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République Dém. du Congo
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RDC : UN URGENT BESOIN DE JUSTICE

Documenter, poursuivre, réparer. Les principes de la lutte contre l’impunité sont excessivement difficiles à mettre en place. Déclinaison en RDC, où leur application s’apparente à un combat de longue haleine dix ans après la publication du rapport Mapping qui a répertorié 617 violations graves pouvant être qualifiées de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité. Un article à retrouver dans notre magazine, Humains.
RDC photos humains
UN Photo
Le 14 / 10 / 2020

Alarmées par les informations faisant état de graves violations des droits humains commises à l’encontre des populations civiles en République démocratique du Congo (RDC), les Nations unies demandent l’envoi d’une équipe d’enquête sur place dès 1997. Celle-ci s’y rendra à deux reprises, sans jamais pouvoir effectuer le travail d’investigation planifié. Les enquêteurs indiqueront dans leur rapport que la RDC « n’a manifesté aucune inclination à s’acquitter de l’obligation qui lui incombe de mener une enquête pour identifier les responsables ».

Ce n’est que dix ans plus tard qu’une nouvelle équipe onusienne pourra conduire les recherches nécessaires à la documentation des crimes commis entre 1993 et 2003. Mais la violence n’a pas cessé. Alors que les équipes arrivent à Goma en octobre 2008, les violations des droits humains se multiplient : à Kiwanja, plus de 150 civils sont tués entre les 4 et 5 novembre par un groupe armé. Pourtant, en mars 2009, pendant que les enquêtes de l’équipe Mapping se poursuivent, le gouvernement de la RDC signe un accord de paix avec ce même groupe. Son commandant, Bosco Ntaganda, est nommé général de l’armée congolaise. Il est un personnage connu des enquêteurs du Mapping, qui au même moment documentent les crimes commis par les troupes qu’il commandait en 2002 en Ituri.

En 2009, alors que l’équipe Mapping clôture son enquête, un groupe dirigé par des individus ayant participé au génocide du Rwanda de 1994 entre dans le village de Busurungi le 9 mai : près de 100 civils sont assassinés. La moitié des victimes ont été abattues à coups de machette. Certaines sont ligotées avant d’avoir la gorge tranchée. D’autres ont été délibérément enfermées dans leur maison et brûlées vives ou tuées alors qu’elles essayaient de s’échapper pour se réfugier dans les forêts voisines. Les exactions se poursuivent tout au long de l’élaboration du rapport Mapping, jusqu’à sa finalisation : à l’heure des dernières relectures au cours de l’été 2010, le groupe armé dirigé par Ntabo Ntaberi Sheka lance une offensive ciblant une quinzaine de villages. Plus de 230 femmes sont violées. Cette documentation macabre ne s’est pas arrêtée : depuis le début de l’année 2020, le Haut-Commissariat aux droits de l’homme a déjà publié deux rapports dans lesquels il estime, compte tenu des informations collectées, que des crimes contre l’humanité pourraient avoir été commis en Ituri et dans le territoire de Beni au cours des derniers mois.

 

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POURSUIVRE

Parlant du besoin de poursuivre les responsables des crimes répertoriés, les rédacteurs de l’enquête de 1997-1998 prévenaient que « l’absence de mesures à cet effet confirmerait le sentiment que la communauté internationale fait preuve de partialité face à ces violations, et encouragerait des sentiments collectifs de victimisation et de déni de justice, contribuant au cycle de représailles et à la culture de l’impunité ». Vingt-deux ans plus tard, les progrès sont hélas maigres. Amnistie et intégration au sein de l’armée congolaise ont été préférées aux poursuites et sanctions des responsables bien que de nombreux dossiers aient été ouverts et des mandats d’arrêts, délivrés. Malgré un mandat d’arrêt de la CPI depuis 2006 et le fait qu’il soit sous le régime des sanctions des Nations unies, Bosco Ntaganda était général au sein des Forces armées de la RDC (FARDC) et commandait les opérations militaires au Nord-Kivu. Sheka, commandant des forces qui ont commis, entre autres, les viols de l’été 2010, était lui candidat aux  élections législatives de 2011 dans le territoire de Walikale, où ces crimes ont été commis. Sa candidature a été validée en septembre 2011 par la commission électorale bien qu’un mandat d’arrêt pour crime contre l’humanité eût été délivré contre lui en janvier 2011. 

Les mises à l’écart ne sont que péripéties. Le général Gabriel Amisi Kumba le sait bien : accusé d’avoir commandé des troupes qui ont commis de nombreuses exactions à Kisangani en 2002, il intègre l’armée congolaise peu après. Il monte les échelons, mais en 2012, sa progression s’arrête : il est suspendu, accusé d’avoir vendu du matériel militaire à des groupes armés qu’il était censé combattre. Blanchi de ces accusations en 2014, il est nommé à la tête de la première zone de défense (ouest du pays). Le président Joseph Kabila sait pouvoir lui confier des tâches difficiles : il s’en montrera à la hauteur dès l’année qui suit, en dirigeant la répression des manifestations de l’opposition de janvier 2015 faisant plusieurs dizaines de morts.

Nommer à ces postes à responsabilité des individus accusés par la justice et sous le coup de sanctions s’avère confortable : ils sont redevables à leurs protecteurs… et révocables à tout moment. Certains l’ont vite compris. En juillet 2020, c’est le nouveau président Tshisekedi qui nomme Amisi inspecteur général des Forces armées de la RDC en remplacement d’un certain John Numbi. Ce dernier avait reçu le titre de grand officier de l’ordre des héros nationaux Kabila-Lumumba en 2017 malgré un passé assez trouble. Le général Numbi ne cache pas son mécontentement mais il sait que toute déconvenue est passagère : écarté en 2010 suite à l’affaire Chebeya dans laquelle il est accusé par un agent de ses services d’avoir commandité l’assassinat du militant des droits de l’homme, il est revenu aux affaires rapidement, après que la Haute Cour militaire a refusé d’engager des poursuites. 

La seule crainte et vraie disgrâce est celle qui passe par les armes : Bosco Ntaganda en a fait l’expérience. Lâché par ses hommes, il a préféré se rendre à la CPI. Il n’est pas le seul à faire ce choix : Ntabo Ntaberi Sheka a lui aussi préféré se rendre à la justice congolaise plutôt que de subir le châtiment que lui promettaient ses anciens compagnons. 

RÉPARER

Souvent négligé, le droit à réparation est pourtant essentiel pour les victimes. Sur ce point plus encore, l’État congolais comme la communauté internationale restent muets. Comme le démontre le parcours de Thomas Lubanga : condamné par la CPI pour crimes de guerre (notamment l’enrôlement d’enfants-soldats), poursuivi par la justice congolaise pour d’autres crimes, il est finalement libéré le 15 mars 2020 suite à un nouvel accord de paix conclu avec des groupes de l’Ituri. Que dire aux nombreuses victimes qui ont subi ces violences entre 2002 et 2003 ? Versera-t-il un jour les 10 millions de dollars que la CPI l’a condamné à remettre à 425 victimes ? Ainsi vont donc les choses dans le Congo d’aujourd’hui. Pour combien de temps encore ?

 

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