La criminalité se combat par le droit, non par les violations !
En République du Congo, la lutte contre la criminalité et le banditisme menée par les autorités se fait au détriment du droit par des violations : exécutions sommaires, disparitions forcées, tortures, arrestations arbitraires… Des associations congolaises alertent depuis des mois sur la dérive répressive des forces de l’ordre avec la responsabilité des autorités publiques. Des vidéos postées sur les réseaux sociaux montrent certaines de ces exactions.
« Au nom de la lutte contre le banditisme, la police congolaise disposerait du permis de tuer » affirme le Centre d’Actions pour le Développement (CAD). Selon cette association congolaise de défense des droits humains, qui a rendu public un rapport en octobre 2021, « des vidéos, dont certaines devenues virales sur internet, montrent des faits d’exécutions sommaires, de torture et de mauvais traitements dans plusieurs lieux du pays, sans que cela ne suscite l’indignation des autorités. Les auteurs ne sont jamais inquiétés ».
Le 4 octobre 2021, un policier au niveau du marché Massengo à Brazzaville ouvre le feu sur un groupe de jeunes hommes dans la rue. Le jeune Verga Ngokaba, 22 ans, qui revenait de la boulangerie, meurt sous les balles. Son corps, récupéré par la police, est discrètement déposé à la morgue de l’hôpital de Talangaï. Un autre jeune, Andréa Eboudzie, 22 ans également, « reçoit une balle au dos ». De peur d’être exécuté sur place par les policiers, il s’enfuit et se rend au Centre Hospitalier et Universitaire de Brazzaville (CHU-B) où il se fait soigner pour « une plaie à l’hémothorax droit avec orifice d’entrée sans orifice de sortie, balle palpable en sous cutané ».
Depuis le 14 février 2021, Dieu Merveille Ebalenini, 19 ans, est porté disparu après avoir été « enlevé, aux environs de 2 heures du matin au domicile de sa tante par des éléments en uniforme appartenant à l’unité de police » de la Brigade Spéciale d’Intervention Rapide (BSIR). Au moment de son arrestation, il a été fait mention de son appartenance présumée à un groupe de « bébés noirs », terme qui désigne les gangs d’adolescents violents au Congo. Jusqu’à ce jour, aucune enquête n’a été ouverte par les autorités pour retrouver ce jeune homme.
Les exemples de violences des forces de l’ordre à l’encontre de jeunes hommes soupçonnés d’appartenance à un groupe de « bébés noirs » sont nombreux. Jusqu’à ce jour, les autorités congolaises laissent leurs forces de l’ordre agir de la sorte en toute impunité et se rendent donc auteurs de violations par omission. De telles exactions et une telle politique de lutte contre la criminalité va à l’encontre du droit international et des traités et conventions ratifiés par le Congo. Cette situation est inacceptable et l’Union européenne, et ses États membres, doivent veiller dans leur coopération avec la République du Congo à ce que de telles violations graves des droits humains prennent immédiatement fin et que des enquêtes soient diligentées pour que les auteurs et les responsables de tels faits répondent de leurs actes devant la justice.
Mobilisons-nous pour mettre un terme à la dérive répressive dans la lutte contre la criminalité et le banditisme en République du Congo :
- Téléchargez la lettre, personnalisez-la avec vos coordonnées et adressez-la à la Délégation de l'Union européenne au Congo par voie électronique ou par voie postale.
- Tweetez notamment le compte @UeCongoBrazza et postez sur Facebook, faites-le savoir autour de vous !
Contexte
Depuis 2008, il semblerait qu’il y ait une hausse de la criminalité et du banditisme en République du Congo, tandis que le pays traverse une crise économique majeure. Selon la Banque mondiale, entre 2015-2020, le taux de croissance était de moins 5,2% suite à la baisse des prix du pétrole en 2014 et en raison de pandémie de la COVID-19 qui a fortement affecté l’économie locale. Le PIB a connu une baisse de 10,3 % en 2020 faisant passer le taux de pauvreté de 48,5 % à 52,5 %. Les moins de 20 ans qui représentent 56% de la population (estimée à 5,61 millions d’habitants en 2021) sont particulièrement touchés. Etant donné que plus de la moitié de la population congolaise se concentre à Brazzaville et Pointe-Noire, ces deux villes sont l’épicentre des tensions économiques et des violences liées à la criminalité et le banditisme.
Depuis 2014, le phénomène des « bébés noirs », terme désignant les gangs d’adolescents violents, fait régulièrement les unes des médias au Congo. Ce phénomène de criminalité juvénile s’est développé dans les quartiers périphériques des grandes villes, où sont installés les exclus de la croissance économique. En 2008, la crise économique, mêlée à l’inégale répartition des richesses, a favorisé le chômage et entraîné la marginalisation de ces jeunes. Des scènes de pillage et de violences orchestrés par des jeunes munis d’armes blanches ont commencé à être observés et se sont multipliés.
En mai 2017, face à l’exaspération des populations, les autorités publiques ont annoncé la mise en place d’unités destinées à éradiquer les « bébés noirs ». Depuis lors, l’Etat réprime avec des opérations de police de plus en plus violentes, sans sembler vouloir s’attaquer avec la même détermination aux problèmes que rencontre le pays. Pour les autorités, « les bébés noirs sont des terroristes. Nous allons combattre et nous allons les mettre hors d’état de nuire » déclare André Ngakala Oko, le procureur de la République près le tribunal de grande instance de Brazzaville. Sur le terrain, les exactions contre les jeunes hommes se multiplient. Le massacre de Chacona est l’exemple le plus frappant de ces dernières années. En juillet 2018, une vingtaine de jeunes hommes sont arrêtés par la police dans les quartiers nord de Brazzaville. Treize d’entre eux décèdent dans la nuit du 22 au 23 juillet au commissariat de Chacona suite à des actes de torture.
En 2021, la répression perdure et les violences des forces de l’ordre sont parfois filmées. Une vidéo publiée le 16 avril 2021 sur Facebook montre deux jeunes hommes, soupçonnés d’appartenance à un groupe de « bébés noirs » se faire rouer de coups sauvagement par des hommes en tenue militaire dans la cour d’un lycée dans la ville de Gamboma. Le 29 septembre 2021, des images montrent des hommes en tenue militaire achever par balles un jeune homme au sol à Pointe Noire au niveau de l'école appelée Balou Costant dans le quartier Loandjili.
Les méthodes brutales des forces de l’ordre n’ont, jusqu’à ce jour, pas permis de faire diminuer la criminalité. Le phénomène des « bébés noirs » s’est accru en quatre ans et pose aujourd’hui un véritable problème de sécurité publique. Les pouvoirs publics n’ont, dans le même temps, développé aucune politique cohérente pour lutter contre les causes sous-jacentes de cette criminalité. En effet, ce sont les politiques d’exclusion et d’absence de politique sociale de l’État, ces dernières décennies, qui ont favorisé le phénomène. Ce n’est pas en brutalisant les jeunes que les problèmes du pays, notamment les inégalités, seront résolus et qu’il sera mis un terme au phénomène des « bébés noirs ».
Pour aller plus loin :