Le 3 décembre 2024, le journaliste guinéen Habib Marouane Camara, administrateur général du site d’informations Le Révélateur 224, a été enlevé en pleine rue, de nuit, par des gendarmes, alors qu’il se rendait à un rendez-vous professionnel à Lambanyi, dans la banlieue de Conakry. Depuis lors, il n’a plus donné signe de vie.
Que s’est-il passé le 3 décembre concernant Habib Marouane Camara ?
Le 3 décembre 2024, aux alentours de 19h00, Habib Marouane Camara, journaliste et administrateur général du site d’informations Le Révélateur 224, a été enlevé par des gendarmes lourdement armés. Des témoins ont rapporté que son véhicule a été intercepté de manière brutale à Lambanyi, une commune de Conakry, près du domicile de l’homme d’affaires Kerfalla Person Camara (KPC), avec qui il avait rendez-vous. Son pare-brise a été brisé, et le journaliste a été violemment extrait de son véhicule par des gendarmes, qui l’ont assommé à coups de matraques avant de l’embarquer vers une destination inconnue.
Un contexte de rétrécissement de la liberté de la presse et d’enlèvements similaires
Cet enlèvement s’inscrit dans un contexte préoccupant pour les journalistes. Depuis le coup d’État de septembre 2021, la liberté de la presse s’est davantage dégradée, avec la fermeture de plusieurs médias et la multiplication des intimidations à l’encontre de journalistes. Dans les semaines précédant son enlèvement, Habib Marouane Camara avait exprimé publiquement ses inquiétudes face à des menaces croissantes à son égard. Son cas rappelle tragiquement les dangers auxquels font face tous les journalistes qui s’efforcent de rendre compte de la réalité de la corruption ambiante dans le pays et qui n’hésitent pas à critiquer le pouvoir en place et leurs affidés. Sa disparition forcée s’ajoute à une série d’autres enlèvements de personnalités de la société civile tels que Oumar Sylla et Mamadou Billo Bah, ainsi que le kidnapping de l’ex-secrétaire général du ministère des Mines, Saadou Nimaga.
Une enquête judiciaire et une famille en détresse
La disparition d’Habib Marouane Camara suscite une grande inquiétude, d’autant plus que le Tribunal de première instance de Dixinn a déclaré, le 6 décembre 2024, que « cette arrestation a été opérée sans ordres des autorités constituées et hors des cas prévus par la loi ». Le procureur de cette instance a annoncé l’ouverture d’une enquête, mais n’a depuis plus communiqué sur son avancement. Il est à craindre que cette enquête n’aboutisse pas, comme celles ouvertes pour d’autres enlèvements récents. Depuis le 3 décembre, l’épouse du journaliste, Mariama Lamarana Diallo, cherche désespérément à obtenir des informations sur son mari. Malgré ses nombreuses démarches auprès des autorités, y compris des visites au tribunal, à la police judiciaire et au Haut commandement de la gendarmerie, elle n’a obtenu aucune réponse claire concernant la situation de son mari. Dans une lettre ouverte adressée le 12 décembre au président de la transition, le général Mamadi Doumbouya, elle exprime sa détresse ainsi que celle de ses enfants, demandant à « connaître la vérité pour avoir le sommeil tranquille ». Elle met également en garde contre les risques pour la santé de son mari, qui doit prendre des médicaments à des heures précises, ce qui pourrait ne pas être possible en détention. Il est impératif que les autorités guinéennes clarifient le sort du journaliste Habib Marouane Camara et mettent fin à la répression aveugle et violente de toute voix critique, ainsi qu’à l’impunité des auteurs et responsables de toutes ces disparitions forcées.
Demandons la libération immédiate du journaliste Habib Marouane Camara et une enquête indépendante sur son enlèvement.
Contexte
Depuis l’arrivée au pouvoir en Guinée du colonel – aujourd’hui général – Mamadi Doumbouya, à la suite d’un coup d’État en septembre 2021, le pays est marqué par une série de disparitions forcées qui suscitent une grande inquiétude et souligne un climat de répression et de gouvernance autoritaire.
Une politique de répression systématique
Les disparitions forcées sous l’ère de Mamadi Doumbouya ne sont pas de simples événements isolés ; elles semblent s’inscrire dans une politique plus large de répression de toute forme d’opposition ou de dénonciation des abus du régime. Ces actes visent à instaurer un climat de peur et à éliminer toute contestation de la Junte, à l’approche de la fin de la transition, négociée avec la CEDEAO en octobre 2022 pour le 31 décembre 2024, mais qui a été reportée.
Similitude dans le mode opératoire des récentes disparitions forcées
La disparition forcée d’Habib Marouane Camara représente le cinquième cas de disparition forcée de personnalités à Conakry en l’espace d’un an. L’une des affaires les plus médiatisées de disparitions forcées est celle d’Oumar Sylla et de Mamadou Billo Bah, deux leaders de la société civile, fervents critiques de la junte militaire au pouvoir, enlevés, à Conakry, le 9 juillet 2024, par des gendarmes et des éléments des forces spéciales liés à la présidence de la République. Malgré des appels répétés à la vérité et à la justice, leur sort reste incertain à ce jour. Les autorités guinéennes ont ouvert une enquête mais celle-ci n’existe que de nom comme l’a constaté l’ACAT-France auprès des principaux témoins de cette affaire.
Ces disparitions ne se limitent pas aux figures de l’opposition politique ; elles touchent également des acteurs du monde économique et militaire ayant exprimé des désaccords avec le régime ou se retrouvant dans des situations de tension avec les autorités. Aucune enquête transparente n’a été menée par la justice guinéenne sur les cinq affaires de disparitions forcées survenues en 2024, ce qui suggère une politique de dissimulation des faits, avec une justice incapable d’agir en toute indépendance et impartialité sur des crimes dont la Junte est accusée d’être à l’origine. L’absence d’informations officielles sur ces disparitions renforce le climat de terreur et d’incertitude, inhibant toute forme de liberté d’expression et d’opposition politique.
Le crime des disparitions forcées
Les disparitions forcées sont des violations graves des droits humains, et en particulier du droit à la vie, à la liberté et à la sécurité. Elles sont souvent accompagnées de torture ou de traitements inhumains. Outre les violations directes contre les individus concernés, ces disparitions engendrent des effets dévastateurs sur leurs familles, qui vivent dans l’angoisse et l’incertitude. Les disparitions forcées plongent les familles de victimes dans une souffrance morale et psychologique indescriptible, entre espoir de retrouvailles et terreur de ne jamais savoir ce qu’il est advenu, sans compter l’impact sur la stabilité sociale et économique des familles, qui perdent un soutien financier.
Une dérive répressive en Guinée, passé sous silence par la communauté internationale
Le silence de la communauté internationale face à la multiplication des enlèvements et autres atteintes graves aux droits humains dans le pays (répression par balles des manifestations, atteintes à la liberté de la presse, etc.) encourage la junte militaire au pouvoir à poursuivre sa politique répressive, dans un contexte de prolongement de la transition politique après fin 2024 et une probable candidature du chef de la junte à la prochaine présidentielle. Aujourd’hui, la peur est palpable au sein de la société civile, et la montée de l’auto-censure est une réalité chez les journalistes et une part importante des voix autrefois critiques.
En dépit des déclarations des autorités guinéennes affirmant leur attachement à la liberté d’expression et plus largement, au respect des droits humains et de l’état de droit, aucune action concrète n’a été prise pour protéger les journalistes et autres citoyens guinéens des arrestations arbitraires et des disparitions forcées. Au contraire, la violence est devenue une méthode courante pour étouffer toute voix dissidente et la justice guinéenne semble impuissante à exercer ses prérogatives pour lutter contre ces dérives. De telles violations fragilisent davantage la stabilité sociale et la légitimité du pouvoir actuel en Guinée, tout en mettant en lumière une communauté internationale passive.