Une nouvelle plainte en forme de représailles
Dans une communication du 28 février 2024, le Comité des droits de l’homme des Nations unies a demandé au Maroc d’aménager la peine de M. Mohamed Ziane pour raisons humanitaires et médicales en attendant de se prononcer sur le fond de la plainte déposée au nom du plaignant par l’ONG AlKarama. Or peu de temps après, une nouvelle plainte portée contre Mohamed Ziane apparait concernant un détournement présumé de fonds publics lorsqu’il était l’un des dirigeants du parti marocain libéral en 2015.
La peine de prison de trois ans qu’il purge actuellement est elle-même en représailles pour son travail en tant qu’avocat et pour les propos qu’il a pu tenir en tant que personnalité politique et publique. En novembre 2021, Maître Ziane a accusé publiquement le chef de la Direction générale de la sûreté nationale et de la Direction générale de la surveillance du territoire, Abdellatif Hammouchi, d’être à l’origine d’une vidéo infâmante et d’une campagne de dénigrement qui s’en est suivie. En effet, peu de temps avant, un site proche du pouvoir avait publié une vidéo supposée représenter Mohamed Ziane nu en compagnie de Ouahiba Khourchech, une de ses clientes, dans une chambre d’hôtel.
Des accusations bancales
En réponse aux attaques de Maître Ziane, le ministère de l’Intérieur dépose plainte contre lui en janvier 2021. Il est alors convoqué et questionné une quinzaine de fois dans les locaux de la Brigade nationale de la Police judiciaire (BNPJ) de Casablanca, parfois sur des sujets qui ne concernent pas la plainte initiale. Il est également interrogé à propos d’une autre plainte pour harcèlement sexuel, plainte déposée par une autre ancienne cliente le 29 octobre 2021.
Le 30 novembre 2021, un procureur de Rabat inculpe Maître Ziane pour onze chefs d’inculpation melant des accusations diverses qui ne semblent pas être en lien entre elles. Il joint dans une même affaire la plainte du ministre de l’intérieur ainsi que celle portée par l’ancienne cliente de Maître Ziane, deux dossiers qui auraient pourtant dû être traités séparément. On retrouve des accusations classiques contre les opposants, comme des affaires dites de mœurs (adultère, harcèlement sexuel), mais aussi des accusations plus improbables comme le mauvais comportement donnant un mauvais exemple aux enfants. Le 23 février 2022, il est condamné à trois ans de prison sans motivation claire et précise des faits incriminés.
Un procès inique, une détention arbitraire
Le procès en appel se déroule en une seule audience, sans sa présence ni celle de son avocat car ils n’avaient tout simplement pas été convoqués. Le 21 novembre 2022, la chambre correctionnelle de la Cour d’appel de Rabat confirme la peine de trois ans de prison, alors que le droit à un procès équitable a clairement été bafoué en raison de l’absence de l’accusé et de son avocat. Il est arrêté le même jour dans la foulée, sans qu’un mandat de dépôt n’ait pourtant été prononcé lors du jugement. L’ordonnance d’incarcération ne sera émise que huit jours plus tard par le procureur général, en contradiction avec la procédure pénale marocaine et les standards internationaux. La Cour de cassation confirme le 17 mai 2023 la condamnation.
Comme d’autres prisonniers politiques, il est détenu à l’isolement et ne peut sortir qu’une fois par jour dans une petite cour, seul. Ce traitement constitue une violation des règles des standards internationaux minimum en matière de détention et peut être considéré comme de la torture. Il souffre également de nombreux problèmes de santé, notamment au niveau cardiaque et rénal, ainsi qu’un problème de tassement des vertèbres qui nécessite normalement des séances hebdomadaires de traitement. Des problèmes au niveau de la prostate ont également été détectés. Il n’a pas pu bénéficier d’examens et de traitements médicaux plus approfondis à l’extérieur de la prison car l’administration pénitentiaire l’oblige à porter des menottes et une tenue de prisonnier pour des consultations médicales hors de la prison, ce qu’il refuse car contraire aux standards internationaux. Il a aussi commencé une grève de la faim en février dernier pour protester contre son emprisonnement et ses conditions de détention.
Contexte
Mohamed Ziane, 81 ans, est un ancien ministre délégué aux droits de l’homme entre 1995 et 1996 et ancien batonnier du barreau de Rabat. C’est aussi un homme politique, élu député de 1985 à 1997, et fondateur du parti marocain libéral en 2002 dont il a été le coordinateur national. Longtemps proche du pouvoir, il est considéré comme un opposant par le régime marocain lorsqu’il assure la défense en 2017 de Nasser Zefzafi, l’un des leaders du Hirak, un mouvement de révolte populaire dans le Rif, au nord du Maroc. Il participe à la défense de journalistes poursuivis par le régime comme Taoufik Bouachrine, Hamid El Mahdaoui ou Afaf Bernani. Cette dernière avait accusé la police d’avoir falsifié un procès verbal d’interrogatoire dans lequel elle aurait affirmé que son ancien patron, l’éditeur du journal Akhbar al-Yaoum, Taoufik Bouachrine, l’avait agressée sexuellement, ce qu’elle a toujours nié.
Un avocat attaqué pour avoir exercé son travail
Pour avoir défendu ces personnalités victimes de la répression du régime marocain, Mohamed Ziane fait lui-même l’objet d’attaques, de menaces et de harcèlement judiciaire. Il est ainsi suspendu pendant un an du barreau de Rabat en juillet 2020, puis pour trois ans en mars 2022, l’empêchant alors d’exercer comme avocat. Il fait parti des personnalités espionnées par les services marocains via le logiciel Pegasus. Ses proches sont également visés : son fils, Nasser, a été condamné à trois ans pour une affaire de contrebande de masque anti-covid en 2020, malgré l’absence de preuves.
En juin 2018, une autre journaliste travaillant avec Taoufik Bouachrine se réfugie chez l’un des fils de Mohamed Ziane sur sa recommandation, craignant d’être arrêtée après avoir nié tout harcèlement ou agression de la part de son collègue. La police arrive quelques heures plus tard et arrête toutes les personnes présentes avant de les relâcher peu de temps après. Mohamed Ziane, sa femme et deux de ses fils sont condamnés à un an de prison avec sursis pour entrave à la justice.
À la mi-novembre 2020, le site Internet Chouf TV, proche du pouvoir, publie une vidéo montrant une femme habillée en train d’essuyer le dos d’un homme nu avec une serviette. Malgré la qualité médiocre de la vidéo rendant difficile l’identification des personnes y figurant, Chouf TV a affirmé que celles-ci étaient Mohamed Ziane et Ouahiba Khourchech. Cette officière de police, était en charge d’une section contre les violences faites aux femmes, et avait fait appel à Maître Ziane en 2017 après avoir déposé une plainte pour harcèlement sexuel contre son supérieur.
Un régime toujours plus répressif envers les voix critiques et dissidentes
Après un semblant d’ouverture à la suite du mouvement du 20 février 2011 dans la continuité du printemps arabe, le tournant sécuritaire s’est fait sentir avec la répression de mouvements populaires appelant à une plus grande justice sociale, comme celui du Rif en 2016 et de Jerrada en 2017-2018. Après cela, les médias indépendants sont fermés et muselés, tandis que les organes de presse aux ordres du pouvoir tels que Chouf TV, Barlamane ou le 360 mènent une campagne de dénigrement et de diffamation envers les défenseurs des droits humains, les opposants politiques et autres militants pro-démocratie.
À partir de 2018-2019, le régime marocain cible des journalistes indépendants, tels que Omar Radi, Souleyman Raïssouni et Taoufik Bouachrine, en les inculpant dans des affaires dites de mœurs, une stratégie couramment utilisée par le pouvoir pour humilier, diffamer et décrédibiliser les opposants et défenseurs des droits.
Ce traitement est généralement réservé aux personnalités les plus connues, tandis que beaucoup d’autres militants, blogueurs, youtubeurs et défenseurs des droits humains sont poursuivis et emprisonnés sous le coup de dispositions plus classiques comme l’atteinte au Roi, outrage à des corps constitués, diffusion et propagande de fausses allégations.
Après s’être principalement attaqué aux journalistes indépendants et d’investigation, le pouvoir marocain semble à présent concentrer ses attaques depuis 2021 et 2022 sur les défenseurs des droits humains et autres opposants politiques. Le 26 avril 2022, un blogueur, Rabie El-Ablaq, est condamné à quatre ans de prison pour avoir critiqué le Roi sur les réseaux sociaux. Le 9 septembre 2022, Rida Bentomane, membre de l’Association marocaine des droits de l’homme (AMDH), est arrêté avant d’être condamné à un an et demi de prison en appel le 20 février 2023. Une défenseure des droits humains, Saïda El-Alami est condamnée en avril 2022 à trois ans de prison ferme et dans une autre affaire le 25 mai 2023 à deux ans de prison ferme. Un autre activiste, Youssef El Hirech, arrêté en mars dernier a été condamné le 10 mai à dix-huit mois de prison ferme en première instance pour des propos critiques du pouvoir sur les réseaux sociaux. D’autres militants ont été condamnés pour avoir critiqué la normalisation des relations entre le Maroc et Israël, comme Saïd Boukioud, à trois ans de prison ferme pour offense au roi en novembre 2023, ou encore Abdul Rahman Zankad, en avril 2024.