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Peine de mort, le retour ?

Les Français contre la peine de mort ? On pourrait croire le phénomène anciennement et solidement ancré. Il n’en est rien. La peine capitale pourrait-elle être rétablie en France ?
robert_badinter

« Moi, à titre personnel, je pense que la peine de mort doit exister dans notre arsenal juridique, à charge évidemment pour les jurés, pour les crimes les plus odieux, de pouvoir faire ce choix » déclarait en janvier Marine Le Pen. Rien de nouveau à l’extrême droite... Ce qui l’est en revanche un peu plus, c’est l’influence de ce type de déclaration dans la France de 2015. La peine capitale pourrait-elle être rétablie ?

Les Français contre la peine de mort ? On pourrait croire le phénomène anciennement et solidement ancré. Il n’en est rien. En 1972, 63 % d’entre eux y étaient encore favorables, selon un sondage IFOP. Presque dix ans plus tard, au lendemain du vote historique de la loi d’abolition, le 9 octobre 1981, cette proportion était exactement la même. Si l’on en croit les sondages, l’opinion publique a en fait attendu les années 90 pour être majoritairement abolitionniste. En 1998, la proportion de la population favorable à la peine capitale était descendue à 44 %. Onze ans plus tard, en 2010, la partie semblait gagnée avec « seulement » 30 % d’opinions favorable.

On pourrait donc croire le « oui à la peine de mort » bel et bien enterré. Las, c’est exactement l’opposé qui se produit aujourd’hui. Depuis 2010, les sondages montrent tous un retour très net : 35 % de personnes favorables au rétablissement de la peine de mort en 2011, 47 % en 2014. Et en avril 2015, coup de tonnerre : un nouveau sondage IPSOS affiche une majorité de la population favorable à la peine capitale (52 %). La France fait aujourd’hui le chemin inverse de celui parcouru au cours des années 1970 et 80… Paradoxalement, c’est chez les électeurs de gauche que ce revirement est le plus spectaculaire : ils sont 36 % à se déclarer en faveur de la peine de mort, soit 15 points de plus qu’en 2014.

Ainsi, alors que l’abolition de la peine de mort, acte fondateur du premier septennat de François Mitterrand figure dans tous les livres d’histoire, sa portée disparaît peu à peu des sondages et sans doute des esprits. Que s’est il donc passé ? Pour les experts ès opinions, pas de doute, le reflux récent est l’effet direct des attentats terroristes. Selon le directeur général délégué de l’institut de sondage Brice Teinturier, ils ont fait sauter le verrou de l’opposition de principe à la peine capitale : « Le sentiment que la violence est de plus en plus forte conduit à radicaliser la prise de position et affaiblit l’idée qu’on peut réintégrer dans la société tous les condamnés. »

D’autres éléments peuvent avoir une influence, comme la démographie : « La génération du baby boom, analyse ainsi l’éditorialiste Fréderic Pennel, centre de gravité de la démographie française, avait ancré la France dans une société plus progressiste dans les années 1970, une fois arrivée à l’âge adulte. Cette même génération, à l’orée du troisième âge, contribue, au contraire, à faire voguer le paquebot France vers des terres conservatrices (…) Se sentant plus vulnérables qu’auparavant, les thématiques sécuritaires trouvent davantage d’écho auprès d’eux. »

Vers un retour possible de la peine capitale ?

Déclarations intempestives, sondages alarmants … un retour de la peine de mort serait-il envisageable en France ? Il est important de rappeler que son rétablissement est quasiment impossible en raison de puissants verrous juridiques. La dernière exécution en France date de 1977, la loi d’abolition de 1981. Dotée d’une très forte portée symbolique, cette loi n’était pourtant qu’une première étape. Le véritable aboutissement du long chemin vers l’abolition en France date en fait de 2007, date de la révision de la Constitution. Auparavant, en théorie, une simple loi aurait pu rétablir la peine de mort. Plusieurs projets de loi ont d’ailleurs été déposés en ce sens à l’Assemblée Nationale dès 1984.

Comment a-t-on abouti à l’abolition irréversible ? En 1986, la France a bien ratifié le protocole additionnel numéro 6 à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (CEDH), qui supprime la peine capitale. Toutefois, ce protocole ne concerne que le temps de paix, le texte stipulant qu’ « un État peut prévoir dans sa législation la peine de mort pour des actes commis en temps de guerre ou de danger imminent de guerre ». En 2004 encore, une proposition de loi française visant à rétablir la peine de mort était ainsi déposée par le député UMP Richard Dell’Agnola et signée par 46 autres parlementaires. Elle invoquait du reste un « état de guerre » afin de rétablir la peine de mort pour les terroristes.

La CEDH prévoyait par ailleurs une faculté de dénonciation moyennant un préavis de six mois après l’expiration d’un délai de cinq ans à compter de l’entrée en vigueur. Le seul vrai verrou juridique empêchant un rétablissement de la peine de mort était donc théoriquement caduc depuis 1991 !

« Nul ne peut être condamné à la peine de mort. »

Afin de rendre l’abolition irréversible, une révision de la Constitution a été initiée par Jacques Chirac en 2006 et votée par le Congrès le 19 février 2007 (828 voix pour et 26 contre). Elle a inscrit l’abolition de la Peine de mort dans un nouvel article 66-1 : « Nul ne peut être condamné à la peine de mort. » Cette révision a ouvert à la voie à l’adoption par la France la même année du deuxième protocole facultatif se rapportant au pacte des droits civils et politiques des Nations unies de 1989 (Pacte de New York). C’est bien la ratification de ce deuxième protocole qui a rendu l’abolition de la peine de mort quasiment irréversible.

Dans la foulée, cette même année 2007, la France est devenue le 40e pays à ratifier le protocole 13 de la Convention européenne des droits de l’homme qui « abolit la peine de mort en toutes circonstances, même pour les actes commis en temps de guerre ou de danger imminent de guerre ».

Rétablir la peine de mort en France impliquerait donc la dénonciation de tous ces traités internationaux et une modification de la Constitution avant l’adoption d’une nouvelle loi. Un processus long et complexe – complètement inéditqui signerait la mise au ban de la France de l’Europe et de la communauté internationale. Un scénario quasi impossible qui relègue les appels au rétablissement de la peine capitale au rang de pure démagogie.

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