Cookie Consent par FreePrivacyPolicy.com
Vietnam
Actualité

Le Parlement européen doit différer l’approbation de l’accord de libre-échange avec le Vietnam

L’ACAT fait partie des 17 associations ayant exhorté dans une lettre ouverte les membres du Parlement européen à différer l’approbation de l’accord de libre-échange avec le Vietnam tant que ce dernier se rendra coupables de graves violations des droits humains.
European_Parliament_building_Brussels_3

[The original open letter in English is available here.]

Le 4 novembre 2019

Honorables membres du Parlement européen,

Nous, soussignées, organisations de la société civile vietnamiennes et internationales, vous écrivons pour vous demander de veiller à ce que le Parlement Européen retarde la signature de l’accord de libre-échange entre l’Union européenne et le Vietnam (EVFTA) et sur la protection de l’investissement (IPA) jusqu’à ce que le gouvernement vietnamien respecte les normes internationales en matière de droits humains.

Comme vous le savez peut-être, ces dernières années, le gouvernement vietnamien a intensifié sa répression envers les défenseurs des droits humains, des membres de la société civile, des groupes religieux et des personnes ayant exprimé des opinions critiques envers le gouvernement. Les droits à la liberté d’expression, d’opinion, d’association et de réunion restent strictement limités et le pouvoir judiciaire est étroitement contrôlé par l’État, de même que la presse, la société civile et les groupes religieux. Toute expression de dissidence est sévèrement punie par les autorités de l’État, de manière directe ou par l’intermédiaire de voyous parrainés par l’État. Des centaines de militants des droits humains, des défenseurs de l’environnement ou du droit du travail, des avocats, des personnalités religieuses et des blogueurs ont été soit condamnés soit détenus pour avoir exercé pacifiquement leur liberté d’expression, en application d’un code pénal draconien qui criminalise explicitement toute critique envers le gouvernement.

Dans ce contexte, nous regrettons que les négociations relatives à l’EVFTA et à l’IPA n’aient pas débouché sur des engagements plus concrets en matière de droits humains de la part des autorités vietnamiennes que les maigres lignes écrites dans le chapitre sur le développement durable de l’EVFTA, et qu’aucun calendrier ni sanctions ne soient prévues en cas de non-respect. De plus, nous sommes préoccupées par le suivi de la mise en œuvre de ces accords, ignorant le fait qu’il n’y ait pratiquement pas de société civile indépendante au Vietnam, et certainement aucune qui pourrait à ce stade émerger ouvertement et exercer complètement ce rôle de surveillance sans craindre de répercussions. Enfin, nous restons profondément inquiets devant la réticence[1] du Vietnam  à réviser son code pénal, dont les articles interdisent toute critique pacifique envers le gouvernement, empêchant les citoyens vietnamiens de jouir pleinement des droits inscrits dans les conventions de l’Organisation Internationale du Travail auxquelles le Vietnam a adhéré.

Si les accords entraient en vigueur, les menaces de suspension contre ces derniers pour violation des droits humains en vertu du lien avec l’accord de partenariat et de coopération UE-Vietnam manqueraient de crédibilité : tout d’abord, il n’y a auparavant jamais eu de cas de suspension d’accord de libre échange pour des motifs de violation des droits humains. Deuxièmement, la suspension de l’accord, en particulier de l’IAP, pourrait être extrêmement préjudiciable aux entreprises et aux investissements de l’UE dans le pays. Troisièmement, le Vietnam bénéficie actuellement de préférences commerciales unilatérales par le biais du schéma de préférences généralisées (SPG)[2]. Néanmoins l’incapacité du pays à respecter ses nombreuses obligations en matière de droits humains n’a pas encore suscité de réaction significative de la part de l’UE, qui a plutôt intensifié les négociations pour l’EVFTA. Quatrièmement, les violations des droits humains dans le pays sont tellement vastes et graves que, si les accords étaient en vigueur à l’heure actuelle, il y aurait sans doute déjà lieu à les suspendre.

Pour toutes ces raisons, la procédure en cours au Parlement européen, qui doit décider d’accorder, de refuser ou de différer la signature de l’EVFTA et de l’IPA, représente la dernière et majeure opportunité de tirer parti de ces accords pour garantir des améliorations concrètes des droits humains au Vietnam.

En se basant sur une approche similaire à celle entreprise durant la précédente législature européenne adoptée en mars de cette année concernant l’accord de partenariat et de coopération[3] UE-Turkménistan, les membres du Parlement Européen devraient avertir le gouvernement vietnamien qu’ils ne signeront les accords que lorsque les préoccupations relatives aux droits humains auront été adressées par les dirigeants vietnamiens. Voici les demandes qui devraient être adressées en priorité au gouvernement vietnamien par les eurodéputés :

  • La libération de tous les prisonniers politiques et détenus et, dans l’attente de leur libération, l’autorisation aux familles, aux avocats, aux observateurs extérieurs de l’UE ainsi qu’aux groupes humanitaires et des droits humains internationaux à entrer en contact avec les détenus. Parmi les cas les plus importants figurent les défenseurs des droits humains, les groupes de défenses du droit de travail, les défenseurs de la liberté religieuse, les activistes environnementaux, les journalistes et les blogueurs, notamment Tran Huynh Duy Thuc, Le Dinh Luong, Ngo Hao, Lu Hohan Hoa, Tran Anh Kim, Nguyen Van Tuc et Nguyen Trung Ton, Nguyen Trung Truc, Truong Minh Duc, Le Thanh Tung, Nguyen Bac Truyen, Nguyen Van Duc Do, Tran Thi Nga, Tran Thi Xuan, Ho Duc Hoa ;
  • L’annonce publique et sans équivoque de son engagement vers l’abrogation ou la modification des articles 109, 116, 117, 118 et 331 du Code Pénal et des articles 74 et 173 du Code de procédure pénale, assortie d’un calendrier précis. Cette annonce servira à la mise en conformité de la législation pénale avec les obligations du Vietnam en vertu du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP) ;
  • L’arrêt immédiat de tout type de harcèlement, de dénonciations forcées de la foi, d’arrestations arbitraires, de poursuites, d’emprisonnements et de mauvais traitements infligés à des personnes qui adhèrent à des croyances religieuses, et à la libération de toute personne actuellement détenue pour avoir exercé pacifiquement son droit à la liberté religieuse, de croyance, d’expression, d’assemblée et d’association. Les lois nationales traitant des affaires religieuses doivent par ailleurs être en conformité avec les principes des droits humains ;
  • L’autorisation la publication de journaux et de magazines non censurés, indépendants et gérés de manière privée ; la suppression des filtres, des dispositifs de surveillance et autres restrictions dans l’utilisation d’Internet et la libération de toutes les personnes emprisonnées ou détenues pour avoir diffusées pacifiquement leurs points de vue sur Internet. De plus, il est nécessaire d’annoncer publiquement un calendrier pour la révision de la loi sur la cybersécurité afin qu’elle entre en conformité avec les normes internationales relatives aux droits humains ;
  • La reconnaissance immédiate des syndicats indépendants ; l’annonce publique d’un calendrier détaillé pour la ratification des conventions n° 87 de l’OIT (liberté syndicale et protection du droit syndical) et n° 105 (abolition du travail forcé) et la libération immédiate et sans condition de toutes les personnes détenues pour avoir participé à des activités pacifiques en faveur des droits des travailleurs ;
  • Accepter les demandes de visites des Procédures Spéciales des Nations Unies ;
  • Adopter un moratoire de facto sur la peine de mort en vue de l’abolir progressivement.

Par ailleurs, les députés devraient demander à la Commission Européenne de :

  • Mettre en place un mécanisme indépendant de suivi et de plainte pour traiter les impacts sur les droits humains que peuvent avoir l’EVFTA et l’IPA et qui pourrait être utilisé par les individus et les communautés affectés et leurs représentants ;
  • Préciser quels groupes de la société civile vietnamienne indépendante composeront les groupes consultatifs nationaux (GCN) prévus par les accords, et quelles mesures seront mises en place pour garantir qu’ils puissent exercer leur rôle de manière indépendante, impartiale, approfondie et en toute sûreté.

Cordialement,

  • Action des Chrétiens pour l’Abolition de la Torture (ACAT-France)
  • ASEAN Parliamentarians for Human Rights (APHR)
  • Bau Bi Tuong Than Association
  • Boat People SOS (BPSOS)
  • CIVICUS: World Alliance for Citizen Participation
  • Comité Suisse-Vietnam (COSUNAM)
  • Defend the Defenders (DTD)
  • Fédération Internationale pour les Droits de l’Homme (FIDH)
  • Human Rights Watch (HRW)
  • International Commission of Jurists (ICJ)
  • Legal Initiatives for Vietnam
  • Reporters Sans Frontières (RSF)
  • The 88 Project
  • Vietnam Association of Independent Journalists
  • Vietnamese Professionals Society (VPS)
  • Viet Tan

 

 

L’ACAT-France s’était précédemment exprimée sur l’accord de libre-échange UE-Vietnam en juin 2018 et en septembre 2019.

 

[1] Voir les dernières réponses du gouvernement vietnamien aux suggestions formulées durant son dernier Examen Périodique Universel par de nombreux pays, dont des membres de l’UE : http://daccess-ods.un.org/access.nsf/Get?Open&DS=A/HRC/DEC/41/101&Lang=E

  • Peine de mort
  • Torture