L’activiste et poète togolais Honoré Sitsopé Sokpor, connu sous le pseudonyme « Affectio » est emprisonné au Togo depuis le 12 janvier 2025 pour avoir, dans un poème publié sur Facebook, appelé les Togolais à s’indigner. Les autorités togolaises l’accusent d’atteinte à la sécurité intérieure de l’État.
Honoré Sitsopé Sokpor, un artiste engagé
Honoré Sitsopé Sokpor, connu sous le pseudonyme « Affectio », est un poète et cyberactiviste togolais, reconnu pour ses publications engagées sur les réseaux sociaux, notamment sur Facebook, où il exprime régulièrement des opinions critiques envers le gouvernement togolais. Le 12 janvier 2025, M. Sokpor a été arrêté de manière violente par des policiers en civil à Lomé, la capitale du Togo. Selon des témoins, son arrestation ressemblait à un enlèvement en pleine rue.
Qu’est-il reproché à Honoré Sitsopé Sokpor ?
Après son arrestation, M. Sokpor a été initialement détenu au siège de la gendarmerie nationale à Lomé. Le 14 janvier 2025, il a été présenté à un juge d’instruction, inculpé pour « atteinte à la sécurité intérieure de l’État ». Le lendemain, il a été transféré à la prison civile de Lomé à la suite de l’émission d’un mandat de dépôt. Les autorités togolaises l’accusent d’avoir incité à la désobéissance civile à travers ses publications en ligne, notamment via le poème intitulé « Fais ta part ». Dans ce poème, il critique l’oppression gouvernementale et appelle à une action collective pour défier le système politique qu’il juge injuste. Pour les autorités togolaises, la phrase « indignez-vous » est un appel à l’insurrection et à la révolte contre les institutions du pays. Le 26 février, la cour d’appel de Lomé a rejeté la demande de remise en liberté provisoire de M. Sokpor. Il restera donc vraisemblablement en prison jusqu’à la tenue de son procès. Cette décision rappelle que la justice togolaise reste sous influence politique.
La détention de M. Sokpor jugée arbitraire par l’ACAT-France
Pour l’ACAT-France, l’arrestation et la détention de M. Sokpor est arbitraire car elle semble aujourd’hui reposer uniquement sur ses publications en ligne, critiques à l’endroit des autorités togolaises, mais en aucun cas violentes. Pour notre association, les propos tenus de manière pacifique par cet activiste relèvent de ses opinions personnelles, de sa liberté de pensée et de son droit à la liberté d’expression. Par conséquent, l’ACAT-France considère sa détention comme étant illégale et arbitraire selon les normes internationales. L’ACAT-France s’inquiète également de ses conditions de détention et de la possibilité d’un procès inéquitable à son encontre.
Contexte
Bien que la liberté d’expression au Togo soit garantie par la Constitution, qui en fait un pilier fondamental de la démocratie togolaise, la réalité sur le terrain révèle des restrictions significatives à l’endroit de cette liberté. Au cours des dernières années, les autorités togolaises ont réprimé à plusieurs reprises, le droit à la liberté d’expression et de réunion pacifique.
En 2021, une enquête Afrobarometer a montré que la majorité des Togolais ne se sentaient pas libres d’exprimer leurs opinions (54%) et qu’ils estimaient devoir faire attention à ce qu’ils disaient en politique (75%).
En 2024, Amnesty International a dénoncé, à plusieurs reprises, la répression exercée par les autorités togolaises, notamment l’interdiction de réunions d’organisations de la société civile et de partis politiques exprimant leur opposition à des changements constitutionnels. En avril 2024, la Commission Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples (CADHP) a qualifié de recul la décision des autorités togolaises d’interdire les manifestations des partis politiques et des organisations de la société civile visant à protester contre le projet de loi de révision constitutionnelle qui avait pour but de faire passer le Togo d’un régime présidentiel à un régime parlementaire.
Des menaces contre la liberté de la presse sont régulièrement signalées, avec des suspensions de journaux et des condamnations de journalistes pour « diffamation » ou publication de « fausses informations ». En 2024, le Togo est classé à la 113ème place sur 180 au classement mondial de la liberté de la presse de Reporters sans frontières (RSF).
Au niveau international des initiatives ponctuelles ont été mises en place pour soutenir la société civile et renforcer la protection de la liberté d’expression au Togo. Par exemple, un atelier organisé par l’UNESCO, en décembre 2023, a réuni des juges togolais pour discuter des moyens de protéger cette liberté, soulignant que toute restriction doit être fondée sur une base juridique claire et respecter les droits humains. Cependant, de manière générale, l’inaction de la communauté internationale prime sur les dérives répressives du pouvoir en place au Togo ; pays d’Afrique de l’Ouest singulier qui, depuis le coup d’Etat de 1967, est dirigé par la famille Gnassingbé, Eyadema Gnassingbé de 1967 à sa mort en 2005 puis son fils, Faure Gnassingbé, depuis lors, après sa prise de pouvoir anticonstitutionnelle de 2005.
Plusieurs engagements internationaux violés par le Togo dans l’Affaire Sokpor
L’arrestation et la détention d’Honoré Sitsopé Sokpor violent plusieurs engagements internationaux du Togo en matière de droits humains :
- L’Article 19 de la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 qui stipule : « Tout individu a droit à la liberté d’opinion et d’expression, ce qui implique le droit de ne pas être inquiété pour ses opinions et celui de chercher, de recevoir et de répandre, sans considérations de frontières, les informations et les idées par quelque moyen d’expression que ce soit » ;
- Les Article 9 et 19 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP, ratifié par le Togo en 1984) qui rappellent respectivement que « Tout individu a droit à la liberté et à la sécurité de sa personne. Nul ne peut faire l’objet d’une arrestation ou d’une détention arbitraire » et que « Nul ne peut être inquiété pour ses opinions. Toute personne a droit à la liberté d’expression ; ce droit comprend la liberté de rechercher, de recevoir et de répandre des informations et des idées de toute espèce, sans considération de frontières, sous une forme orale, écrite, imprimée ou artistique, ou par tout autre moyen de son choix » ;
- Les Articles 6 et 9 de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples (CADHP, ratifiée par le Togo en 1982) qui rappellent respectivement que « Tout individu a droit à la liberté et à la sécurité de sa personne. Nul ne peut être arrêté ou détenu arbitrairement » et que « Toute personne a le droit d’exprimer et de diffuser ses opinions dans le cadre des lois et règlements ».
Des organisations de la société civile togolaise ont publié, le 15 janvier 2025, une déclaration commune demandant sa libération immédiate et inconditionnelle, soulignant que son arrestation, injuste et illégale, constituait une atteinte aux libertés fondamentales de tous les citoyens togolais.