Onze habitants de la ville de Jericó, au nord-ouest de la Colombie, sont criminalisés en raison de leur opposition au projet de mine de cuivre Quebradona. Le 13 mai 2025, un juge du tribunal de Jericó a décidé que les défenseurs pourraient suivre leur procès en liberté, malgré la demande du Bureau du Procureur Général qui s’y opposait. Les 11 paysans restent néanmoins mis en cause dans le cadre de ce conflit socio-environnemental datant de 2007.
Qu’est-il reproché aux « 11 de Jericó » ?
Mauricio Londoño, Juan Carlos Salinas, Rubiel Arango, Gustavo Arboleda, José Gabriel Suárez, Argiro Tobón, José Luis Bermúdez, William Gaviria, Albeiro Cardona, Porfirio Garcés y Rodolfo Tobón sont 11 paysans habitants de la ville de Jericó. Ils sont accusés de kidnapping, vol qualifié et lésions personnelles. Les plaintes ont été déposées par l’avocat de la multinationale développant le projet de mine de cuivre Quebradona et par deux propriétaires voulant mettre leurs terres à disposition de cette compagnie.
Les faits qui leur sont reprochés remontent à 2023 lorsque près de 200 personnes ont manifesté sur une voie empruntée par les employés de la multinationale. Ils ont bloqué la circulation routière et ont démonté une plateforme de perforation qui avait été installée la veille par le personnel de la compagnie minière. Selon leur avocate, Maître Claudia Serna, les défenseurs ont ensuite chargé les pièces détachées dans un camion et les ont envoyées à la Mairie de Jericó.
Depuis, Maître Serna, les paysans, la compagnie minière et les deux propriétaires se sont réunis régulièrement et ont tenté de trouver un accord amiable, sans succès. Le 13 mai 2025, les 11 défenseurs, baptisés « Les 11 de Jericó » par leurs soutiens et devenus des symboles de la défense de l’environnement, ont été informés des délits retenus contre eux par le Bureau du Procureur, qui demandait également leur placement en détention domiciliaire.
Le 25 mai 2025, le bureau colombien du Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme a appelé le Bureau du Procureur Général, le ministère de l’Intérieur et le ministère de l’Environnement à garantir un procès équitable pour les 11 défenseurs paysans ainsi que le respect de leurs droits humains. Lundi 16 juin 2025, grâce à la mobilisation de dizaines d’organisations de défense des droits humains et de l’environnement ainsi qu’au travail des avocats appartenant à la Corporation Juridique Liberté, un juge du tribunal de Jericó a finalement décidé qu’ils pourraient suivre leur procès en liberté.
CONTEXTE
Un conflit ancien, lié aux enjeux socio-environnementaux
Depuis le début de l’exploration minière en 2007, le projet de la mine Quebradona déchire la communauté de Jericó entre ceux qui s’y opposent et ceux qui y sont favorables. Les 11 paysans de Jericó, attachés à la vocation agricole de leurs terres, se mobilisent pour éviter que la compagnie ne réalise des explorations minières sans autorisation et sans consulter la communauté. Ils craignent l’abandon de l’agriculture, la destruction du lien social et l’impact environnemental d’un tel projet. En effet, la multinationale n’a jamais réussi à obtenir une licence environnementale, nécessaire pour extraire les minerais. Présentée en 2021, l’étude d’impact environnemental a été rejetée à deux reprises, en 2021 et en 2022, en raison d’incertitudes concernant les conséquences du projet minier sur les ressources en eau, notamment les risques liés au bassin de décantation qui se trouverait à proximité de la rivière Cauca.
Le groupe citoyen Jericoanos con Visión, fondé en 2019, rassemble les habitants de la municipalité favorables à la mine Quebradona et représente certaines des personnes qui s’estiment victimes des opposants au projet. Ils dénoncent notamment les blocages de routes réalisés dans le cadre des manifestations et estiment que la présence de la multinationale favorisera le développement et la prospérité de la ville.
La division d’une communauté due à un projet minier n’est pas chose nouvelle et a été amplement étudiée en Amérique Latine. Dans un communiqué du 26 mai 2025, l’ombudsman colombien, appelé Defensoría del Pueblo, a rappelé que le conflit à Jericó ne peut être compris de façon isolée ni exclusivement à travers une logique pénale. L’entité avertit : « Les faits pour lesquels ils sont poursuivis sont indissociables du contexte qui les motive : la défense collective et légitime d’un territoire face à une activité imposée et perçue comme menaçante. Nous invitons les autorités judiciaires à examiner les conséquences de la criminalisation de ces actions, menées par des personnes sans antécédents violents, dont le seul intérêt a été la protection de l’eau, de la vie et de leur territoire. Le droit pénal ne doit pas être utilisé comme un outil de répression contre l’exercice de la défense des droits fondamentaux et collectifs. »
Des voix plurielles contre « la locomotive minière » : de l’évêque de Jericó au gouvernement national
Hautement politique, la question minière en Colombie est indissociable de la possession et de l’usage de la terre. Les titres miniers pour l’exploration, la construction, le montage et l’exploitation sont délivrés par l’Agence Nationale Minière. Actuellement, 5% de la surface du territoire national est couverte par des titres autorisant l’une de ces trois activités. Le département d’Antioquia, où se trouve la ville de Jericó, concentre à lui seul, 22% de la superficie du pays disposant d’un titre pour l’exploitation minière.
L’actuel président colombien, Gustavo Petro, a fait de la question minière une question de campagne et, depuis son arrivée au pouvoir en 2022 le nouveau gouvernement a mis en place plusieurs instruments juridiques visant à proposer un modèle minier basé sur la protection de l’environnement et des droits humains.
Par exemple, le décret 044 de 2024 crée des « zones de réserve » où l’activité minière est fortement restreinte, voire interdite et cela peut concerner des zones où une activité minière est déjà en cours. Plus récemment, la Nouvelle Loi Minière, en cours de consultation avec les communautés afro colombiennes, impose également des restrictions à l’activité extractive. Elle dispose que cette dernière doit se mettre au service de principes supérieurs tels que la protection des droits humains, la souveraineté alimentaire et la préservation de la nature. Toutes ces initiatives sont en opposition avec le modèle minier prôné depuis l’administration de Juan Manuel Santos, la « locomotive minière » telle qu’elle a été définie par l’ancien président durant son discours d’investiture. Des organisations de défense des droits humains, telles que le Centre de Recherche et d’Éducation Populaire (CINEP) ont observé une corrélation entre « l’augmentation indiscriminée de titres miniers » depuis 2010 et l’essor des conflits sociaux, politiques et économiques dans les territoires.
Noel Antonio Londoño Buitrago, evêque de Jericó de 2013 à 2024 a également alerté sur les conséquences sociales de l’extractivisme et exprimé son soutien aux communautés qui s’opposent au projet Quebradona. « L’exploitation minière oui, mais pas comme ça, pas ici » résume la position de l’évêque et explique son soutien indéfectible, malgré les pressions, aux 11 paysans criminalisés. Le missionnaire rédemptoriste, très attaché à la défense de l’environnement, s’appuie sur les conclusions de l’Agence Nationale de Licences Environnementales et met en garde contre les dommages irréversibles que pourrait engendrer le projet minier.
Appel à l’action
Le 25 mai 2025, le bureau du Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme a appelé à garantir un procès équitable pour les 11 défenseurs. Alors que l’ombudsman colombien et des dizaines d’organisations sociales s’inquiètent d’une potentielle instrumentalisation de la justice pour criminaliser la défense de l’environnement, l’ACAT-France appelle le gouvernement colombien à assurer un procès équitable pour les 11 paysans de Jericó.