Le Dr Alexandre Ibacka Dzabana – coordonnateur de la Plateforme congolaise des ONG des droits humains et de la démocratie – est détenu à Brazzaville, depuis son enlèvement survenu le 11 mars 2021. Le 6 avril 2021, après plusieurs semaines de détention au secret au sein des locaux de la Centrale d’intelligence et de la documentation (CID), il a été présenté devant le Tribunal de Grande Instance (TGI) de Brazzaville puis placé sous mandat de dépôt à la Maison d’Arrêt et de Correction (MAC) de Brazzaville pour « atteinte à la sécurité intérieure de l’État ». Sa période de garde à vue au sein de la CID ayant dépassée la durée légale, qui est de 5 jours maximum selon l’article 48 du Code de procédure pénale, sa détention arbitraire est devenue illégale du fait du dépassement du délai légal.
Le 11 mars 2021, tôt le matin, le Dr Alexandre Ibacka Dzabana – un des coordonnateurs de la Plateforme congolaise des ONG des droits humains et de la démocratie, président du mouvement M22 et membre de la coalition Tournons la Page Congo – a été enlevé, devant son domicile situé dans le quartier résidentiel de Moungali à Brazzaville, par au moins trois personnes en tenue civile et emmené contre son gré dans un véhicule immatriculé 310-MD4 de la marque Daihatsu, modèle Rocky grise, avec vitres teintées vers un lieu inconnu.
Quelques heures plus tard, son avocat, Maître Yvon Eric Ibouanga, a réussi à savoir où il était détenu : dans les locaux de la Centrale d’intelligence et de documentation (CID), ex-Direction générale de la surveillance du territoire (DGST). Des agents en service lui ont confirmé sa présence dans les locaux mais lui ont refusé l’accès[1].
Il est alors soupçonné de tentative de déstabilisation de l’Etat et des institutions.
Pour le porte-parole du gouvernement, Thierry Moungalla, interviewé par Radio France Internationale (RFI) le 12 mars : « Il y a des éléments matériels qui relèvent du secret des services de renseignement qui ont justifié son interpellation et son actuelle audition par les services spécialisés. Il y a une intelligence avec les officiers congolais basés à l’étranger qui aurait pour objectif la déstabilisation du processus actuel puisque, comme vous le savez, nous sommes en situation électorale »[2].
Pendant plusieurs semaines, les motifs officiels de l’arrestation et de la détention de M. Dzabana ont été inconnus. On lui a refusé de rencontrer son avocat ou de s’entretenir avec lui, et ce dernier n’a pas eu accès au dossier judiciaire. Selon le droit congolais, la personne gardée à vue a le droit d’être assistée par un avocat dès l’enquête préliminaire. L’officier de police judiciaire est tenu d’attendre l’arrivée de l’avocat commis pour procéder à des auditions ou confrontations de la personne mise en cause.
Le 20 mars, Maître Ibouanga indiquait sur RFI[3] : « Monsieur Dzabana est en détention arbitraire au niveau de la Centrale d’intelligence et de documentation. J’ai écrit à cette institution pour assister le Dr Dzabana. Au cours de cette enquête préliminaire, à ce jour et malgré les multiples visites que j’ai faites là-bas, l’accès à lui m’est totalement refusé, au prétexte que, ceux qui s’occupent de sa détention n’auraient pas reçu les instructions de la hiérarchie. C’est une violation flagrante des droits de l’homme. Les délais de garde à vue sont largement dépassés, il n’a toujours pas été présenté au juge et dans ces conditions, il doit être libéré »
Le fait d’empêcher l’avocat d’assister son client constitue une violation du droit congolais et des normes internationales en vigueur en la matière, notamment l’article 7 de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples (CADHP) et l’article 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP). La détention incommunicado de M. Dzabana au sein de la CID est d’autant plus préoccupante que ce lieu est réputé pour l’usage de la torture et des mauvais traitements dont plusieurs détenus ont fait l’objet et qui ont été documentés par les ONG locales de défense des droits humains.
Le 12 mars, le Procureur général près la Cour d’appel de Brazzaville a été saisi en sa qualité de surveillant de l’action des officiers de la police judiciaire.
Finalement, le 6 avril 2021, après plusieurs semaines de détention au secret au sein des locaux de la CID, le Dr. Alexandre Ibacka Dzabana a été présenté devant justice et placé sous mandat de dépôt à la Maison d’Arrêt et de Correction (MAC) de Brazzaville pour « atteinte à la sécurité intérieure de l’État ».
Le Dr. Alexandre Ibacka Dzabana est connu pour son engagement citoyen et non violent au sein de la société civile congolaise. En 2014, il avait pris la tête de la plateforme de la société civile contre le changement de la Constitution. Son arrestation intervient peu après que des organisations de la société civile et des opposants aient décidé de boycotter le scrutin présidentiel du 21 mars et s’étaient vu interdire une manifestation devant se tenir à Brazzaville le 6 mars dont l’objet était de « réclamer un dialogue national inclusif et la libération des prisonniers politiques ». Le Dr. Alexandre Ibacka Dzabana était l’un des organisateurs de cette manifestation.
Agé de 77 ans, sa famille s’inquiète pour son état de santé. Il souffre d’hypertension.
Vous souhaitez vous mobiliser pour demander la libération immédiate du Dr Alexandre Ibacka Dzabana :
– Téléchargez la lettre, personnalisez-la avec vos coordonnées et adressez-la au ministre congolais de la Justice par voie postale via l'ambassade du Congo en France
– Tweetez , postez sur Facebook, faites-le savoir autour de vous !
CONTEXTE
Pays d’Afrique centrale, la République du Congo est dirigée d’une main de fer par Denis Sassou Nguesso, qui cumule plus de trente-cinq ans de pouvoir. En 2014, il s’engage dans une course contre la montre en vue de l’instauration d’une nouvelle Constitution. Son objectif : pouvoir être, en 2016, candidat à l’élection présidentielle, ce que l’ordre constitutionnel en vigueur lui interdit. En octobre 2015, en violation de la loi congolaise et de ses engagements internationaux et dans un contexte politique très tendu, les autorités congolaises font adopter, par un référendum – aux résultats très contestables – une nouvelle Constitution, sur mesure, pour le président en exercice. En mars 2016, Denis Sassou Nguesso se fait réélire sans difficulté à l’issue d’un scrutin, une nouvelle fois, ni transparent ni démocratique.
Les deux processus électoraux, contestés, entraînent le pays dans une crise politique et sécuritaire majeure, particulièrement dans trois départements : Brazzaville, Pointe-Noire et le Pool. Entre avril 2016 et décembre 2017, les habitants du Pool sont confrontés à un conflit armé de basse intensité entre les forces de défense et de sécurité gouvernementales et les miliciens du pasteur Ntumi. De graves violations des droits humains sont commises dans un silence assourdissant de la communauté internationale. Jusqu’à ce jour, aucune enquête indépendante n’a été menée sur ces faits et les responsables d’exactions, quel que soit le camp, jouissent d’une impunité notoire, une habitude ancrée au Congo depuis les précédents conflits des années 90.
Depuis le référendum constitutionnel d’octobre 2015 et l’élection présidentielle de mars 2016, la situation des libertés publiques et des droits fondamentaux s’est considérablement rétrécie dans le pays. Les autorités congolaises ont mené une vague d’arrestations d’opposants et interdit de nombreuses manifestations pacifiques.
La justice a particulièrement été instrumentalisée pour réduire au silence les adversaires politiques de Denis Sassou Nguesso. Des dizaines d’activistes et opposants, condamnés ou inculpés pour « incitation aux troubles à l’ordre public » et « atteinte à la sûreté intérieure » croupissent actuellement en prison, certains depuis plusieurs années, pour avoir simplement exercé leur droit à la liberté d’expression et de manifestation pacifique. Nombre d’entre eux ont fait l’objet de tortures durant leur garde à vue.
- En mars 2019, André Okombi Salissa, candidat à la présidentielle de 2016, a été condamné à 20 ans de travaux forcés par la Cour criminelle de Brazzaville pour « atteinte à la sécurité intérieure de l’État ». Le président de la Convention pour l’action, la démocratie, et le développement (CADD) avait été arrêté en janvier 2017. Il vivait alors dans la clandestinité après avoir déclaré publiquement, en avril 2016, qu'il ne reconnaissait pas les résultats de l’élection présidentielle.
- En mai 2018, un autre candidat à la présidentielle de 2016, Jean-Marie Mokoko, a été condamné à 20 ans de prison pour « atteinte à la sécurité intérieure de l’État » et « détention d’armes de guerre », à l'issue d'une procédure judiciaire émaillée d'irrégularités. Il avait revendiqué la victoire de la présidentielle.
Les Nations unies considèrent ces détentions comme arbitraires.
A l’approche de l’élection présidentielle du 21 mars 2021, les autorités congolaises ont à nouveau entrepris une politique de restriction des libertés dans le pays, particulièrement à l’encontre de ceux au sein de la société civile qui faisaient usage de leur liberté d’expression pour critiquer les autorités.
Suite au message des Évêques du Congo, le 2 février 2021, émettant de sérieuses réserves sur la tenue d’une élection présidentielle libre et transparente le 21 mars 2021, une campagne de dénigrement a été entretenue sur les réseaux sociaux à leur encontre. Plusieurs membres de la société civile ont également fait l’objet de cambriolages suspects. Dans la nuit du 7 au 8 février, huit individus armés de machettes ont saccagé le domicile du secrétaire permanent de la Commission justice et paix et coordonnateur adjoint de Publiez ce que vous payez Congo, Brice Makosso, également coordonnateur de TLP Congo. Dans la nuit du 8 au 9 mars, le siège de la Rencontre pour la paix et les droits de l’homme (RPDH) a été vandalisé et cambriolé : tous les ordinateurs portables et disques durs ont été dérobés.
L’enlèvement du Dr Alexandre Ibacka Dzabana et la détention arbitraire de Raymond Malonga, directeur de publication de l’hebdomadaire satirique Sel-Piment depuis le 2 février 2021 au sein de maison d’arrêt de Brazzaville, illustrent la situation déplorable des libertés fondamentales dans un pays où les autorités au pouvoir sont allergiques à toute voix dissidente et à toute contestation.
Le 23 mars, deux jours après le scrutin, Denis Sassou-Nguesso a été déclaré vainqueur avec un score de 88,57% des voix. L’élection présidentielle du 21 mars 2021 s’est tenue à huis clos : l’Eglise catholique et l’Eglise Evangélique du Congo, ayant de nombreux observateurs à travers tout le pays, n’ont pas été accréditées pour observer le scrutin. Internet a été coupé, privant les Congolais de pouvoir communiquer les résultats des bureaux de vote. La liberté de la presse a été limitée à l’instar du refus d’accréditation adressé à l’envoyée spéciale de RFI, Florence Morice, qui n’a pas pu couvrir le scrutin.
[1] https://www.lepoint.fr/afrique/congo-un-militant-de-la-societe-civile-arrete-12-03-2021-2417509_3826.php