Amadou Sawadogo, cadre du mouvement citoyen « Balai citoyen » et Miphal Ousmane Lankoandé, secrétaire exécutif de ce même mouvement, sont portés disparus depuis leur arrestation, survenue respectivement les 20 et 30 mars 2025 à Ouagadougou. Ces militants et défenseurs des droits sont introuvables, et tout laisse penser à une disparition forcée.
Qu’est-il arrivé à Amadou Sawadogo et Miphal Ousmane Lankoandé ?
Le 21 mars 2025, à la suite d’une convocation, Amadou Sawadogo, cadre de la région du centre au sein du mouvement citoyen « Balai citoyen », s’est rendu au service régional de la sûreté de l’Etat à Ouagadougou. Il est depuis porté disparu. La veille, il avait déjà été interrogé par ce même service au sujet de ses prises de position sur les réseaux sociaux, critiquant la Junte au pouvoir.
Le 30 mars 2025, en fin de matinée, Miphal Ousmane Lankoandé, secrétaire exécutif du « Balai citoyen », a été enlevé en pleine rue par gendarmes en civil, devant son épouse, à proximité de leur domicile à Ouagadougou. Il venait de rentrer du Bénin, où il avait participé, du 24 au 28 mars, à un séminaire de travail sur l’activisme organisé par la Fondation de l’innovation pour la démocratie. Cette fondation, créée en 2022 pour donner suite aux recommandations de l’intellectuel camerounais Achille Mbembe lors du sommet Afrique-France de Montpellier en 2021, a pour objectif de contribuer à faire émerger en Afrique des modèles de démocratie. Elle est principalement financée par le gouvernement français, qui lui a alloué une dotation de 50 millions d’euros sur cinq ans. Miphal Ousmane Lankoandé est porté disparu depuis son arrestation.
Le média Radio France Internationale (RFI) a été le premier à rendre public ces disparitions dans un article publié le 2 avril 2025. Le 2 mai, l’Observatoire pour la protection des défenseurs des droits humains a lancé un appel urgent.
Déjà deux mois sans nouvelles des deux militants arrêtés
Cela fait maintenant deux mois que les proches des deux militants sont sans nouvelles d’eux. Aucune information n’a été communiquée par les autorités du Burkina-Faso sur leur lieu de détention, leur état de santé, ni sur d’éventuelles charges judiciaires les visant.
Le « Balai citoyen » est un mouvement citoyen burkinabè, créé en 2013, engagé dans la défense des droits humains, la promotion de la démocratie et la lutte contre la corruption. Depuis sa création, ce mouvement citoyen n’hésite pas à critiquer les politiques mises en place par les diverses autorités qui se sont succédé à la tête de l’État depuis plus de dix ans. Aujourd’hui critique envers la junte militaire au pouvoir, le « Balai citoyen » fait l’objet d’un harcèlement croissant. Le mutisme des autorités Burkinabè sur ces disparitions, ajouté au contexte répressif actuel dans le pays, fait craindre qu’il s’agisse de disparitions forcées.
Contexte
Depuis la prise de pouvoir du capitaine Ibrahim Traoré en septembre 2022, à la suite d’un second coup d’État, le Burkina Faso a plongé dans une spirale autoritaire. La junte militaire a suspendu le retour à l’ordre constitutionnel. En mai 2024, la transition a été prolongée de cinq ans à l’issue de consultations largement boycottées par l’opposition.
Sous couvert de lutte contre le terrorisme, face à plusieurs mouvements djihadistes largement implantés dans le pays, les autorités de la transition ont multiplié les restrictions aux libertés publiques et intensifié la répression à l’endroit des voix indépendantes et dissidentes : suspension de médias, interdictions de manifestations, arrestations arbitraires et disparitions forcées d’opposants, menaces contre les familles d’opposants, pressions sur les magistrats, expulsion de journalistes et de diplomates.
Une grave crise multidimensionnelle
Le Burkina Faso traverse aujourd’hui une grave crise multidimensionnelle où la lutte contre le terrorisme sert de prétexte à une dérive autoritaire et de captation de tous les pouvoirs, au détriment des droits humains et des libertés fondamentales. Dans cette lutte, le régime militaire s’appuie de plus en plus sur des groupes armés supplétifs, les Volontaires pour la défense de la patrie (VDP), qui agissent souvent sans cadre légal ni contrôle effectif. De nombreux témoignages font état d’exécutions extrajudiciaires, d’enlèvements et de disparitions, visant des civils, notamment au sein de la communauté Peule, lors d’opérations de lutte contre le terrorisme.
Les mécanismes de protection des droits humains sont impuissants : bien que la Commission nationale des droits humains (CNDH) ait appelé les autorités au pouvoir à respecter les droits humains et à assurer l’indépendance de la justice, ces demandes restent sans réponses. Les organisations de défense des droits humains burkinabè sont surveillées, et nombre d’entre elles s’autocensurent pour leur protection, et les familles de victimes sont souvent réduites au silence, de peur des représailles. Dans ce contexte, les disparitions forcées d’Amadou Sawadogo et de Miphal Ousmane Lankoandé s’inscrivent dans une stratégie de terreur et de répression délibérée.
Ce que dit le droit sur les disparitions forcées
La disparition forcée constitue une violation grave du droit international. Le Burkina Faso, en tant qu’ État partie à la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées depuis décembre 2009, a l’obligation de prévenir toute disparition forcée, d’enquêter de manière approfondie sur les cas signalés, de traduire les responsables en justice, et de garantir réparation aux victimes et à leurs proches.
Le silence des autorités burkinabè sur le sort d’Amadou Sawadogo et de Miphal Ousmane viole ces engagements internationaux.