Le musicien nigérian Yahaya Sharif-Aminu est emprisonné depuis mars 2020, en attente de la décision de la Cour suprême du Nigeria concernant son appel relatif à une première condamnation à mort prononcée en août 2020 pour la diffusion d’une chanson jugée blasphématoire.
Qu’est-il reproché à Yahaya Sharif-Aminu ?
Yahaya Sharif-Aminu est accusé de blasphème à l’encontre du prophète Mahomet. En février 2020, il a partagé une chanson sur WhatsApp dans laquelle il exprimait son admiration pour un chef religieux soufi. Cette expression a été perçue comme une offense par certains habitants de Kano, un État du nord du Nigeria, régi par la charia en plus du droit civil. Suite à la diffusion de cette chanson, des manifestations ont éclaté, et la maison de Yahaya Sharif-Aminu a été incendiée par une foule en colère. Il a été arrêté en mars 2020 et jugé par une cour islamique de l’État de Kano, qui l’a condamné à mort par pendaison en août 2020. Cette condamnation a suscité une large indignation internationale. En janvier 2021, la cour d’appel de l’État de Kano a annulé la condamnation à mort, ordonnant un nouveau procès, estimant qu’il n’avait pas bénéficié d’une défense adéquate lors de son premier procès.
Un système juridique mixte dans les États du nord du Nigeria
Le Nigeria, pays à forte diversité religieuse et culturelle, est régi par un système juridique mixte dans ses États du nord, combinant la loi civile laïque et la charia. La charia ne s’applique normalement qu’aux musulmans. Son interprétation stricte dans certains États conduit à des condamnations sévères, notamment pour des actes perçus comme blasphématoires. Ces pratiques judiciaires relatives à la charia soulèvent des préoccupations majeures quant au respect des droits fondamentaux, tels que la liberté d’expression et de religion.
Un appel devant la Cour suprême du Nigeria dans un contexte de pression internationale
En mai 2024, des experts indépendants des Nations Unies ont appelé les autorités nigérianes à libérer immédiatement et sans condition Yahaya Sharif-Aminu, soulignant que sa détention prolongée pour avoir exercé sa liberté d’expression constituait une violation des droits humains. En avril 2023 puis en février 2025, le Parlement européen a adopté des résolutions appelant à sa libération immédiate et à l’abrogation des lois sur le blasphème au Nigeria
Cela va bientôt faire cinq ans que Yahaya Sharif-Aminu est détenu pour avoir exercé son droit à la liberté d’expression de manière pacifique. Il attend l’issue de son appel devant la Cour suprême du Nigeria.
Contexte
La Constitution nigériane de 1999, en son article 33(1), autorise la peine capitale pour certaines infractions pénales. Les principales lois encadrant cette sanction incluent le Code pénal applicable dans les États du Nord, le Code criminel en vigueur dans les États du Sud, ainsi que des lois spécifiques telles que le décret sur le vol à main armée et les lois pénales fondées sur la charia dans douze États du Nord. Les crimes passibles de la peine de mort englobent le meurtre, le vol à main armée, la trahison, la conspiration en vue de commettre une trahison et, dans certaines juridictions appliquant la charia, des infractions telles que l’adultère, le viol, la sodomie, l’inceste, la sorcellerie et les offenses liées au Juju. Les méthodes d’exécution au Nigeria comprennent la pendaison, le peloton d’exécution, la lapidation et, depuis 2015, l’injection létale. Ces pratiques varient en fonction des juridictions et des lois spécifiques en vigueur dans les différents États.
Application de la peine de mort et tendances récentes
Bien que la peine de mort soit légalement en vigueur, son application effective est relativement rare. Après une période sans exécutions depuis 2006, quatre prisonniers ont été pendus en 2013, suivis de trois autres en 2016 pour des crimes de meurtre et de vol à main armée. Depuis 2016, aucune exécution n’a été officiellement rapportée. Le pays continue toutefois de prononcer des condamnations à mort de manière fréquente. En mai 2024, le Sénat a proposé un amendement législatif visant à instaurer la peine capitale pour les personnes reconnues coupables de trafic de drogue, remplaçant ainsi l’emprisonnement à vie en vigueur. Cette initiative législative reflète une volonté de durcir les sanctions contre le trafic de stupéfiants dans le pays.
Selon les données disponibles, le nombre de personnes condamnées à mort au Nigeria a considérablement augmenté ces dernières années. En 2008, on recensait 725 hommes et 11 femmes condamnés à mort. Ce chiffre est passé à plus de 2000 en 2018, faisant du Nigeria le pays d’Afrique subsaharienne avec le plus grand nombre de condamnés à mort cette année-là. En 2023, Amnesty International a rapporté au moins 246 nouvelles condamnations à mort, portant le total à plus de 3000 personnes actuellement dans le couloir de la mort au Nigeria.
Les conditions de détention des condamnés à mort
Les conditions de détention des condamnés à mort au Nigeria sont souvent dénoncées pour leur dureté et leur inhumanité. Les prisons nigérianes souffrent d’une surpopulation chronique, principalement due au recours excessif à la détention provisoire, qui représente une très grande proportion de la population carcérale. Les détenus, y compris ceux condamnés à mort, sont fréquemment confrontés à des conditions de vie précaires, notamment un accès limité aux soins médicaux, une alimentation insuffisante et des installations sanitaires inadéquates.
Débat public et position des organisations de défense des droits humains
La peine de mort au Nigeria est un sujet complexe et controversé, reflétant les tensions entre les traditions juridiques, les réalités sociopolitiques et les appels d’une partie de la société en faveur de l’abolition. Les débats portent principalement sur la nécessité de réformes juridiques, la protection des droits fondamentaux et l’adéquation de la peine capitale dans le contexte nigérian contemporain.