Le 6 janvier 2025, le tribunal populaire intermédiaire de Suzhou a décidé de rejeter l’appel de Yu Wensheng, un avocat chinois soutenu par l’ACAT-France, engagé dans la défense des droits humains. Cet appel concernait sa condamnation à trois ans d’emprisonnement pour « incitation à la subversion du pouvoir de l’État ». Cette décision fait suite à une série de persécutions judiciaires orchestrées par les autorités chinoises, dont Yu Wensheng et sa famille ont été les cibles. Son épouse, la militante Xu Yan, a également été condamnée à un an et neuf mois de prison pour la même infraction et aurait dû être libérée en janvier 2025.
Qui est Yu Wensheng ?
Yu Wensheng est un avocat constitutionnaliste chinois de renom, originaire de Pékin. Ancien avocat d’affaires, il a renoncé à une brillante carrière pour se consacrer à la défense des droits humains. Son engagement en faveur de l’État de droit, de la démocratie et des réformes gouvernementales lui a valu d’être incarcéré à plusieurs reprises depuis 2018. Au cours de sa carrière, Yu Wensheng a défendu divers cas, y compris ceux de manifestants à Hong Kong et d’adeptes du Falun Gong, un mouvement religieux persécuté. Il a également représenté plusieurs avocats et militants des droits humains. Parmi ses affaires emblématiques figure celle de son confrère, Maître Wang Quanzhang, arrêté et accusé lui aussi de « subversion de l’État » lors de la répression massive en 2015. Malgré les dangers, Yu a illustré son engagement indéfectible en prenant en charge cette affaire. Critiques du gouvernement chinois, Yu Wensheng et son épouse, la militante Xu Yan, ont subi des représailles, notamment des arrestations et des détentions arbitraires. En plus de son travail juridique, Yu plaide pour des réformes constitutionnelles, telles que l’abolition de la peine de mort et l’établissement d’un système multipartite. Son engagement ne se limite pas à la défense des victimes de répression ; il utilise également ses compétences pour promouvoir des réformes sociétales, ayant participé en 2016 à une action en justice contre le gouvernement pour la pollution de l’air. En reconnaissance de son engagement, il a reçu le prix franco-allemand des droits humains et de l’État de droit en 2018, ainsi que le prix Martin Ennals pour les défenseurs des droits de l’homme en 2021.
L’inlassable combat d’un avocat face à la répression judiciaire
Depuis 2014, date à laquelle les autorités judiciaires chinoises ont refusé que Yu Wensheng passe son examen annuel pour conserver sa licence d’avocat, le contraignant finalement à quitter son poste au sein du cabinet Beijing Daoheng, Yu Wensheng est persécuté par les autorités chinoises en raison de ses engagements en faveur de la liberté d’expression et de la défense des droits humains. Le 17 juin 2020, il est condamné à quatre ans de prison et trois ans de privation de droits civiques pour « incitation à la subversion de l’État » à l’issue d’un procès à huis clos. Il fait appel, mais celui-ci est rejeté le 27 décembre 2020. Le 26 janvier 2022, Yu Wensheng est transféré sans avertissement préalable vers la prison de Nanjing, à 1 000 km de sa famille, alors qu’il devait être libéré le 1er mars 2022. Pendant sa détention, il subit des mauvais traitements, perd quatre dents et souffre de lésions nerveuses. Le 13 avril 2023, alors qu’il venait d’être libéré, Yu Wensheng et son épouse Xu Yan sont arrêtés par quatre officiers de la police chinoise alors qu’ils se rendent à une réunion avec la délégation de l’Union européenne à Pékin. Ils sont initialement accusés d’« avoir cherché à provoquer des conflits et troublé l’ordre public » et incarcérés au centre de détention de Shijingshan. En octobre 2023, ils sont inculpés d’« incitation à la subversion de l’État » sans que leurs avocats aient pu soumettre leurs plaidoiries et transférés en janvier 2024 au centre de détention de Suzhou, à environ 1 000 km de Pékin. Le 6 janvier 2025, le tribunal populaire intermédiaire de Suzhou rejette l’appel de Yu Wensheng contre sa condamnation à trois ans de prison. Malgré ces épreuves, Yu Wensheng continue de dénoncer les violations des droits humains de sa prison.
Contexte
En 2014, le mouvement des parapluies jaunes a émergé à Hong Kong comme une manifestation emblématique pro-démocratique, rassemblant des milliers de personnes réclamant des réformes électorales et une plus grande autonomie vis-à-vis de la Chine. Les manifestants, souvent munis de parapluies pour se protéger des gaz lacrymogènes, ont utilisé cet accessoire comme symbole de résistance pacifique face à la répression policière. Ce mouvement a mis en lumière des préoccupations majeures concernant la liberté d’expression, la répression politique et l’absence de protections juridiques adéquates. Depuis lors, la société civile à Hong Kong a été confrontée à une répression croissante. De nombreuses arrestations ont eu lieu, et des lois restrictives, comme la loi sur la sécurité nationale adoptée en 2020, ont eu un impact significatif sur la liberté d’expression et le droit de manifester.
Avocat : une profession particulièrement ciblée par la répression du régime chinois
Le harcèlement judiciaire de Yu Wensheng s’inscrit dans un contexte de restrictions de la liberté d’expression et de manifestations, ainsi que du démantèlement de l’espace civique et des droits humains en Chine, particulièrement à Hong Kong. Depuis le 9 juillet 2015, un nombre sans précédent d’avocats et d’activistes des droits humains a été arrêté et interrogé à travers la Chine. Cette répression, connue sous le nom de « 709 crackdown », a particulièrement touché le cabinet pékinois Fengrui, spécialisé dans la défense des droits civils, dont l’avocate Wang Yu, ainsi que son mari et ses collègues, ont été arrêtés et détenus au secret. D’après l’ONG Chinese Human Rights Lawyers Concern Group, basée à Hong Kong, au total, ce sont plus de 269 avocats et activistes qui ont été placés en détention provisoire depuis 2015, souvent sans accusation claire. La plupart des avocats arrêtés travaillaient sur des affaires liées aux droits humains et avaient signé une déclaration publique condamnant la disparition de l’avocate Wang Yu, devenue le symbole de la répression des avocats en Chine. Bien que le gouvernement chinois prétende respecter l’« autorité de la loi », il exerce un contrôle strict sur le système judiciaire, exposant les détenus à des risques de torture et à des traitements cruels, inhumains et dégradants. Le cabinet Fengrui, emblématique de cette répression, a été qualifié de « bande de criminels » par les médias chinois, diffusant des allégations infondées.
Une ferme condamnation des ONG et organisations internationales
Le harcèlement judiciaire dont sont victimes Yu Wensheng et son épouse Xu Yan a suscité une vaste mobilisation internationale. En avril 2019, le Groupe de travail des Nations Unies sur la détention arbitraire a appelé à leur libération immédiate. Le 29 octobre 2024, la France et l’Allemagne ont exprimé, dans une déclaration conjointe, leur regret concernant le verdict prononcé à l’encontre de Yu Wensheng et de son épouse Xu Yan. En réaction au rejet de l’appel interjeté par l’avocat chinois le 6 janvier 2025, l’Union européenne, ainsi que plusieurs organisations de la société civile, telles que l’ACAT-France, Amnesty International, Front Line Defenders et le Chinese Human Rights Lawyers Concern Group, ont dénoncé ce verdict et réitéré leurs appels à la libération de Yu et de son épouse. Les autorités chinoises sont dans l’incapacité de fournir une justification légitime pour leur emprisonnement. L’ACAT-France dénonce les accusations fallacieuses portées contre Yu Wensheng et Xu Yan et demande leur libération immédiate ainsi qu’un droit à un procès équitable en appel.