Dans la nuit du 19 au 20 juin 2025, l’opposante rwandaise Victoire Ingabire Umuhoza a été de nouveau arrêtée à Kigali. Elle fait l’objet d’une enquête du Bureau d’enquête rwandais (Rwanda Investigation Bureau, RIB) pour « création d’un groupe criminel » et « préparation d’actes visant à provoquer des troubles au sein de la population ». Ces accusations floues et vagues semblent destinées à museler l’une des dernières voix critiques du régime de Paul Kagame.
Une arrestation aux allures de manœuvre politique
Dans la nuit du 19 au 20 juin 2025, Victoire Ingabire, Présidente du parti DALFA-Umurinzi (Développement et Liberté pour Tous), parti d’opposition non reconnu par les autorités rwandaises, et figure emblématique de l’opposition politique au Rwanda, est arrêtée. Les autorités rwandaises justifient son arrestation par une enquête liée au procès en cours de huit militants de son parti, DALFA-Umurinzi, et du journaliste Théoneste Nsengimana. Ces neuf personnes ont été arrêtés en octobre et décembre 2021 et sont poursuivies pour leur participation à une formation en ligne détaillant des techniques de mobilisation non violentes autour de l’ouvrage de l’activiste serbe Srdja Popović, intitulé « Comment faire tomber un dictateur quand on est seul, tout petit et sans armes », et pour avoir échangé sur les, des moyens d’un changement politique par l’activisme pacifique. Pour le gouvernement rwandais, de telles discussions relèveraient d’un complot visant à renverser le régime en place. Le Groupe de travail des Nations unies sur la détention arbitraire a qualifié, en mars 2024, leur détention comme étant arbitraire et « contraire au droit international » et a appelé à leur libération. Victoire Ingabire, quant à elle, a été convoquée le 19 juin 2025 dans cette affaire sur la base de déclarations non prouvées, puis arrêtée sans motif légal crédible. Une fois encore, les violations de procédure à l’encontre de Victoire Ingabire sont flagrantes : citation irrégulière à comparaître dans une affaire qui ne la concerne pas directement, arrestation nocturne sans mandat, perquisition illégale.
Une volonté d’empêcher son retour sur la scène politique
Son arrestation apparaît comme une tentative manifeste d’empêcher son retour sur la scène politique. Cette interpellation intervient à quatre mois de l’échéance d’octobre 2025, qui devait marquer la fin officielle de sa condamnation à 15 ans de prison et la levée complète des conditions liées à sa libération anticipée de 2018. Tout laisse à penser qu’il s’agit d’une manœuvre visant à l’empêcher d’exercer pleinement et librement ses droits civils et politiques.
Plus de quinze ans d’intimidations et de harcèlements
Plus de quinze ans après son retour au Rwanda, Victoire Ingabire demeure prisonnière de son pays, privée arbitrairement de sa liberté de circulation et de ses droits civiques, malgré les décisions internationales en sa faveur. La persécution judiciaire qu’elle subit, comme celle d’autres opposants pacifiques rwandais, révèle la répression politique systématique opérée par les autorités rwandaises sous couvert de sécurité nationale et de lutte contre le « divisionnisme ».
Contexte
Victoire Ingabire, une opposante considérée comme une menace par le pouvoir
Surnommée par ses partisans, la « Aung San Suu Kyi rwandaise », Victoire Ingabire Umuhoza est une figure emblématique de l’opposition politique au Rwanda. Présidente du parti DALFA-Umurinzi (Développement et Liberté pour Tous), non reconnu par les autorités rwandaises, elle milite depuis des années pour un Rwanda démocratique, réconcilié et respectueux des droits humains.
Après plusieurs années d’exil aux Pays-Bas, Victoire Ingabire rentre au Rwanda en janvier 2010 pour se porter candidate à l’élection présidentielle d’août 2010. Elle souhaite alors représenter les Forces démocratiques unifiées (FDU-Inkingi), un parti d’opposition non reconnu par le pouvoir. Dès son retour au Rwanda, elle appelle à une mémoire inclusive : se souvenir des victimes du génocide des Tutsis, sans nier les crimes commis contre les Hutus pour permettre une véritable réconciliation nationale. Ce message lui vaudra une brève arrestation en avril 2010, suivie d’une autre en octobre de la même année, ainsi qu’un procès entaché de nombreuses irrégularités. En octobre 2012, Victoire Ingabire est condamnée à huit ans de prison pour « complot en vue de porter atteinte aux pouvoirs établis et aux principes constitutionnels en ayant recours au terrorisme, à la violence armée ou à toute autre forme de violence » et « minimisation flagrante du génocide » sur la base de ses relations présumées avec les Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR). Amnesty International, présent au procès, dénonce de graves irrégularités et conclut que Victoire Ingabire a été punie pour avoir exercé pacifiquement sa liberté d’expression. En 2013, sa peine est portée, en appel, à 15 ans de prison.
Une libération conditionnelle assimilable à une détention prolongée
Victoire Ingabire passe huit années en détention, dont cinq à l’isolement, avant d’être libérée, sous conditionsen septembre 2018, dans le cadre d’une grâce présidentielle collective à la veille d’un Sommet de l’Organisation Internationale de la Francophonie (OIF) qui a vu l’élection d’ une Rwandaise à sa tête. Bien que graciée, Victoire Ingabire reste en réalité soumise à des restrictions arbitraires. Elle vit sous surveillance constante, privée de son droit à la libre circulation. Elle ne peut quitter le Rwanda, ni rendre visite à sa famille en Europe malgré les demandes répétées au ministre de la Justice, habilité à lui autoriser de quitter temporairement le pays. Victoire Ingabire n’a pas revu son mari malade depuis 2010.
Une persécution politique qui dure depuis 15 ans
Depuis son retour au pays en 2010, Victoire Ingabire fait face à une campagne systématique de harcèlement et de criminalisation : arrestations arbitraires, procès inéquitables, surveillance permanente. Elle est régulièrement intimidée sur les réseaux sociaux, dans des discours publics des autorités et dans les médias nationaux. Elle n’a accès à aucun média rwandais : seuls les médias internationaux lui accordent des interviews et la possibilité de s’exprimer. Plusieurs de ses proches collaborateurs sont emprisonnés, portés disparus ou ont été assassinés. En 2017, la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples (CADHP) reconnait le caractère politique de sa condamnation de 2012 et 2013 et ordonne au Rwanda de rétablir ses droits. Entretemps, le Rwanda s’est retiré de la compétence de la CADHP pour échapper à sa juridiction. A deux reprises, en 2013 et 2016, le Parlement européen a apporté son soutien à Victoire Ingabire par deux résolutions. En mars 2024, la Haute Cour du Rwanda rejette la demande de réhabilitation de Victoire Ingabire. Le 30 avril, 2024 elle saisit la Cour de Justice de la Communauté de l’Afrique de l’Est (EAC), dénonçant la décision de la Haute Cour du Rwanda comme une violation du droit à la liberté de circulation et des engagements du Rwanda en matière de démocratie et d’État de droit. L’affaire est pendante de la Cour.
Une voix pour le dialogue et la démocratie
Malgré la répression, Victoire Ingabire continue de plaider pour un dialogue inter-rwandais, réunissant le gouvernement et l’opposition, afin de redéfinir un cadre politique garantissant l’état de droit, les libertés fondamentales et le développement pour tous. Son combat pacifique, fondé sur la non-violence et l’inclusion, fait d’elle une menace pour un régime qui redoute la pluralité des opinions.