Au terme d’une audience expéditive de seulement sept minutes, sans respect des garanties d’un procès équitable, Ahmed Souab, ancien magistrat, avocat et défenseur des droits humains, reconnu pour son engagement inébranlable en faveur de l’État de droit, a été condamné à cinq ans de prison ferme, le vendredi 31 octobre 2025 par le Tribunal de première instance de Tunis. L’ACAT-France dénonce cette grave atteinte à la justice et aux droits de la défense.
Qui est Ahmed Souab ?
Ahmed Souab est un avocat tunisien et un défenseur des droits humains, âgé de 68 ans. Figure médiatique respectée depuis le mouvement protestataire et la révolution du 14 janvier 2011, ayant conduit à la chute du président Ben Ali, il est reconnu pour son franc-parler et ses critiques acerbes des violations du droit à un procès équitable, ainsi que des ingérences de l’exécutif dans l’indépendance de la justice, particulièrement depuis l’arrivée au pouvoir de Kaïs Saïed. Très apprécié dans le milieu de la gauche tunisienne, il est populaire auprès des jeunes juristes et joue un rôle fédérateur au sein d’une opposition dispersée. Son engagement contre la corruption et sa défense des droits fondamentaux font de lui une figure emblématique de la justice en Tunisie. Ancien juge au tribunal administratif de Tunis, Ahmed Souab a formulé de vives critiques à l’égard du démantèlement de l’État de droit, notamment après l’accaparement des pouvoirs par Kaïs Saïed en juillet 2021. Il a poursuivi cet engagement après sa retraite, en tant qu’avocat, en défendant des détenus politiques, des magistrats révoqués, et il a également pris position publiquement pour dénoncer l’instrumentalisation de la justice et le déni de garanties procédurales. Il est lauréat du prix Ebru Timtilk 2025, décerné à l’occasion de la Journée internationale du procès équitable (connue par son acronyme en anglais IFTD, International Fair Trial Day) pour une vie entière consacrée à l’État de droit et aux procès équitables
Condamné pour avoir dénoncé l’effondrement du système judiciaire
À l’issue de la dernière audience du procès qualifié de « complot contre l’État », Ahmed Souab, l’un des avocats des prévenus et porte-parole du comité de défense, a été arrêté le 21 avril 2025 à son domicile et présenté à un juge d’instruction pour avoir dénoncé les pressions subies par la cour, évoquant « le couteau sous la gorge » du président du tribunal, tout en joignant le geste à la parole.
Cet incident fait suite à une conférence de presse qui a eu lieu deux jours auparavant, le 19 avril, à l’issue du procès au tribunal de première instance tunisien, concernant 37 personnes injustement condamnées à de lourdes peines de prison pour des motifs politiques, en vertu de plusieurs articles du Code pénal tunisien et de la loi antiterroriste de 2015. Ces personnes sont accusées de comploter en vue de déstabiliser le pays. Parmi les 37 détenus, Ahmed Souab défendait trois prévenus, dont des figures de l’opposition, des avocat(e)s et des défenseur(e)s des droits humains, condamnés à des peines allant de quatre à 74 ans d’emprisonnement sur la base d’accusations infondées de « complot ». Ces accusé(e)s ont été condamnés uniquement pour avoir exercé, sans violence, leurs droits fondamentaux. Leur procès a été entaché de nombreuses vices de procédure, d’atteintes considérables aux droits de la défense et d’un mépris flagrant à leur égard, reposant sur des accusations sans fondement. Ahmed Souab a vigoureusement critiqué cette situation ainsi que les pressions exercées par le gouvernement sur les magistrats. La vidéo de son intervention lors de ce point presse est rapidement devenue virale sur les réseaux sociaux, et des partisans du président Kaïs Saïed ont interprété ce geste, contre toute logique, comme une menace à l’encontre du juge. Après son arrestation, les autorités l’ont détenu au secret pendant 48 heures avant que sa détention provisoire ne soit prononcée. Une forte mobilisation populaire s’est ensuivie, mais elle n’a conduit qu’à sa mise sous mandat d’arrêt. Maître Souab n’a pas pu consulter ses avocats durant sa garde à vue, et ceux-ci n’ont pas pu l’assister lors de sa comparution devant le juge d’instruction.
Le vendredi 31 octobre 2025, sans respect des garanties d’un procès équitable, la cour a décidé que les procès pour terrorisme se dérouleraient en visioconférence, invoquant un vague « danger imminent ». Ahmed Souab a refusé d’assister à l’audience à distance et a demandé à être physiquement présent lors de son procès afin de pouvoir se défendre. Il a argué que rien ne justifie de priver les détenus du droit de comparaître en personne devant la cour pour contester la légalité de leur détention. Au terme d’une audience expéditive de seulement 7 minutes, il a été condamné à cinq ans de prison ferme pour « constitution et organisation d’une entente terroriste » et pour « diffusion de fausses informations ». L’ACAT France dénonce ce simulacre de procès ainsi qu’une atteinte grave aux droits fondamentaux.
Contexte
Depuis l’élection de Kaïs Saïed en 2019, la Tunisie traverse une période marquée par une dérive autoritaire qui a considérablement restreint l’espace civique. Suite aux manifestations du 25 juillet 2021, le Président Saïed a utilisé l’article 80 de la Constitution pour s’attribuer des pouvoirs exceptionnels, geler les activités parlementaires et destituer le gouvernement. La situation s’est encore détériorée avec la suspension de la Constitution de 2014 et l’adoption de décrets-lois, renforçant la concentration du pouvoir entre les mains du président.
Cette dérive autoritaire se manifeste par un rétrécissement de l’espace civique. La répression s’est intensifiée avec la suspension des activités de plusieurs organisations de défense des droits humains, telles que le Forum tunisien pour les droits économiques et sociaux (FTDES), la Fédération internationale pour les droits humains (FIDH) et l’Organisation mondiale contre la torture (OMCT). Le 27 octobre 2025, les autorités ont suspendu pour un mois les activités du FTDES. Le 24 octobre 2025, elles ont également suspendu les activités de l’ATFD pour une durée d’un mois. Le 5 novembre 2025, les autorités tunisiennes ont notifié au bureau de l’OMCT en Tunisie une ordonnance de suspension de ses activités pour une durée de 30 jours. Ces mesures, prises sans justification légale claire, semblent viser à étouffer la société civile et à criminaliser toute forme de dissidence.
Le décret-loi 54 : une arme de répression pour faire taire les voix dissonantes
Le décret-loi 54, promulgué en septembre 2022 par le président Kaïs Saïed, impose des peines pouvant aller jusqu’à cinq ans de prison pour la diffusion de « fausses informations » sur les réseaux d’information et de communication. Cependant, dans la pratique, ce texte a été utilisé pour cibler des journalistes, des avocats et des personnalités de la société civile qui osent critiquer le pouvoir en place. Des experts et des journalistes soulignent que ce décret vise à instaurer un climat de peur, rendant la critique du gouvernement presque impossible. De plus, le décret a été critiqué par les Nations unies et les défenseurs des droits pour son interprétation large, qui a entraîné des poursuites répétées contre ces mêmes groupes.
Avocat : une profession particulièrement ciblée par le régime de Kaïs Saïed
L’arrestation d’Ahmed Souab confirme une tendance inquiétante et croissante visant à instaurer une vaste répression contre la profession d’avocat. Cette situation est illustrée par le cas de Maître Sonia Dahmani, avocate de 60 ans, qui purge une peine d’un an de prison (ramenée à huit mois en appel) pour avoir ironisé, en mai 2024, sur les propos du président Saïed. De même, Maître Ayachi Hammami a été poursuivi pour avoir critiqué la justice en janvier 2023. Par ailleurs, Maître Abderazzak Kilani, ancien bâtonnier de l’Ordre national des avocats de Tunisie, est également concerné par cette répression. Il a été condamné à un mois de prison pour trouble à l’ordre public, suite à sa participation à une manifestation.
Appel à l’action
Maître Ahmed Souab est poursuivi sur la base d’accusations infondées de faits passibles de lourdes peines de prison, pour avoir simplement exercé de manière non violente son droit à la liberté d’expression et s’être acquitté de ses fonctions professionnelles, en sa qualité d’avocat spécialiste des droits humains.
L’ACAT-France appelle à sa libération inconditionnelle, de tous les prisonniers d’opinion en Tunisie, ainsi qu’à l’abandon des charges retenues contre eux. Cette situation constitue une grave violation de la liberté d’expression et illustre une répression croissante qui menace les acquis de la Révolution de 2011. Face à l’utilisation abusive du décret-loi 54, nous demandons son abrogation et rappelons que la liberté d’expression, la liberté d’association, l’indépendance de la justice et les droits de la défense sont des principes fondamentaux protégés par la Constitution tunisienne et par les conventions internationales ratifiées par la Tunisie. Parmi ces droits, figure celui de comparaître en personne devant la cour pour contester la légalité de sa détention, de participer réellement aux procédures judiciaires, de les suivre et d’être entendu sans entrave d’ordre technique. Un tel déni est incompatible avec les principes de procédure régulière garantis par l’article 7 de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples (CADHP), ainsi que par l’article 9 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP), traités auxquels la Tunisie est partie