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La mort suspecte du chanteur rwandais Kizito Mihigo.

  • Détention arbitraire
  • Justice et impunité
  • Torture

Par Clément Boursin, Responsable Afrique, Acat-France
 

Dans La Croix : https://www.la-croix.com/Debats/Forum-et-debats/mort-suspecte-chanteur-rwandais-Kizito-Mihigo-2020-03-06-1201082450

 

Le chanteur Kizito Mihigo est mort. Voilà notre seule certitude. Ce fervent chrétien, très connu dans son pays pour ses chants religieux, avec qui l’Acat-France était en contact depuis septembre 2019, souhaitait quitter le Rwanda, où il ne pouvait plus vivre de sa musique. Il s’était attiré la haine du gouvernement rwandais en mars 2014 à cause d’une chanson « Igisobanuro cy’urupfu »L’explication de la mort (1) – où il abordait à demi-mot les crimes commis contre les Hutus par le régime de Paul Kagamé.

Ce sujet est tabou au Rwanda, particulièrement s’il est évoqué par un rescapé du génocide des Tutsis, lequel a fait plus de 800 000 morts en 1994, et encore plus de la part d’un enfant prodige du régime. Car Kizito Mihigo a longtemps été choyé par les plus hautes autorités du pays, qui l’ont aidé au début des années 2000 dans ses études musicales à l’étranger puis dans la promotion, onze années plus tard, dans son début de carrière d’artiste au Rwanda.

Arrêté pour une chanson

Du jour au lendemain, en mars 2014, Kizito Mihigo constate que ses chansons sont bannies des radios et télévisions nationales et pro gouvernementales et que les personnes proches du pouvoir le fuient. Kizito Mihigo est enlevé début avril 2014, détenu au secret plusieurs jours, torturé, menacé de mort. Il indiquera avoir été régulièrement critiqué pour sa chanson durant sa détention au secret. Les autorités l’accusent finalement de liens avec diverses rébellions armées, dont le Congrès national rwandais et les Forces démocratiques de libération du Rwanda.

En février 2015, Kizito Mihigo est condamné à 10 ans de prison pour « planification de meurtre et complot d’attentat contre le pouvoir établi ou le président ». Il est gracié en septembre 2018, en pleine campagne de candidature du Rwanda pour le poste de Secrétaire général de l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF).

Kizito Mihigo m’a raconté qu’il avait été convoqué à l’Inspection générale de la police (IGP), peu de temps après sa libération, et menacé : « Vous devez arrêter de chanter pour la paix et la réconciliation ». On lui recommande de ne plus commettre les mêmes « erreurs » : « Vous n’aurez plus la chance d’aller en prison ». Le musicien ne se sentait plus en sécurité au Rwanda où il avait le sentiment de vivre dans une prison à ciel ouvert.

Un projet d’exil

Le 13 février 2020, Kizito Mihigo est de nouveau arrêté. Son numéro WhatsApp n’émet plus dès 05h38 du matin. Alors que les réseaux sociaux commencent à parler de son arrestation, les autorités confirment rapidement sa détention. Elles l’accusent d’avoir voulu traverser illégalement la frontière avec le Burundi et d’avoir voulu rejoindre des « groupes terroristes».

Cet apôtre de la réconciliation, qui voulait continuer à vivre de son art et jouir d’une liberté qu’il avait perdue au Rwanda, n’aurait-il pas essayé de passer par le Burundi, pays en conflit larvé avec le Rwanda, pour ensuite venir en Europe et demander l’asile ? En septembre 2019, il m’avait contacté pour trouver un appui en France dans le but de venir en Europe. Il connaissait notre pays où il avait suivi des cours au Conservatoire de musique de Paris au début des années 2000. Il cherchait des soutiens à l’étranger mais comment quitter le Rwanda sans passeport ? Et quel pays européen aurait eu le courage de lui donner un visa ?

Quatre jours plus tard, le 17 février, les autorités annoncent que Kizito Mihigo s’est suicidé dans sa cellule, au sein du commissariat de police de Remera, à Kigali. Le 26 février, elles publient une déclaration d’une page confirmant cette affirmation sans toutefois rendre public les rapports d’enquête et d’autopsie. Des Rwandais, des pays partenaires et des associations de défense des droits humain, appellent les autorités rwandaises à l’ouverture d’une enquête indépendante, impartiale et transparente. Une demande comme une bouteille lancée à la mer.

La mort suspecte de Kizito Mihigo doit être un électrochoc pour la communauté internationale. Il ne devrait plus être toléré qu’au Rwanda, pays présenté comme un modèle de développement, des personnes perçues comme étant critiques vis-à-vis du régime ou opposants notoires meurent de manière opaque en détention ou disparaissent simplement de la circulation sans que les autorités au pouvoir soient réellement mises devant leurs responsabilités.

La France reste silencieuse dans cette affaire. Ce décès est plutôt gênant pour notre pays qui avait, en 2018, soutenu la candidature de Louise Mushikiwabo, ministre rwandaise des affaires étrangères, au poste de secrétaire générale de l’Organisation internationale de la francophonie (OIF). Depuis lors, en plus de Kizito Mihigo, trois autres dissidents connus ont disparu ou sont morts dans des circonstances suspectes au Rwanda.

(1) En voici quelques paroles  : « Le génocide m’a rendu orphelin. Mais cela ne doit pas me faire oublier les autres personnes qui ont souffert aussi, victimes d’une haine qui n’a pas été qualifiée de génocide. Ces frères et sœurs sont aussi des êtres humains. Je prie pour eux. Ces frères et sœurs sont aussi des êtres humains. Je les soutiens. Ces frères et sœurs sont aussi des êtres humains. Je pense à eux »

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