Condamnation d’une victime de torture
Détenu au secret et torturé pendant 20 jours aux mains du Département du renseignement et de la sûreté (DRS) en 2009, Medjdoub Chani vient d’être condamné dix ans d’emprisonnement à l’issue d’un procès inéquitable.
Le 17 septembre 2009, cet homme d’affaire algéro-luxembourgeois a été enlevé par des agents en civil à son arrivée à Alger. Pendant que son épouse et son fils, résidents au Luxembourg, essayaient en vain de le retrouver, M. Chani était détenu dans un centre secret de la DRS et soumis à la torture pour lui faire signer des aveux dans lesquels il s’accusait de corruption. Le 6 octobre, il a été présenté au milieu de la nuit devant un procureur puis un juge d’instruction qui l’a placé en détention provisoire sur la base d’aveux forcés.
Le 7 mai 2015, plus de cinq ans après son placement en détention, M. Chani a été condamné à dix ans d’emprisonnement à l’issue d’un procès ubuesque. Ses avocats ont demandé à la cour d’entendre les agents de la DRS qui ont cosigné les procès-verbaux d’aveux de M. Chani, ainsi que le procureur et le juge d’instruction qui ont entendu la victime à l’issue des 20 jours de détention arbitraire et le médecin qui est censé l’avoir examiné à la fin de sa garde à vue. Les juges ont refusé d’entendre ces témoins.
M. Chani et deux de ses coaccusés ont dénoncé devant la cour les tortures subies aux mains de la DRS, mais les juges ont refusé d’en tenir compte. Au cours de l’audience, le principal témoin à charge contre M. Chani a affirmé que ce dernier avait bien été arrêté le 17 septembre 2009 et non le 28 comme le prétend le procureur, mais les juges n’ont pas relevé cette falsification.
Malgré les risques de rétorsion, M. Chani a porté plainte pour torture. Une plainte classée sans suite quelques jours plus tard. Ses avocats ont alors porté plainte au Luxembourg mais l’enquête piétine en raison de l’absence de coopération de la justice algérienne.
En désespoir de cause, M. Chani a entamé une grève de la faim, le 11 mai dernier, pour protester contre l’injustice qu’il subi depuis près de six ans.
Contexte
La torture, un phénomène peu documenté
Il est très difficile d’obtenir des témoignages de victimes de torture en Algérie. Elles sont peu enclines à dénoncer les sévices ou mauvais traitements subis, par manque de confiance en la justice et surtout par peur d’être à nouveau torturées ou condamnées à une lourde peine en cas de poursuite judiciaire.
Le DRS, un service au-dessus des lois
Les agents du DRS sont parmi les principaux auteurs d’actes de torture et de mauvais traitements. Créé en 1990, le DRS est tristement célèbre pour les exactions massives perpétrées pendant la guerre civile et représente actuellement le seul service habilité à instruire les affaires de terrorisme. Ses agents, officiellement pourvus des prérogatives de la police judiciaire, échappent en pratique au contrôle du procureur de la République. De même, les centres de détention non reconnus dans lesquels ils se livrent aux interrogatoires et aux violences ne sont pas inspectés par ce dernier.
Les poursuites à l’encontre d’agents de l’État se rendant coupables d’actes de torture sont rares et ne concernent jamais les membres du DRS. C’est ainsi que Mohammed Médiene, chef du DRS et responsable à ce titre de la principale institution tortionnaire du pays, occupe toujours le même poste depuis 1990.
Toutefois, en 2013, le président Bouteflika a entamé une réforme du DRS, vraisemblablement pour réduire son influence politique. Il n’est pas certain que le pouvoir d’influence du Département en ait pour le moment sérieusement pâti.