants manipulés » par les autorités – ont été tués par balles. Une nouvelle fois la « légitime défense » a été justifiée par le régime.
Après une année de répression continue, de silence complaisant de la communauté internationale, des anglophones camerounais, minoritaires, ont décidé de prendre le maquis et les armes pour combattre le régime de Paul Biya et de s’attaquer aux forces de l’ordre et aux symboles de l’Etat. Aujourd’hui, ces régions anglophones du nord-ouest et du sud-ouest du Cameroun ont basculé dans un conflit de basse intensité, où des exactions sont commises par toutes les parties au conflit.
« Tout cela est un gâchis incommensurable. Au lieu de développer harmonieusement le pays et notamment les régions périphériques, le régime de Paul Biya s’est évertué cette dernière décennie à consolider son emprise sur le pays, notamment par la répression de toute contestation, dans le seul but de se maintenir au pouvoir et la communauté internationale est restée passive » affirme Clément Boursin, Responsable Afrique à l’ACAT.
Dix ans après la répression sanglante à huis clos de février 2008, le constat est amer.
Tant que le Cameroun fera l’objet de mansuétude de la part de la communauté internationale – particulièrement de ses alliés occidentaux comme la France et les Etats-Unis – pour ses exactions, le régime de Paul Biya aura le champ libre pour tuer et réprimer en toute impunité ses citoyens.
Télécharger le rapport « Cameroun : 25 – 29 février 2008, une répression sanglante à huis clos », Observatoire national des droits de l’homme (ONDH)
Contacts :
Clément Boursin, Responsable Afrique à l’ACAT : 01 40 40 02 11 – clement.boursin@acatfrance.fr
[1] Modification de l’article 6, alinéa 2 de la Constitution de 1996 qui limite à deux mandats la possibilité pour un président de la République de se maintenir au pouvoir de manière continue.
[2] « Cameroun : 25 – 29 février 2008, une répression sanglante à huis clos », Observatoire national des droits de l’homme (ONDH), https://www.fidh.org/IMG/pdf/Rapport_Cameroun_ONDH_2009_BDef.pdf
[3] Réponses du gouvernement de la République du Cameroun au Comité contre la torture, mars 2010, http://www2.ohchr.org/english/bodies/cat/docs/AdvanceVersions/CAT-C-CMR-Q4-Add1_fr.pdf