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Vietnam
Un monde tortionnaire

Vietnam

Depuis l’adhésion du pays à l’Organisation mondiale du commerce en 2007, les autorités ont renoué avec une politique de répression sévère pour conforter le monopole du Parti communiste vietnamien sur le pouvoir et lutter contre les dissidents. Dans ce contexte, les forces de l’ordre se livrent souvent à un usage excessif de la force, à des mauvais traitements et à des actes de torture lors des arrestations et des détentions. Au moins neuf personnes sont mortes en garde à vue en 2010, décès attribués pour la plupart à des suicides selon les policiers.

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Mise à jour 2021 : pour aller plus loin, retrouvez l'éclairage pays consacré au mauvaix traitements au Vietnam comme arme de déshumanisation massive contre les défenseurs des droits, publié dans la 6ème édition de notre rapport Un monde tortionnaire en 2021.

Contexte

La république socialiste du Vietnam, proclamée en 1976, est un régime autoritaire à parti unique, le Parti communiste vietnamien (PCV). Lors de sa 11e réunion quinquennale en janvier 2011, le Congrès national du Parti a désigné au cours d’un processus opaque un nouveau président de la République, Nguyen Minh Triet, un nouveau secrétaire général du PCV, Nguyen Phu Trong, et reconduit à la tête du Bureau politique – l’organe suprême du Parti – le Premier ministre Nguyen Tan Dung. Ces deux derniers hommes sont les plus hauts responsables du pays. Les 500 députés de l’Assemblée nationale, élus en mai 2007, ont tous reçu avant le scrutin l’agrément du Front de la patrie du Vietnam, une émanation du PCV. Le pays, qui a connu un développement économique rapide pendant ces vingt dernières années, avait donné des gages de libéralisation politique et sociale pour obtenir l’adhésion à l’Organisation mondiale du commerce (OMC) en 2007. Depuis, les autorités ont renoué avec une politique de répression sévère pour conforter le monopole du PCV et lutter contre les dissidents. Les dispositions du Code pénal (entré en vigueur en 2000) relatives à la « sécurité nationale » prévoient des infractions aux définitions vagues, parfois passibles de la peine de mort, qui permettent de criminaliser toute expression, réunion, religion ou association jugée critique envers les autorités. En témoignent les nombreuses arrestations et condamnations de militants démocrates, opposants, défenseurs des droits de l’homme, avocats, journalistes ou citoyens appelant au respect des droits fondamentaux ou exposant pacifiquement des opinions divergentes de celles du régime. Par exemple, le professeur franco-vietnamien Pham Minh Hoang, 56 ans, qui critiquait la politique des autorités sur son blog, a été condamné le 10 août 2011 à trois ans de prison, suivis de trois ans de résidence surveillée, pour ses « activités visant à renverser le gouvernement », chef d’inculpation souvent utilisé. Le pouvoir cherche notamment à étouffer la contestation à propos du différend frontalier avec la Chine et de l’exploitation des gisements de bauxite, lancée depuis 2007, dans la région centrale des Hauts Plateaux. Pour leurs adversaires, ces projets miniers comportent des risques de pollution environnementale, accroissent l’emprise de la Chine sur l’économie car des concessions d’extraction ont été accordées à une entreprise chinoise, et donnent lieu à des expulsions et à des confiscations de terres à l’encontre des minorités ethniques vivant dans les provinces concernées (Lam Dong et Dac Nong).

Pratiques de la torture

Les forces de l’ordre se livrent souvent à un usage excessif de la force, à des mauvais traitements et à des actes de torture lors des arrestations et détentions. Au moins neuf personnes sont mortes en garde à vue en 2010, décès attribués, pour la plupart, à des suicides selon les policiers.

Victimes

Tous les citoyens arrêtés par la police, même pour un délit mineur comme une infraction au code de la route ou un cambriolage, peuvent être maltraités et torturés. Certains d’entre eux décèdent à cause des sévices qu’ils ont subis. Ainsi Nguyen Van Khuong, un jeune homme de 21 ans habitant la province du Bac Giang au nord-est du pays a-t-il été frappé à mort en juillet 20107 après son interpellation pour avoir conduit sa mobylette sans casque. Les violences des forces de l’ordre touchent aussi les membres de communautés religieuses non reconnues par l’État – telles que l’Église chrétienne mennonite, l’Église bouddhiste unifiée du Vietnam et certaines branches de l’Église syncrétiste Cao Dai – et les membres de minorités ethniques réclamant la liberté religieuse, comme les Khmers Krom bouddhistes venus du Cambodge ou les peuples indigènes de la communauté des Montagnards installée dans les Hauts Plateaux. Ces derniers appartiennent à des Églises protestantes ou catholiques non déclarées et échappent donc au contrôle des Églises officielles. Ces groupes font l’objet de campagnes de répression particulièrement brutales dans certaines communes et provinces du pays. En mai 2011, environ 8 500 chrétiens et animistes de la communauté Hmong, vivant dans le nord-ouest du Vietnam, se sont réunis pacifiquement dans la province de Dien Bien pour demander plus d’autonomie et le respect de la liberté religieuse. Au moins 49 personnes ont été tuées et des centaines d’autres ont été blessées par les corps de sécurité et l’Armée populaire. Ces opérations provoquent des arrestations arbitraires et des détentions au cours desquelles les prisonniers sont soumis à de mauvais traitements et à des actes de torture. Depuis 2001, au moins 25 Montagnards sont décédés en garde à vue ou en prison à la suite de blessures ou de maladies contractées pendant leur incarcération, ou peu de temps après leur libération. Des allégations font également état de mauvais traitements subis par les défenseurs des droits de l’homme et de la démocratie, ainsi que par les dissidents politiques détenus, souvent au secret, avant d’être transférés dans les établissements pénitentiaires et les camps de travail. Le Nguyen Sang, médecin et fondateur du Parti démocratique du peuple, condamné à quatre ans de prison pour « propagande contre la République », a évoqué après sa libération, en août 2010, les quatorze mois qu’il avait passés à l’isolement et les punitions corporelles infligées aux détenus qui ne remplissaient pas le quota de travail quotidien imposé. Le Nguyen Sang a été enchaîné chaque fois qu’il était trop épuisé ou malade pour s’acquitter de sa tâche. Les consommateurs de drogue placés de force dans des centres de désintoxication en dehors de tout cadre judiciaire – ils seraient au moins 33 000 – risquent aussi des mauvais traitements quand ils n’effectuent pas l’intégralité de leur « travail thérapeutique » (basses besognes sous-payées, exercices physiques pénibles et formation à l‘idéologie communiste) ou enfreignent le règlement interne.

Tortionnaires et lieux de torture

Les agents des polices de province, de district et de commune, placés sous la tutelle du ministre de la Sécurité publique et des Comités populaires locaux du PCV – organes exécutifs de l’État – sont les principaux auteurs des mauvais traitements et des actes de torture. En 2010, des cas de persécutions et de brutalités policières ont été signalés dans un grand nombre des 58 provinces et dans cinq agglomérations du pays, au statut administratif identique. Les militaires de l’Armée populaire commettent également des sévices à l’encontre de la population. Les forces de défense civile (dan phong), composées de citoyens volontaires dirigés par les Comités populaires de quartier, sont parfois impliquées dans des actes de torture. Leurs membres, à l’instar de voyous « sous contrat » avec l’administration locale, collaborent souvent avec la police pour réprimer les délinquants, les pratiquants ou manifestants religieux pacifiques et les dissidents. Le 30 juillet 2010, après une altercation avec un policier municipal dans un restaurant, Nguyen Van Trung, un homme de 46 ans résidant dans la province de Binh Thuan, a ainsi été frappé à coups de matraque sur la tête et sur le dos par quatre membres de la force de défense civile, puis conduit au poste de police où il a été insulté et encore battu avant d’être transféré en urgence par sa famille à l’hôpital. L’ordonnance n°44 sur le traitement des infractions administratives, adoptée en juillet 2002, permet aux Comités populaires de province et de district d’arrêter et placer en détention pendant une durée de six mois à deux ans, sans procès ni contrôle judiciaire, « les personnes qui ont violé la législation sur la sécurité, l’ordre social et la sûreté » (art. 1-3). Les prisonniers sont envoyés dans des « établissements éducatifs » (art. 25-1), qui désignent en général les camps de rééducation et les centres de protection sociale (Trung Tam Bao Tro Xa Hoi) accueillant enfants des rues, prostituées, toxicomanes et autres « mauvais éléments » de la société, ou encore dans des « centres de santé » (art. 26-1), dont des hôpitaux psychiatriques. Ces dispositions, employées notamment contre les opposants politiques et religieux, créent des situations propices aux mauvais traitements.

Les conditions de détention dans les prisons et dans les camps de travail, particulièrement dures, peuvent être constitutives de traitements inhumains et dégradants, voire de torture. Dans ces lieux insalubres et systématiquement surpeuplés, les prisonniers manquent d’eau potable, ne reçoivent pas de ration alimentaire suffisante ni de traitements médicaux appropriés. Qui plus est, ils doivent généralement réaliser des travaux forcés sans rémunération et peuvent être frappés, maltraités, maintenus des semaines ou des mois durant à l’isolement dans des cellules exigües sans fenêtre ni ventilation. D’après certaines familles de détenus, les membres du personnel pénitentiaire refusent les médicaments venus de l’extérieur, mais accordent des privilèges aux prisonniers qui leur versent des pots-de-vin.

Méthodes et objectifs

Les coups et les passages à tabac sont les techniques les plus souvent utilisées par les tortionnaires. Certains témoignages font état de décharges électriques. Les victimes sont parfois privées de sommeil, enchaînées, enfermées de façon prolongée et autorisées à sortir seulement pour être longuement interrogées ou maltraitées. Pendant les gardes à vue et les périodes de détention provisoire (qui peuvent durer près de vingt mois pour les affaires d’atteinte à la sécurité nationale), la torture et les mauvais traitements sont utilisés de façon routinière pour arracher des confessions et contraindre les détenus politiques à donner des informations sur leurs activités ou sur d’autres militants. En ce qui concerne les personnes arrêtées pour un motif religieux, il s’agit souvent de les obliger à renier leur croyance et à rejoindre une église reconnue par l’État. Les Montagnards, catholiques ou protestants, ayant refusé de renoncer à leur foi lors de séances de critiques publiques organisées par des fonctionnaires ont été roués de coups pour ne plus pratiquer leur prétendue « fausse religion ».

Législation et pratiques judiciaires

Condamnation juridique de la torture

Partie au Pacte international relatif aux droits civils et politiques depuis 1982, qui interdit la torture, le Vietnam n’a pas adhéré à la Convention des Nations unies contre la torture. À l’issue de la procédure d’Examen périodique universel (EPU) devant le Conseil des droits de l’homme des Nations unies en octobre 2009, la délégation vietnamienne a indiqué que cette adhésion « était en principe conforme à la politique et à la loi » du pays qui « prenait des mesures en vue d’adhérer rapidement à cette Convention ». Ces déclarations de principe sont restées lettre morte jusqu’à ce jour. La Constitution de 1992 dispose, en son article 50, que « les droits de l’homme en matière politique, civile, économique, culturelle et sociale sont respectés ». D’après l’article 71 du texte, « les citoyens ont droit à l’intégrité physique » et « toutes les formes de contrainte, d’humiliation, de violation de l’honneur et de la dignité » sont strictement interdites. La législation relative à la torture ne comporte pourtant ni définition ni incrimination spécifique. Il faut se référer aux crimes de droit commun pour réprimer certains actes qui pourraient être constitutifs de mauvais traitements et d’actes de torture. Selon le Code pénal, la peine encourue pour « l’usage de punitions corporelles dans le cadre d’une action d’enquête, de poursuite, de jugement ou d’exécution des décisions de justice » varie de six mois à trois ans de prison. Elle passe de 5 à 12 ans de prison si les « conséquences » sont « graves », sans que cette notion ne soit clairement explicitée. Le fait de causer des blessures et le fait de causer la mort par l’emploi de la force dans l’exercice de fonctions officielles sont également incriminés. Les blessures sont punies d’une période de rééducation sans détention de trois ans maximum ou d’un emprisonnement de trois mois à trois ans lorsqu’elles ont entraîné un « taux d’incapacité supérieur à 30 % ». L’homicide est passible d’une peine de prison de deux à sept ans ou de 7 à 15 ans quand il a entraîné la mort de plusieurs personnes ou a été commis dans « tout autre cas extrêmement grave », concept qui n’est pas non plus précisé. L’extorsion d’aveux sous la contrainte constitue également une infraction sanctionnée de six mois à dix ans d’emprisonnement.

Poursuite des auteurs de torture

Le Vietnam ne possède pas d’organe indépendant de promotion et de défense des droits de l’homme qui pourrait enquêter sur les allégations d’abus de pouvoir, de mauvais traitements ou de tortures commis par des fonctionnaires. En matière pénale, rares sont les poursuites et les sanctions contre les membres des forces de l’ordre. En fait, il n’y a pas de séparation des pouvoirs dans le pays. D’après la Constitution, la justice a notamment pour rôle de « défendre la législation socialiste [et] le régime socialiste ». Le système judiciaire, caractérisé par une corruption endémique et un manque de formation des avocats et des magistrats, est étroitement contrôlé par le Parti, l’Assemblée nationale et le Front de la patrie du Vietnam. Ces institutions nomment à tous les niveaux les juges et les assesseurs du peuple présidant aux procès et influencent les jugements rendus. Quant aux membres du ministère public, ils sont choisis par l’Organe populaire de supervision et de contrôle (l’équivalent du parquet) en fonction de leur « loyauté à la patrie et au socialisme ». Dès lors, les agents de l’État jouissent généralement de l’impunité. Certains membres des forces de l’ordre ont fait l’objet de sanctions disciplinaires minimes qui consistent à présenter des excuses à la famille de la victime, à rédiger un rapport aux supérieurs hiérarchiques ou à changer d’unité. Dans quelques rares cas, des policiers ont été arrêtés, suspendus ou renvoyés sous la pression exercée par des manifestants, des citoyens et des journalistes qui avaient dénoncé ces exactions sur des blogs, des sites Internet indépendants ou dans la presse locale, pourtant muselée par le pouvoir. La mort en détention de Nguyen Van Khuong a, par exemple, poussé des milliers de personnes à protester devant le siège des autorités locales et conduit à l’arrestation d’un policier pour des violences, commises dans l’exercice de fonctions officielles ayant entraîné la mort et à la suspension provisoire de trois de ses collègues. Cependant, aucune information n’a pu être obtenue par la suite sur l’avancée de l’enquête. Grâce à plusieurs articles parus dans le journal Gia Dinh & Xa Hoi en février 2010, l’enquête sur les circonstances de la mort suspecte en garde à vue de Dang Trung Trinh, le 28 novembre 2009, à Tien Dong a été rouverte. La police communale avait mis ce décès sur le compte d’une maladie du foie alors que l’autopsie montrait des ecchymoses sur tout le corps de la victime et des côtes cassées. La police du district, pourtant présente lors de l’examen médical aux côtés de la famille, avait d’abord classé l’affaire, mais elle a dû ensuite se soumettre à la demande des autorités judiciaires et a ouvert, en juin 2010, une enquête pour « arrestation et détention illégale ».

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