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Guinée
Appel à mobilisation

Il faut enquêter sur tous les décès par balles liés à des manifestations

Trop de citoyens guinéens meurent par balles dans des contextes de manifestations : au moins dix depuis le début de l’année 2024. Cela doit cesser. L’usage de la force létale par les agents d’application des lois fait rarement l’objet de réelles enquêtes et les auteurs de tirs mortels illégaux ne répondent quasiment jamais de leurs actes devant la justice guinéenne faute de volonté politique. Cela doit changer.
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© Photo Nicolas lascourrèges - Montage Coralie Pouget/ACAT-France
Le 20 / 03 / 2024

Mobilisons-nous pour demander justice pour B. Solomy, Y. Koulibaly, A. Barry, S. Diallo, M. Keita, I. Touré, D. Diallo, M. Diallo, K. Diallo, I. Bah !

Téléchargez la lettre, personnalisez-la avec vos coordonnées et retournez-la par voie postale ou par voie électronique au Premier ministre guinéen.

Qui sont les victimes ?

Depuis le début de l’année 2024 au moins dix guinéens – dont une majorité de jeunes – sont morts par balles dans des contextes de manifestations :

  • Le 14 mars 2024, lors de manifestations spontanées contre le manque d’électricité à Conakry, Cé Benoit Solomy, 25 ans, a été mortellement touché à la poitrine à Ratoma, Mamadou Yéro Koulibaly a été tué par balle à Matoto.
  • Le 12 mars 2024, lors d’une manifestation spontanée dénonçant les coupures répétées d’électricité à Kindia, Abdoulaye Barry, 7 ans, a été mortellement atteint par balle au niveau de la tête à Bamban, Alpha Saliou Diallo, 14 ans, a été mortellement atteint par balle à la poitrine à Cacia.
  • Le 26 février 2024, lors de la journée de grève générale déclenchée par les syndicats à Conakry, Mamady Keita, 18 ans, a été mortellement atteint par balle au cou à Ratoma, Ibrahima Touré, 21 ans, a été tué par balle à Hamdallaye.
  • Le 19 février 2024, lors de manifestations spontanées à Conakry dénonçant pêle-mêle la cherté de la vie, les coupures d’électricité, les restrictions d’accès à Internet, Abdoulaye Djibril Diallo, 15 ans, a été mortellement atteint au niveau du cœur à Bambeto, Elhadj Mamadou Diallo, 30 ans, a été mortellement touché par une balle qui l’a atteint à la tête à Ratoma.
  • Le 9 janvier 2024, lors de manifestations spontanées à Conakry dénonçant la pénurie de carburants et la suspension des cours dans les établissements scolaires, Elhadj Amadou Korka Diallo, 18 ans, a été atteint mortellement par une balle qui a perforé son abdomen à Hamdallaye. La veille, le 8 janvier, Ibrahima Bah, 18 ans, a été atteint mortellement par une balle dans le dos à Bambéto.

Les auteurs de ces tirs mortels seraient, selon les témoins et proches des victimes, des éléments des forces de défense et de sécurité guinéennes déployés dans le cadre du maintien de l’ordre.

Une promesse d’enquête pour les faits survenus le 12 mars 2024

Le Premier ministre guinéen, Amadou Oury Bah, a déclaré le 13 mars 2024 : « Les événements de Kindia ont été particulièrement regrettables et nous nous inclinons devant la mémoire des deux jeunes adolescents qui sont tombés […] Nous rappelons aux forces de défense et de sécurité que le maintien de l’ordre est régi par des règles bien précises où on ne peut pas utiliser des armes à feu dans le cadre du maintien de l’ordre […] Il est important que le procureur en charge de ce territoire puisse mener des enquêtes diligentes pour que les autorités à tous les niveaux puissent savoir comment cela s’est passé ». Le procureur du Tribunal de Première instance de Kindia a annoncé, le même jour, l’ouverture d’une enquête pour « assassinat ». Il a donné des instructions à la gendarmerie locale pour enquêter sur ces faits et situer les responsabilités.

Une absence régulière d’enquêtes malgré les obligations de l’État en la matière

Les normes internationales en matière de droits humains auxquelles la Guinée est partie stipulent que les armes à feu ne devraient jamais être utilisées pour disperser un rassemblement pacifique. Si le recours à la force pour disperser des manifestations violentes est autorisé, les forces de l’ordre doivent recourir à une force minimale nécessaire permettant de maintenir la situation sous contrôle. Elles doivent s’appuyer sur une utilisation proportionnée d’armes moins létales. L’usage intentionnel et létal d’armes à feu ne peut avoir lieu que lorsque cela est strictement inévitable afin de protéger des vies. Après toute utilisation d’armes à feu, des enquêtes doivent être effectuées afin de s’assurer de leur bon usage. En Guinée, de telle enquêtes sont une exception.

En ce qui concerne les faits survenus à Conakry les 8-9 janvier, 19 février, 26 février et 14 mars 2024 ayant entraîné la mort par balles de six personnes, les autorités guinéennes n’ont annoncé l’ouverture d’aucune enquête judiciaire. Elles sont restées silencieuses sur ces morts et il est fort probable qu’aucune enquête n’ait été ouverte par la justice.

De son côté, la communauté internationale fait preuve, depuis quelques temps, d’un désintéret préoccupant sur la situation des droits humains en Guinée et aucun partenaire de la Guinée n’a appelé publiquement, ces derniers mois, à la protection de la population lors des manifestations ni à l’ouverture d’enquêtes lorsqu’il y a eu des morts par balles en manifestations, comme si cela était devenu banal.

Contexte

Le Comité national du rassemblement pour le développement (CNRD) a pris le pouvoir en Guinée à la suite du coup d’État du 5 septembre 2021. La junte militaire s’est rapidement accordée avec la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO) sur une période de transition de deux ans afin de restaurer l’ordre constitutionnel ; engagement non respecté puisque à ce jour le CNRD continue à gérer seul le pays. Le 13 mai 2022, le CNRD a décidé d’interdire « toutes manifestations sur la voie publique de nature à compromettre la quiétude sociale […] jusqu’aux périodes électorales ». Cette décision, toujours en cours aujourd’hui, viole les traités et conventions internationales auxquels la Guinée a librement souscrit notamment, l’article 20 de la Déclaration universelle des droits de l’homme (DUDH), l’article 21 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP) et l’article 11 de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples qui garantissent le droit à la liberté de réunion et d'association pacifiques. L’interdiction des manifestations est également en contradiction flagrante avec l’article 34 de la Charte de la transition guinéenne qui garantit les libertés d’associations et de réunions et qui, dans l’article 8 alinéa 2, dispose qu’« aucune situation d’exception ou d’urgence ne doit justifier les violations des droits humains ».

Un usage régulier de la force létale en manifestations

Au moins une trentaine de personnes auraient été tuées en Guinée dans des manifestations depuis le coup d'État qui a renversé l’ancien président Alpha Condé en septembre 2021. En Guinée, les forces de défense et de sécurité qui gèrent le maintien de l’ordre sont réputées pour utiliser une force excessive lorsqu’elles répondent à des manifestations de rue qui sont elles-mêmes souvent violentes. L’usage des armes à feu est régulier. Selon les règles édictées par la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples (CADHP) : « En règle générale, le personnel militaire ne devrait pas être déployé pour le maintien de l’ordre lors des réunions et ne doit être utilisé qu’en cas de circonstances exceptionnelles et uniquement en cas de nécessité absolue » (Lignes directrices pour le maintien de l’ordre par les agents chargés de l’application des lois lors des réunions en Afrique, mars 2017). Ces règles sont rarement appliquées en Guinée, où la réquisition de l’armée est banalisée dès qu’il y a des manifestations violentes. Les violations des règles internationales sur l’usage des armes à feu par les forces armées sont constantes.

Une longue histoire de répressions des manifestations

L’Histoire contemporaine de la Guinée est émaillée d’une utilisation excessive et régulière des armes à feu par les forces de défense et de sécurité lors de la gestion des manifestations. Entre 2005 et 2015, au moins 350 personnes sont mortes et plus de 1 750 autres ont été blessées lors de manifestations. La plupart ont été blessées ou tuées par les balles des forces de l’ordre. Lors de la grève nationale de juin 2006, Human Rights Watch (HRW) a recueilli les témoignages concernant treize meurtres commis à Conakry et Labé par des policiers et des militaires. En janvier et février 2007, la grève générale organisée par les principaux syndicats guinéens pour protester contre la corruption, la mauvaise gouvernance et la détérioration des conditions économiques a été brutalement réprimée par les forces de défense et de sécurité avec au moins 129 morts et plus de 1700 blessés dont des centaines par balles. Au moins 7 personnes sont mortes et 220 ont été blessées à Conakry et dans d'autres villes du pays entre le 15 et le 19 novembre 2010 à la suite d’un usage de la force excessive par les forces de défense et de sécurité dans le contexte politique des élections présidentielles. Des dizaines de manifestants et deux agents chargés de l’application des lois ont été tués en 2012-2013 à l’approche des élections législatives. Au moins 12 personnes ont été tuées, dont 6 par des tirs d’armes à feu, et de nombreuses autres ont été blessées dans le contexte des élections présidentielles de 2015.

Au moins 21 personnes sont mortes lors des manifestations survenues en 2018, dont au moins 12 auraient été victimes de tirs mortels de la part des forces de l’ordre. Un agent de police et un gendarme auraient également été tués par des manifestants. Entre octobre 2019 et juillet 2020, à l’appel du Front national pour la défense de la Constitution (FNDC), des milliers de guinéens ont manifesté contre le projet de nouvelle constitution devant permettre au président Alpha Condé de briguer un troisième mandat d’affilée, ce que lui interdisait la constitution en vigueur. Les manifestations ont été interdites. Ceux qui ont voulu marcher ont été réprimés, occasionnant des affrontements entre manifestants et forces de l’ordre. Ce nouveau cycle de répression a été particulièrement meurtrier avec la mort d’au moins 50 personnes tuées par les forces de l’ordre. Du 14 au 16 octobre 2019, au moins 11 personnes – dont un gendarme – ont par exemple été tuées par balles et plusieurs dizaines d’autres blessées par balles à Conakry et dans plusieurs autres villes de Guinée. À la suite du scrutin présidentiel du 18 octobre 2020, les forces de défense et de sécurité ont recouru à une force excessive pour disperser les manifestations dirigées par l’opposition à Conakry faisant au moins 12 morts.

Une législation non conforme au droit international

Le 25 juin 2019, l’Assemblée nationale de Guinée a adopté un projet de loi relative à l’usage des armes par la gendarmerie. Avant l’adoption de cette loi, un gendarme, pour faire usage de son arme à feu devait se trouver soit en état de légitime défense, soit de nécessité absolue. Depuis l’adoption de cette loi, les gendarmes peuvent ouvrir le feu lorsque l’intégrité physique d’une personne est menacée, lorsqu’ils ne peuvent accomplir autrement leur mission, en cas de fuite d’un véhicule ou d’un individu, ou pour empêcher la réitération d’un meurtre. Cette loi, à l’instar de la loi de 2015 sur le maintien de l’ordre public, stipule toutefois que la force ne doit être utilisée que lorsque c’est nécessaire et qu’elle doit être proportionnée. Mais les deux lois ne limitent pas explicitement le recours aux armes à feu aux seuls cas où existent des menaces imminentes de mort ou de grave blessure.

Une impunité quasi totale pour les auteurs et responsables d’usage excessif de la force

Les hiérarchies de la police et de la gendarmerie affirment régulièrement que les forces de l’ordre n’ont pas le droit de porter des armes létales lorsqu’elles encadrent des manifestations. A plusieurs reprises au cours de la dernière décennie, les autorités guinéennes ont officiellement indiqué qu’elles ouvraient des enquêtes à la suite de décès survenus en manifestations. Dans la très grande majorité des cas, ces enquêtes n’ont jamais abouti, les autorités guinéennes préférant, sans en apporter la moindre preuve, rejeter la responsabilité des morts sur les manifestants et l’opposition. Jusqu’à ce jour, très peu de membres des forces de défense et de sécurité ont été arrêtés et jugés pour des tirs mortels survenus lors de manifestations. L’officier de police Kaly Diallo a été condamné à 10 ans de réclusion criminelle, le 4 février 2019, pour le meurtre de Thierno Hamidou Diallo, un jeune homme qui avait été touché mortellement par une balle, le 16 août 2016, alors qu’il était sur le balcon de son domicile à Bambéto, en marge d’une manifestation de l’opposition. Le 2 avril 2021, la Cour d’appel de Conakry a acquitté cet officier de police et lui a rendu sa liberté. Le 13 juin 2022, le Parquet a annoncé l’inculpation et le placement en détention d’un gendarme pour « meurtre présumé »  après la mort par balle de Thierno Mamadou Diallo, 19 ans, survenue le 1er juin 2022 à Conakry en marge d'une manifestation contre l’augmentation du prix de l’essence. Le 27 mars 2023, le tribunal de première instance de Dixinn a condamné l’adjudant-chef Moriba Camara à une peine de 10 ans de réclusion criminelle pour « meurtre ». Ce dernier a fait appel et son procès en appel est en cours.

De manière régulière, les autorités guinéennes laissent entendre par leurs prises de parole publique qu’elles ne respectent pas leurs obligations légales en termes de lutte contre l’impunité. Le 20 janvier 2020, le porte-parole du gouvernement guinéen, Aboubacar Sylla, a indiqué sur Radio France internationale (RFI) : « Si nous avons des preuves, si nous avons des indices qui permettent de remonter jusqu’à l’origine de ceux qui tirent dans les manifestations, que ce soit des policiers ou des gendarmes ou des militaires […] dans ces conditions, nous interviendrons, nous ferons des enquêtes et le droit sera dit ». Étranges propos car les enquêtes sont normalement entreprises pour recueillir des preuves et non l'inverse. Pour Aboubacar Sylla : « Il n’y a pas de preuves qui permettent d’identifier ceux qui tirent. Il y a trop de perturbations des scènes de crime », comme si l’Etat n’était pas en capacité de savoir quelles unités de police, de gendarmerie ou de l’armée sont déployées sur le terrain, de connaître les noms des membres de ces unités et d’avoir les informations sur les armes, les munitions et les équipements utilisés en opérations.

À Genève, en 2020, lors de l’examen périodique universel (EPU) de la Guinée au Conseil des droits de l’homme des Nations unies, de nombreux États, dont la France, ont évoqué leur inquiétude concernant l'encadrement des manifestations et demandé des enquêtes impartiales sur les violences survenues lors des manifestations. Pour justifier l’absence de résultats dans les enquêtes entreprises en Guinée, le ministre guinéen de la Justice Mamadou Lamine Fofana a indiqué, le 21 janvier 2020, que « les policiers n'étaient jusque-là pas formés pour mener des enquêtes balistiques » et que les officiers de police judiciaire (OPJ) ne disposaient pas de moyens techniques appropriés pour enquêter sur les morts par balles lors des manifestations. Des OPJ sont pourtant régulièrement formés aux nouvelles techniques d’enquêtes judiciaires afin d’améliorer leurs capacités opérationnelles sur le terrain à travers diverses coopérations sécuritaires de pays partenaires.

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