Le défenseur des droits humains Joaquín Elo Ayeto est porté disparu en prison. Depuis le 13 août 2024, plus personne n’a eu de ses nouvelles après son transfert à la prison d’Oveng Azem. Les membres de sa famille qui se sont rendus sur place n’ont pas été autorisés à lui rendre visite. Les autorités de Guinée-équatoriale n’ont fourni aucune preuve de vie du militant. Sa détention au secret est injustifiable et les craintes concernant sa sécurité sont réelles.
Qu’est-il arrivé à Joaquín Elo Ayeto ?
Le 1ᵉʳ août 2024, Joaquín Elo Ayeto, membre de la plateforme citoyenne Somos+, et militant du parti d’opposition Convergence pour la démocratie sociale (Convergencia para la democracia social, CPDS), est arrêté à son domicile de Malabo par des membres de la gendarmerie. Accusé d’avoir mené des activités illégales avec l’organisation non reconnue Somos+, Joaquín Elo Ayeto est conduit à la gendarmerie centrale de Malabo. Le 9 août, le militant est transféré à la prison de Black Beach, située également à Malabo. Le 13 août 2024, il est déplacé à l’autre bout du pays dans la prison d’Oveng Azem, située à Mongomo, dans la partie continentale du pays. Depuis plus d’un an, ni sa famille, ni son avocat, ni ses collègues n’ont été autorisés à le voir ni à communiquer avec lui, en violation flagrante des normes internationales interdisant la détention incommunicado.
À ce jour, aucune information officielle n’a été fournie sur son état de santé, sur les charges retenues contre lui ou sur un éventuel procès à son encontre. L’opacité complète entourant sa détention au secret nourrit de graves inquiétudes. Au moment de son arrestation, Joaquín Elo Ayeto souffrait de paludisme et de typhoïde et son état de santé nécessitait une prise en charge médicale.
Pourquoi Joaquín Elo Ayeto a-t-il été pris pour cible ?
L’arrestation de Joaquín Elo Ayeto le 1er août 2024 s’inscrit dans une longue série de représailles contre le défenseur ces huit dernières années. En novembre 2016, après avoir dénoncé dans un article des faits de corruption concernant l’armée, il a fait l’objet de violences physiques. En juin 2017, il a été détenu une semaine pour avoir réclamé justice, avec Somos+, pour un chauffeur de taxi tué par des militaires. Entre février 2019 et février 2020, il a été détenu arbitrairement après avoir été accusé d’être en possession d’informations concernant un complot visant à assassiner le président de la République. Durant sa garde-à-vue, il a fait l’objet de tortures. En décembre 2022, pour avoir organisé une conférence sur les droits humains et la corruption, il a fait l’objet d’une brève détention.
Depuis plusieurs années, les autorités de Guinée-équatoriale prétendent que les activités de Joaquín Elo Ayeto au sein de Somos+ seraient « illégales » au motif que l’organisation ne disposerait pas d’un enregistrement officiel. La plateforme Somos+ a été créée en 2015. En juin 2020, Joaquín Elo Ayeto a demandé l’enregistrement de Somos+ auprès du ministère de l’intérieur et des collectivités locales, ce qui n’a jamais été accordé. Peu de temps avant l’arrestation du 1er août 2024, Joaquín Elo Ayeto s’était rendu à l’ambassade de France, avec des représentants de l’île d’Annabon, afin d’évoquer la répression sur cette île de manifestations ayant dénoncé l’impact de l’exploitation minière. Cette réunion avait également pour but de renforcer la coopération entre l’ambassade de France et cette plateforme de la société civile.
La détention au secret prolongée de Joaquín Elo Ayeto est symptomatique du contexte de répression généralisée contre toute voix critique dans le pays. Les détentions arbitraires, menaces, harcèlement judiciaire et entraves administratives sont régulièrement utilisés par le régime pour étouffer toute contestation en Guinée-équatoriale.
A ce jour, aucun élément crédible ne justifie la détention prolongée, et de surcroît au secret, de Joaquín Elo Ayeto. Son maintien en détention semble avoir pour seul objectif de réduire au silence un défenseur des droits humains reconnu.
Contexte
La Guinée équatoriale est dirigée depuis plus de quatre décennies par la famille Obiang, qui exerce un contrôle total sur l’appareil politique, sécuritaire et économique du pays. Teodoro Obiang Nguema Mbasogo, au pouvoir depuis le coup d’État de 1979 contre son oncle Francisco Macías Nguema, est aujourd’hui l’un des chefs d’État ayant exercé le plus long mandat au monde. Le système politique repose sur un parti dominant, le Parti démocratique de Guinée équatoriale (PDGE), et sur un réseau serré de patronage contrôlé par le président et ses proches, notamment son fils, Teodoro Nguema Obiang Mangue, dit « Teodorín », vice-président et héritier présumé de son père. Cette concentration extrême du pouvoir s’accompagne d’une absence de pluralisme politique réel, d’élections dépourvues de transparence et d’une mainmise constante sur la justice, l’armée et les médias.
Une société sous contrôle du régime en place
Dans ce contexte autoritaire, la situation des droits humains reste particulièrement préoccupante. Toute voix critique, qu’elle émane de militants, de journalistes, de membres de l’opposition ou de simples citoyens, s’expose à des représailles immédiates. Les organisations de la société civile sont strictement contrôlées : les associations indépendantes peinent à obtenir une reconnaissance légale, les rassemblements pacifiques sont systématiquement interdits, et les ONG étrangères rencontrent d’importantes difficultés pour travailler dans le pays. Les arrestations arbitraires, les disparitions forcées et les détentions au secret sont fréquemment signalées, tandis que le système judiciaire, dépourvu d’indépendance, est souvent mobilisé pour intimider ou réduire au silence les défenseurs des droits humains. Les autorités utilisent régulièrement des accusations vagues de « troubles à l’ordre public », « calomnie » ou « activités illégales » pour justifier des mesures répressives.
Un usage courant de la torture et de la détention au secret
La torture demeure un instrument de coercition largement documenté dans le pays. Des témoignages concordants font état de passages à tabac, d’isolement prolongé, de privation sensorielle, de mauvais traitements psychologiques et d’humiliations destinées à obtenir des aveux sous contrainte ou à punir toute forme de dissidence. Les services de défense et de sécurité opèrent souvent en totale impunité, et les mécanismes de plainte ou de recours sont inefficaces voire inexistants. Les détentions au secret en Guinée-équatoriale, sans contact avec la famille ou un avocat, accroissent considérablement le risque de torture. Ces pratiques, dénoncées au niveau international par des ONG, persistent en raison de l’opacité de l’appareil sécuritaire et de l’absence de contrôle institutionnel indépendant.
Des conditions de détention inhumaines dans les prisons
Les conditions de détention en Guinée-équatoriale demeurent particulièrement alarmantes. Les prisons du pays sont surpeuplées, insalubres et marquées par une extrême violence. La prison de Black Beach, à Malabo, est tristement célèbre, pour ses conditions inhumaines : manque d’accès à l’eau potable, alimentation insuffisante, absence de soins médicaux adaptés, cellules exiguës.
Les incarcérations sans procès sont fréquentes, avec une absence quasi totale de garanties procédurales pour les détenus. Les détenus politiques ou considérés comme dissidents subissent un traitement encore plus sévère avec de régulières détentions au secret. Les visites familiales sont limitées, voire interdites, et les avocats se heurtent à de multiples obstacles pour accéder à leurs clients.
Dans son ensemble, la situation des droits humains en Guinée équatoriale reste dominée par la répression, l’impunité et l’absence d’espaces d’expression indépendants. Le contrôle centralisé exercé par le pouvoir en place empêche l’émergence d’une société civile libre et d’institutions indépendantes, capables de garantir les libertés fondamentales dans le pays.