Le défenseur des droits humains camerounais Abdul Karim Ali purge une peine de prison à vie pour avoir exercé son droit à la liberté d’expression. Arrêté en août 2022 après avoir critiqué publiquement des actes de torture commis par un officier militaire dans le Sud-Ouest du Cameroun, Abdul Karim Ali a été condamné en avril 2025 à l’issue d’un procès inique.
Qui est Abdul Karim Ali ?
Abdul Karim Ali est un défenseur des droits humains camerounais. Lorsqu’il dirigeait le Centre de recherche pour la paix (CRP), il dispensait au Cameroun et à l’étranger des formations sur la paix et la sécurité. Dès le début de la crise politique et sécuritaire dans les régions anglophones du Nord-Ouest et Sud-Ouest du Cameroun, fin 2016, Abdul Karim Ali s’est publiquement exprimé en faveur de la paix et du respect des droits humains.
Une arrestation arbitraire
Le 11 août 2022, Abdul Karim Ali a été arrêté, sans mandat, par des gendarmes dans le quartier de Ntamulung à Bamenda, dans la région du Nord-Ouest, puis placé en détention à la gendarmerie locale. Durant plusieurs jours, il a été détenu au secret, privé de nourriture et d’eau. Alors qu’aucune raison officielle ne lui a été fournie pour expliquer sa garde-à-vue, il a été interrogé au sujet d’une vidéo enregistrée le 9 juillet 2022 et publiée sur les réseaux sociaux ; vidéo dans laquelle il accusait un officier militaire camerounais, Ewome John Eko, surnommé « Moja Moja », leader d’une milice progouvernementale, d’avoir torturé des civils. Durant 84 jours, il a vécu dans une cellule de six mètres carrés dépourvue de fenêtre, de toilette et de matelas, en compagnie de 12 autres détenus.
Une procédure judiciaire inique
Début novembre 2022, il a été transféré à Yaoundé, au Service Central de Recherches Judicairies (SCRJ) du Secrétariat d’Etat à la Défense (SED). Le 7 novembre 2022, il a été conduit, pour la première fois, devant le Tribunal militaire de Yaoundé. Fin janvier 2023, après environ trois mois de détention au sein du SED, le défenseur a été transféré à la prison centrale de Kondengui, également située à Yaoundé. En mars 2023, après avoir passé plus de 200 jours en détention sans inculpation, en violation du droit camerounais et des normes internationales relatives aux droits humains, Abdul Karim Ali a été officiellement inculpé pour « hostilités contre la patrie, sécession, défaut de déclaration et rébellion ». En juin 2023, les militants de l’ACAT-France ont dénoncé le procès en cours du militant devant le tribunal militaire de Yaoundé, indiquant que « posséder des vidéos de militaires en train de commettre des violations des droits humains n’est ni un crime ni un délit et le droit international interdit le recours aux tribunaux militaires pour juger des civils ». Le 31 mai 2024, par la voix de son avocat, Abdul Karim Ali a indiqué ne pas reconnaître l’autorité du tribunal militaire ni sa compétence pour le juger. Il n’est plus jamais réapparu devant le tribunal militaire de Yaoundé. Le 26 juin 2024, les militants de l’ACAT-France ont prié, en nombre, pour Abdul Karim Ali lors de la Nuit des veilleurs et lui ont adressé des courriers de soutien en détention. Le 16 avril 2025, Abdul Karim Ali a été condamné à une peine de prison à perpétuité. Son avocat a fait appel de sa condamnation.
Contexte
Entre Octobre et novembre 2016, des avocats, enseignants et étudiants anglophones protestent contre la « francophonisation » des systèmes législatif et éducatif en vigueur dans les régions anglophones du Nord-Ouest et Sud-Ouest ainsi que contre la marginalisation de leur territoire. Les autorités camerounaises répriment violemment les manifestations pacifiques. Les villes de Bamenda, Buea, Kumba et Kumbo sont particulièrement touchées par la répression. Des centaines de personnes sont arrêtées. Plus de dix manifestants sont tués par balles entre octobre 2016 et février 2017. Les autorités camerounaises tentent le « black-out » : elles interdisent des organisations de la société civile, suspendent Internet et les lignes téléphoniques pendant trois mois entre janvier et avril 2017. Des groupes de militants anglophones répondent par des stratégies de désobéissance civile (boycott des écoles et opérations « ville morte »).
Une répression accrue
En octobre 2017, les forces de défense et de sécurité usent de leurs armes létales sur des manifestants qui célèbrent symboliquement l’indépendance des régions anglophones. Vingt personnes sont tuées, de nombreuses autres blessées. Des centaines de personnes sont de nouveau arrêtées. Des milliers fuient. Dès lors, les voix modérées anglophones sont supplantées par les appels à la lutte armée des groupes séparatistes. La guerre civile commence. Les symboles de l’État et les forces de défense et de sécurité sont attaqués. S’ensuit une militarisation des régions anglophones – avec notamment l’arrivée du Bataillon d’intervention rapide (BIR) – et une répression tous azimuts qui renforce encore davantage l’émergence de mouvements plus radicaux et violents au sein de la société anglophone.
Une guerre de basse intensité
Entre 2016 et 2019, cette guerre de basse intensité a coûté la vie à plus de 3 000 personnes et déplacé plus de 500 000 personnes. Aujourd’hui, la situation sécuritaire dans les régions anglophones est incontrôlable. Il s’agit d’une « No go zone » où il est dangereux de se rendre. Une partie de ce territoire est administrée par des groupes séparatistes armés, qui sèment la terreur au sein des populations civiles, notamment par des exécutions sommaires de civils considérés comme proches des autorités et des attaques d’établissements scolaires dont plusieurs meurtriers. Ces groupes opèrent également par des actions de guérilla contre les forces de sécurité camerounaises et utilisent de plus en plus d’engins explosifs improvisés faisant régulièrement des victimes. Par peur des attaques des groupes séparatistes, de nombreux fonctionnaires ont fui. L’armée lance régulièrement des opérations de contre-guérilla qui se soldent parfois par des exécutions sommaires de civils. Lorsque des militaires sont tués lors d’embuscades menées par des séparatistes, il n’est pas rare que des opérations de représailles soient menées et ciblent les civils, considérés comme sympathisants des groupes armés : incendies de bâtiments, exécutions sommaires, arrestations suivies d’actes de tortures… Les forces armées peuvent s’appuyer localement sur des milices pro-gouvernementales qui assurent la sécurité et le renseignement dans certains territoires. En différents endroits, de nouveaux acteurs apparaissent sans avoir de liens avec des groupes séparatistes : il s’agit de coupeurs de route et autres groupes criminels qui profitent du chaos ambiant pour rançonner citoyens et commerçants.
Un conflit ignoré
Depuis 2017, ce conflit interne a provoqué une crise humanitaire à laquelle les autorités camerounaises n’apportent que peu d’aides. Au contraire, elles restreignent la liberté des associations humanitaires présentes sur le terrain. Aujourd’hui, les civils n’ayant pas pu fuir la région sont régulièrement pris pour cible par les deux parties au conflit. En dépit de la gravité de la situation dans le NOSO, la communauté internationale délaisse cette crise. Dans son rapport annuel 2025 sur les crises de déplacement les plus négligées au monde, le Conseil norvégien pour les réfugiés (NRC) affirme que le Cameroun occupe la première place avec une attention médiatique internationale absente et un déficit d’engagement politique pour mettre fin au conflit.