Cookie Consent par FreePrivacyPolicy.com
États-Unis
Un monde tortionnaire

États-Unis

La « guerre contre la terreur » menée par l’administration Bush s’est accompagnée de mauvais traitements et d’actes de torture notoires, perpétrés par les membres de l’armée et de la CIA dans les centres de détention en Afghanistan et en Irak, sur la base navale américaine de Guantánamo à Cuba et dans les prisons clandestines gérées par la CIA à l’étranger. Ces atteintes aux droits de l’homme commises en dehors des frontières ne doivent pas occulter la situation extrêmement préoccupante qui règne sur le territoire américain. Les conditions de détention réservées aux 2,2 millions de prisonniers recensés en 2010 sont souvent indignes et les pratiques des services de sécurité montrent de nombreux cas de recours excessif à la force.

Télécharger la fiche en français

Mise à jour 2021 : pour aller plus loin, retrouvez l'éclairage pays consacré aux condamnés à mort aux États-Unis, publié dans la 6ème édition de notre rapport Un monde tortionnaire en 2021.

Contexte

Les mauvais traitements et actes de torture perpétrés par les membres de l’armée et de la CIA dans les centres de détention en Afghanistan et en Irak, sur la base navale américaine de Guantánamo à Cuba et dans les prisons clandestines (black sites) gérées par la CIA à l’étranger, au nom de la « guerre contre la terreur », n’ont pas constitué une parenthèse dans l’histoire américaine. Durant la Guerre froide, les États-Unis avaient généralisé de telles pratiques dans le tiers monde. Ils ont même créé l’École militaire des Amériques au Panama en 1946 pour enseigner à quelque 60 000 militaires latinoaméricains la lutte contre le communisme par le biais de méthodes telles que les exécutions, le chantage, la détention des proches, la disparition forcée et la torture. Ce centre de formation a été transféré en 1984 à Fort Benning (Géorgie). Depuis son entrée en fonction le 21 janvier 2009, le président Barack Obama a affiché son attachement aux droits de l’homme, officiellement interdit le recours aux « techniques d’interrogatoire renforcées » constitutives de torture, avalisées puis employées de 2002 à 2008, et mis un terme au programme de détention secrète de la CIA. Le chef de l’État a aussi écarté du vocabulaire politique l’expression « guerre contre la terreur ». Son pays reste pourtant engagé dans un « conflit armé avec al-Qaïda, ainsi qu’avec les talibans et leurs alliés » propice aux abus.

Les atteintes aux droits de l’homme commises en dehors des frontières ne doivent pas occulter la situation extrêmement préoccupante qui règne dans le territoire américain. Les conditions de détention réservées aux 2,2 millions de prisonniers recensés en 2010 – la population carcérale la plus élevée du monde – sont souvent indignes et les pratiques des services de sécurité montrent de nombreux cas de recours excessif à la force. Les États-Unis ont été épinglés sur la persistance de ces problèmes lors de leur premier Examen périodique universel en 2010.

Pratiques de la torture

Victimes

Aux États-Unis, les 25 000 à 80 000 individus confinés dans les quartiers ou les prisons de très haute sécurité, dites « Supermax », connaissent des conditions de détention constitutives de mauvais traitements ou de torture. Poursuivi notamment pour « collusion avec l’ennemi » pour avoir divulgué au site Internet Wikileaks des milliers de câbles diplomatiques sur les guerres d’Irak et d’Afghanistan, le soldat Bradley Manning, âgé de 24 ans, a été placé à l’isolement extrême pendant dix mois dans la prison militaire de sécurité maximale de Quantico en Virginie, avant d’être transféré dans un établissement pénitentiaire moins dur en 2011. Certains prisonniers sont maintenus dans ces conditions cruelles et inhumaines depuis plusieurs années, voire plusieurs décennies, comme les deux Afro-Américains Albert Woodfox et Herman Wallace, accusés de meurtre en 1972 et enfermés depuis dans l’« unité de confinement cellulaire » d’une prison de Louisiane.

En général, l’isolement est aussi la règle pour les 3 200 personnes détenues dans les couloirs de la mort. Vu la complexité des procédures judiciaires et les multiples appels possibles, ces condamnés doivent attendre quatorze ans en moyenne entre le verdict et son application. Avant son exécution le 21 septembre 2011, suspendue durant plus de quatre heures en raison d’un recours de dernière minute, l’Afro-Américain Troy Davis avait déjà dû se préparer à trois reprises à mourir, un traitement qui relève de la torture psychologique. En plus des souffrances mentales liées au fait de vivre sous le coup d’une condamnation à la peine capitale, ces prisonniers risquent de subir des douleurs physiques terribles lors de l’exécution (voir « Peine de mort et torture », p. 301-310).

Les autres détenus ne sont pas épargnés par la violence. Entre octobre 2008 et décembre 2009, il y a eu notamment 36 800 allégations d’agressions sexuelles (attouchements, tentatives de viol, viols, etc.) commises par le personnel pénitentiaire dans tous les centres de détention du pays.

Les migrants illégaux, notamment ceux qui traversent la frontière entre les États-Unis et le Mexique, sont souvent l’objet de brutalités et d’un usage excessif de la force. Anastasio Hernández Roja, un Mexicain âgé de 32 ans, est mort le 30 mai 2010 après avoir été matraqué et électrocuté avec un pistolet paralysant deux jours plus tôt par des gardes-frontières et des douaniers. Selon les autorités mexicaines, 12 de leurs ressortissants ont été tués ou blessés en 2009 dans des circonstances semblables, contre cinq en 2008.

Les personnes appartenant à des minorités ethniques, en particulier les Noirs, les Afro-Américains et les Hispaniques, les homosexuels, les bisexuels et les transgenres, les individus atteints de troubles mentaux, les sans-abri, les réfugiés, les demandeurs d’asile, les mineurs et les femmes représentent des catégories de population particulièrement vulnérables aux abus des membres des forces de l’ordre et aux mauvais traitements en détention. Ainsi, le vagabond Kelly Thomas, 37 ans, a-t-il été sauvagement frappé par six agents de police et a reçu plusieurs décharges électriques le 5 juillet 2011 dans la ville de Fullerton, en Californie. Il est décédé cinq jours plus tard.

Le conflit armé avec al-Qaïda entraîne encore des dérives en matière de droits de l’homme. Ainsi, parmi les 171 individus encore incarcérés en août 2011 dans la prison de Guantánamo, 46 étaient placés en détention illimitée sans inculpation ni procès et ignoraient combien de temps ils allaient rester sur place. L’un d’entre eux, un Afghan de 37 ans, s’est pendu en mai 2011. 89 autres prisonniers, déclarés libérables, étaient encore dans la base américaine à cause des difficultés posées par leur transfert vers leur pays d’origine ou un pays d’accueil. Par ailleurs, sous le mandat de Barack Obama, Aziz Abdul Naji et Fahri Saïd ben Mohammad, détenus de nationalité algérienne, ont été renvoyés contre leur gré dans leur pays où ils craignaient pour leur intégrité physique.

En Afghanistan, environ 2 400 personnes étaient aussi incarcérées sans inculpation ni procès dans la prison officielle de Parwan, sur la base aérienne américaine de Bagram. Plusieurs Afghans arrêtés après janvier 2009 ont fait état de mauvais traitements subis dans un centre de détention secret administré par les militaires des Forces spéciales et surnommé « la prison noire » par la population. Ils ont notamment été exposés à un froid extrême et à un éclairage permanent dans leur cellule, empêchés d’exercer leur religion et soumis à la nudité forcée. En avril 2011, le gouvernement américain a admis l’existence de 20 prisons clandestines temporaires destinées à l’interrogatoire de terroristes présumés, mais a démenti les allégations d’atteintes aux droits de l’homme.

Les autorités ont également reconnu un cas de détention secrète à l’égard du Somalien Ahmed Abdel Kader Warsame, soupçonné de liens avec les miliciens djihadistes shebabs qui contrôlent une partie de la Somalie et avec al-Qaïda. Interpellé le 19 avril 2011 dans le golfe arabo-persique, il a ensuite été interrogé pendant deux mois sur un bateau de guerre américain, sans accès au Comité international de la Croix-Rouge, ni à un avocat, et sans inculpation.

En outre, plusieurs Américains de confession musulmane auraient fait l’objet d’arrestations et d’interrogatoires clandestins, parfois de violences, dans des pays d’Afrique ou du Moyen-Orient à l’initiative du gouvernement américain. Par exemple, en décembre 2010, Gulet Mohamed, un Américain-Somalien de 19 ans, a été enlevé à Koweït par les forces de sécurité locales, détenu, interrogé, frappé à coups de bâton, menacé de recevoir des décharges électriques, obligé de rester debout pendant des heures et privé de sommeil. Comme la majorité des autres victimes, il a dû expliquer les raisons de ses séjours en Somalie et surtout au Yémen, nouvelles terres d’élection d’al-Qaïda. Au cours de sa détention, il a reçu la visite d’agents du FBI, qui auraient brutalement fait pression sur lui pour obtenir des renseignements. Baptisées proxy detention (détention par procuration) ou rendition-lite (restitution allégée) par les ONG, ces pratiques montrent que l’administration Obama continue à sous-traiter les interrogatoires musclés et les mauvais traitements de suspects dans des pays connus pour pratiquer la torture.

Tortionnaires et lieux de torture

Les forces de l’ordre sont régulièrement dénoncées par les instances internationales, comme le Comité contre la torture des Nations unies (Committee Against Torture-CAT) et les organisations de défense des droits de l’homme, pour la brutalité et le recours injustifié ou excessif, voire mortel, à la force dont elles font preuve.

Parmi les 6 613 agents de police impliqués pour faute professionnelle en 2010, 1 575 étaient accusés d’usage excessif de la force, 354 d’agressions sexuelles et 297 de violence physique. Les shérifs et leurs adjoints, qui exercent les fonctions de police et administrent les prisons locales dans les comtés – unités territoriales au sein des États fédérés – se livrent aussi à des mauvais traitements. Par exemple la violence est endémique dans les centres de détention du comté de Los Angeles, où les prisonniers se font régulièrement cogner la tête contre les murs et les fenêtres, jeter au sol puis frapper à coups de bottes et électrocuter avec des Tasers. En 2011, le détenu Juan Pablo Reyes a ainsi reçu des coups de poing dans les côtes, le dos, la bouche et les yeux et a eu l’orbite cassée, puis il a été contraint de se dénuder.

Les agents fédéraux du Service de l’immigration et des douanes (Immigration and Customs Enforcement-ICE) et de la police des frontières (Border Patrol), placés sous la tutelle du département de la Sécurité intérieure (U.S. Department of Homeland Security), se rendent coupables d’agressions vis-à-vis des migrants. L’absence de consignes claires sur les modalités de recours à la force létale et le recrutement massif de gardes-frontières effectué au cours des vingt dernières années ont multiplié les risques de dérapages.

Les conditions désastreuses qui prévalent dans les centres de détention du pays constituent un terreau favorable aux mauvais traitements, voire à la torture.

Issue d’une politique de répression de la criminalité fondée essentiellement sur l’enfermement, la surpopulation carcérale entraîne des conditions de détention très difficiles : absence de séparation entre les diverses catégories de prisonniers, notamment entre les mineurs et les adultes ; tensions entre les détenus et les gardiens ; problèmes d’hygiène et de salubrité et manque de traitements médicaux. En mai 2011, la Cour suprême américaine a enjoint à l’État de Californie de réduire en deux ans le taux d’occupation de ses prisons à 137,5 % de leur capacité théorique, contre près de 200 % à l’époque. Dans son arrêt, la juridiction a notamment relevé que 54 détenus partageaient les mêmes toilettes et que des prisonniers atteints de troubles psychiatriques avaient été placés, à la suite de crises, dans des « cages » de la taille d’une cabine téléphonique dans l’attente d‘un examen médical. Elle a aussi cité plusieurs cas de détenus morts faute de soins.

Les prisons et les unités de sécurité maximale, caractérisées par la pratique de l’isolement extrême et prolongé, ont essaimé depuis vingt ans. Elles ont été conçues au départ pour empêcher la communication entre les membres d’une organisation criminelle et séparer du reste de la population carcérale les détenus considérés comme les « pires des pires », à l’instar du Français Zacarias Moussaoui, condamné à la réclusion à perpétuité pour complicité dans les attentats du 11 septembre 2001, ou du terroriste américain Ted Kaczynski, dit Unabomber. Ces lieux accueillent aussi désormais des personnes qui ne représentent pas une menace. En règle générale, les détenus à l’isolement passent entre vingt-deux et vingt-trois heures par jour dans une cellule minuscule où ils sont privés d’effets personnels, de loisirs et d’activités intellectuelles et sportives et placés sous surveillance vidéo permanente. Ils sont souvent enchaînés aux poignets et aux chevilles à chaque sortie de cellule et privés de toute relation avec leurs codétenus, voire avec les membres de leur famille (restriction des appels téléphoniques et visites). Quand elles ont lieu, les détenus ne peuvent voir leurs proches qu’à travers une vitre, sans le moindre contact physique. L’isolement sans stimulation mentale ni vie sociale pendant plus de trente jours aggrave l’état de santé des prisonniers déjà fragiles psychologiquement et provoque des troubles mentaux chez les autres : apathie, angoisse, psychose, crise de panique, hallucination, idée suicidaire, dépression, automutilation… En juillet 2011, les détenus du quartier d’isolement de la prison de Pelican Bay en Californie ont mené une grève de la faim pour protester contre leur traitement et la durée excessive du confinement cellulaire. Certains d’entre ont repris le mouvement en octobre suivant, à cause notamment des représailles exercées par les gardiens.

Les quelque 370 centres de rétention du pays réservent des conditions de détention proches de celles des prisons. Trois-cent soixante-trois milles hommes, femmes et enfants, dont des demandeurs d’asile et des réfugiés, y étaient incarcérés avant leur expulsion ou leur comparution devant un juge en 2010. Traitées comme des criminels, ces personnes doivent parfois porter un uniforme ainsi que des menottes et des chaînes aux chevilles à chaque sortie de leur cellule et sont privées d’hygiène, de nourriture et de soins médicaux appropriés. Entre octobre 2003 et octobre 2011, 124 immigrants sont morts en détention. Une cour fédérale a ainsi statué en 2008 que le refus de l’ICE d’accorder une biopsie au Salvadorien Francisco Castaneda, détenu entre mars 2006 et février 2007 et mort d’un cancer par la suite, violait l’interdiction constitutionnelle des traitements cruels. De plus, les agressions sexuelles commises par le personnel sont monnaie courante dans ces établissements.

Méthodes et objectifs

Les agents chargés du maintien de l’ordre recourent essentiellement aux injures, notamment racistes, aux coups de poing et de matraque, aux étranglements (choke holds), aux tirs par arme à feu et aux engins produisant des décharges électriques, tels que les ceintures neutralisantes télécommandées, les boucliers électrifiés, les pistolets incapacitants à fléchettes et les Tasers. L’usage de ces derniers peut pourtant « provoquer une douleur aiguë, constituant une forme de torture » selon le CAT. Entre 2001 et 2010, cette arme a souvent été employée de manière abusive pour maîtriser des suspects qui ne représentaient pas une menace, et a contribué à la mort de plus de 50 personnes.

La mise à l’isolement est devenue une sanction disciplinaire de premier recours pour punir n’importe quel détenu fauteur de troubles ou coupable d’infractions mineures au règlement, comme la possession non autorisée de cinq dollars dans l’État de Californie. Cette mesure permet d’adresser ainsi un avertissement aux autres prisonniers. Elle sert aussi de solution de facilité aux autorités pénitentiaires pour gérer les désordres ordinaires d’un centre de détention, en mettant à l’écart les personnes fragiles ou souffrant de troubles mentaux au lieu de procéder aux aménagements nécessaires.

Sous les deux mandats successifs de George W. Bush, les conseillers du département de la Justice ont rédigé plusieurs mémorandums pour légaliser certaines méthodes de torture afin d’obtenir des renseignements dans le cadre de la lutte antiterroriste. Il s’agissait d’abord de l’empoignade ; de l’épreuve du mur ou walling, qui consiste à projeter violemment le détenu sur un mur ; de l’immobilisation de la tête ; de gifles au visage ; de l’enfermement dans un espace exigu ; du positionnement contre un mur ou wall standing ; du confinement dans un conteneur avec des insectes ; de la sous-alimentation ; de la privation de sommeil et du waterboarding. En mars 2003, l’instigateur présumé des attentats de 2001, Khalid Cheikh Mohammed, a été soumis 183 fois au supplice du waterboarding. Ces « techniques d’interrogatoire renforcées » ont ensuite été étendues à la privation sensorielle ; l’isolement prolongé ; l’interrogatoire pendant vingt heures ; l’encagoulement pendant le transfert et l’interrogatoire ; la nudité forcée ; le rasage forcé ; l’utilisation de phobies individuelles comme la peur des chiens ; l’exposition à des températures extrêmes ou à une musique assourdissante ; l’aspersion avec de l’eau glacée ; les coups à l’abdomen ; les entraves dont les fers aux pieds, et le maintien dans des positions douloureuses pendant de longues périodes.

Le nouveau manuel de terrain de l’armée, promulgué en 2006 et destiné aussi à la CIA depuis janvier 2009, comporte encore des méthodes d’interrogatoire constitutives de mauvais traitements ou de torture : l’isolement, rebaptisé « séparation physique », pendant trente jours ou plus ; la possibilité d’empêcher le détenu de dormir plus de quatre heures d’affilée toutes les vingt-quatre heures et la possibilité de le priver de l’un ou de plusieurs de ses sens ou de les limiter tous. Selon les termes de cet ouvrage, la définition de la privation sensorielle a été étendue à la privation complète de tous les stimuli sensoriels. En outre, il autorise des techniques visant à épouvanter le détenu, dont l’exploitation de ses craintes, et ne fait aucune mention des positions de stress qui ne sont donc pas explicitement proscrites.

Législation et pratiques judiciaires

Condamnation juridique de la torture

Les États-Unis sont parties aux Conventions de Genève et ont ratifié le Pacte international relatif aux droits civils et politiques ainsi que la Convention contre la torture des Nations unies, mais avec de nombreuses réserves. L’interdiction des traitements ou peines cruels, inhumains ou dégradants se borne notamment aux mauvais traitements tels que définis par la Constitution américaine de 1787. Le pays accepte de recevoir et d’examiner les communications d’un État partie seulement si celui-ci a fait une déclaration analogue. En outre, les États-Unis n’ont ratifié ni le Protocole facultatif à la Convention contre la torture de l’ONU, ni le premier Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, ni le Statut de la Cour pénale internationale, ni aucune convention du système interaméricain des droits de l’homme.

En matière de législation fédérale, la torture ne constitue pas une infraction pénale spécifique. Le 8e amendement de la Constitution interdit les « châtiments cruels et inhabituels » et le 14e amendement dispose qu‘aucun État fédéré ne privera une personne de sa vie, de sa liberté ou de la propriété de ses biens sans une procédure légale régulière. Quant au Code fédéral, il punit, en son article 2340A., quiconque a commis ou a l’intention de commettre un acte de torture, d’une amende ou d’une peine de prison de vingt ans maximum et prévoit la peine de mort ou l’emprisonnement en cas de décès de la victime. Le Code uniforme de justice militaire (Uniform Code of Military Justice-UCMJ) proscrit la cruauté et les mauvais traitements. Après la publication des photos prises dans la prison d’Abou Ghraïb, le Congrès a adopté, en 2005, la loi sur le traitement des détenus (Detainee Treatment Act-DTA), qui interdit de faire subir des peines ou traitements cruels et inhumains à toute personne détenue par des Américains et ce, quels que soient sa nationalité et le lieu où elle se trouve. En revanche, depuis sa révision en 2006, la loi sur les crimes de guerre (War Crimes Act), qui met en œuvre les Conventions de Genève, n’incrimine plus toute infraction à l’article 3 interdisant les « atteintes à la dignité des personnes, notamment les traitements humiliants et dégradants », mais seulement des « graves violations » préalablement définies et listées par le gouvernement.

Poursuite des auteurs de torture

Votée par le Congrès en 1996, la loi sur la réforme des contentieux en prison (Prison Litigation Reform Act-PLRA) a considérablement réduit la possibilité d’engager une action en réparation pour les détenus victimes de mauvais traitements ou de torture. Ces derniers doivent d’abord épuiser tous les recours au sein de l’administration pénitentiaire et prouver l’existence d’un préjudice physique avant de pouvoir intenter un procès devant un tribunal. Le texte, qui ne prend pas en compte les dommages psychologiques liés à la détention, peut faire obstacle à l’administration de la justice, notamment en cas de brutalités et de violences sexuelles imputables au personnel pénitentiaire.

En 1995, à la suite d’une action collective (class action) déposée par les détenus placés à l’isolement dans la prison de Pelican Bay, un juge fédéral a estimé que ces conditions de détention pouvaient dépasser « la limite de ce que la plupart des êtres humains sont capables de tolérer sur le plan psychologique » et ne devaient pas être appliquées aux personnes fragiles ou atteintes de troubles mentaux. Il n’a pas considéré pour autant qu’elles constituaient une violation de la Constitution. La jurisprudence de la Cour suprême, qui a statué en 1991 que le confinement cellulaire prolongé satisfaisait aux besoins humains fondamentaux, va dans le même sens.

Dans le cadre de l’EPU, les autorités ont évoqué des « centaines d’enquêtes sur des allégations de violations des droits des détenus » survenues en Irak, en Afghanistan et à Guantánamo et « l’adoption de centaines de mesures disciplinaires ». Dans les faits, l’impunité est restée de mise pour les instigateurs et les auteurs de tortures, de disparitions forcées et de restitutions extraordinaires perpétrées à l’occasion de la guerre contre le terrorisme. Le président Barack Obama, qui s’était engagé à poursuivre ces criminels en justice conformément à ses obligations internationales, a ensuite estimé nécessaire « d’aller de l’avant plutôt que de regarder en arrière ». Ainsi, depuis la remise en liberté anticipée le 6 août 2011 du caporal Charles Graner, qui avait écopé de la peine la plus lourde (dix ans d’emprisonnement), les 11 soldats impliqués dans le scandale d’Abou Ghraïb sont tous libres et aucun officier supérieur n’a été inquiété. Le 30 juin 2011, le procureur général et ministre de la Justice a annoncé l’abandon de la quasi-totalité des enquêtes ouvertes en 2009 sur les méthodes d’interrogatoire violentes employées par la CIA contre 101 personnes détenues secrètement à l‘étranger. En août 2009, il avait déjà déclaré que son département ne poursuivrait aucune personne qui « aurait agi de bonne foi et dans les limites des directives légales ». Au moins l’un des dossiers classés évoquait pourtant des pratiques non autorisées par les « mémos de la torture » et rendues publiques en 2008 avec la divulgation d’un rapport classé secret-défense rédigé en 2004 par l’inspecteur général de la CIA . Entre le 28 décembre 2002 et le 1er janvier 2003, des agents de renseignement américains ont menacé d’exécution avec un pistolet et une perceuse électrique le Saoudien Abd al-Rahim al-Nashiri, principal suspect à l’époque de l’attentat contre le navire américain U.S.S. Cole.

L’administration américaine a régulièrement invoqué la doctrine du « privilège des secrets d’État » pour suspendre les procédures judiciaires, au motif que des procès entraîneraient une divulgation d’informations ou d’éléments de preuves susceptibles de mettre en péril la sécurité nationale. Sous la pression des pouvoirs publics, la Cour suprême a, par exemple, refusé en mai 2011 de se saisir de l’affaire Binyam Mohamed et al. c. contre Jeppesen Dataplan, Inc. Les cinq requérants avaient déposé plainte contre la compagnie aérienne, impliquée dans les vols secrets organisés par la CIA pour transférer des terroristes présumés dans des pays étrangers à des fins de torture. De même, la juridiction a débouté, le 27 juin 2011, 250 anciens détenus de la prison d’Abou Ghraïb, et d’autres centres de détention irakiens, qui voulaient poursuivre pour tortures, violences et agressions sexuelles deux sociétés privées sous contrat avec l’armée américaine.

Ces blocages politiques jettent un sérieux doute sur l’issue des deux poursuites autorisées par un juge de district et un juge fédéral contre l’ex-secrétaire d’État à la Défense Donald Rumsfeld et sur la volonté du gouvernement d’ouvrir une vaste enquête pénale sur les crimes de torture pratiqués au cours de la « guerre contre le terrorisme ». Aucun des militaires haut gradés, responsables politiques et officiels de haut rang ayant ordonné ou cautionné ces actes et d’autres atteintes aux droits de l’homme n’a été l’objet d’une enquête. Aucune victime de torture n’a obtenu justice ou réparation. Devant cette inertie, des défenseurs des droits de l’homme, des juges d’autres pays et des victimes misent sur la compétence universelle, et donc la volonté politique de leur gouvernement, pour poursuivre les responsables. En octobre 2011, l’ONG Amnesty International a demandé aux autorités canadiennes d’arrêter George W. Bush en vertu de ce principe, à l’occasion de sa venue sur leur territoire. Depuis 2009, une procédure lancée par trois anciens détenus de Guantánamo est ouverte en Espagne contre les auteurs des « mémos de la torture ».

  • Torture