Il faut enquêter sur les allégations de tortures !
Dans la nuit du 4 au 5 novembre 2021, six hommes – dont Brandon Keurtys Eleck, 26 ans, Guilliano Pernel Loubaki, 35 ans, Guira Hyppolite Doukoro, 47 ans, Arnaud Mondzola Embouet, 32 ans – sont morts au sein du Commandement territorial des forces de police de Brazzaville, l’ex-Commissariat central. Ils étaient sous mandat de dépôt, sous la surveillance de la police congolaise. Jusqu’à ce jour, aucune enquête n’a été menée par les autorités congolaises compétentes pour établir les faits et les responsabilités dans ce nouveau drame lié à l’usage routinier de la torture dans le pays.
Plus de deux mois après les faits, les autorités congolaises ne sont pas revenues sur leurs premières déclarations. Le 18 novembre dernier, sans attendre la moindre enquête, le porte-parole du gouvernement, Thierry Moungalla évoquait des décès accidentels sur Radio France Internationale (RFI) : « Il s’agit probablement d’un drame lié à la surpopulation carcérale. Vous le savez comme moi, les infrastructures pénitentiaires n’ont pas suivi la progression du niveau de délinquance et la pandémie du Covid-19 n’a pas arrangé les choses ». La veille, sept organisations congolaises condamnaient, dans une déclaration publique, le silence des autorités dans cette affaire.
À l’initiative du Cercle d'actions pour le développement (CAD), association congolaise de défense des droits humains, des autopsies ont été réalisées, les 30 novembre et 2 décembre, sur quatre des corps identifiés par l’association (Brandon Keurtys Eleck, 26 ans, Guilliano Pernel Loubaki, 35 ans, Guira Hyppolite Doukoro, 47 ans, Arnaud Mondzola Embouet, 32 ans). Selon le CAD, qui a publié un rapport le 8 décembre sur cette affaire, les autopsies établissent que les décès résultent de coups reçus, ce qui réfute la thèse de surpopulation des autorités congolaises.
Que s'est-il réellement passé dans la nuit du 4 au 5 novembre dernier dans les geôles de l’ex-Commissariat central de Brazzaville ? « Le mystère sur le nombre de décès s’épaissit à mesure que nos recherches avancent » affirme le CAD dans son rapport, publié le 8 décembre 2021. « Plusieurs sources indiquent un nombre plus élevé de décès. Ce drame, loin d’être un cas isolé, illustre une réalité devenue courante et banalisée ».
Alors que les familles des victimes et le CAD appellent à ce qu’une enquête soit menée en toute transparence afin d’établir la vérité sur ces faits, les autorités congolaises restent dans le silence, mais admettent à demi-mot des problèmes. Répondant à une question parlementaire, le 17 décembre 2021, le Premier Ministre congolais, M. Anatole Collinet Makosso, a reconnu que la situation était peu reluisante dans les lieux de détention. Face à l’absence de réelle réponse des autorités dans cette affaire, le CAD et quatre familles ont déposé une plainte, le 12 janvier 2022, avec constitution de partie civile pour « torture, coups et blessures volontaires ayant entrainé la mort ».
Mobilisons-nous pour demander une enquête sur les décès survenus dans la nuit du 4 au 5 novembre 2021 au sein du Commandement territorial des forces de police de Brazzaville !
- Téléchargez la lettre, personnalisez-la avec vos coordonnées et adressez-la par voie postale, par voie électronique (en pièce jointe), ou rédigez-la directement sur le site de la primature de la République du Congo.
- Tweetez notamment les comptes @MakossoAnatole et @PrimatureCongoB, postez sur Facebook, faites-le savoir autour de vous !
Contexte
Un usage routinier de la torture
En République du Congo, la lutte contre la criminalité et le banditisme menée par les autorités se fait au détriment du droit par des violations : exécutions sommaires, disparitions forcées, tortures, arrestations arbitraires… Des associations congolaises alertent depuis des mois sur la dérive répressive des forces de l’ordre avec la responsabilité des autorités publiques. Des vidéos postées sur les réseaux sociaux montrent certaines de ces exactions. Dernier exemple en date, les sévices infligés par des policiers à trois jeunes hommes soupçonnés d’être des « bébés noirs » dont un serait mort de ses blessures. Une vidéo de plus de cinq minutes montre en plein jour, des policiers frapper les jambes de trois jeunes hommes avec un gros marteau. La scène se déroule sous le viaduc reliant Brazzaville à sa banlieue nord. La vidéo a fait le tour des réseaux sociaux début janvier 2022 et créé un grand émoi auprès des Congolais. Les autorités congolaises, gênées, ont dû réagir. Le Procureur de la République, Antoine Oko Ngakala a ordonné, le 6 janvier, le placement en détention de quatre policiers et trois civils pour « crime flagrant, association de malfaiteurs, coups et blessures volontaires » (article 55 du code de procédure pénale).
A peine un mois auparavant, le Centre d’Actions pour le Développement (CAD) affirmait dans un rapport rendu public en octobre 2021 que les exemples de violences des forces de l’ordre à l’encontre de jeunes hommes soupçonnés d’appartenance à un groupe de « bébés noirs » étaient nombreux : « des vidéos, dont certaines devenues virales sur internet, montrent des faits d’exécutions sommaires, de torture et de mauvais traitements dans plusieurs lieux du pays, sans que cela ne suscite l’indignation des autorités. Les auteurs ne sont jamais inquiétés […] au nom de la lutte contre le banditisme, la police congolaise disposerait du permis de tuer ».
Une montée du sentiment d’insécurité
Depuis 2008, tandis que le pays traverse une crise économique majeure, le sentiment d’une hausse de la criminalité et du banditisme en République Congo s’accroît,. Selon la Banque Mondiale, entre 2015-2020, le taux de croissance était de moins 5,2% suite à la baisse des prix du pétrole en 2014 et en raison de pandémie de la COVID-19 qui a fortement affecté l’économie locale. Le PIB a connu une baisse 10,3 % en 2020 faisant passer le taux de pauvreté de 48,5 % à 52,5 %. Les moins de 20 ans qui représentent 56% de la population (estimée à 5,61 millions d’habitants en 2021) sont particulièrement touchés.
Etant donné que plus de la moitié de la population congolaise se concentre à Brazzaville et Pointe-Noire, ces deux villes sont l’épicentre des tensions économiques et des violences liées à la criminalité et le banditisme. Depuis 2014, le phénomène des « bébés noirs », terme désignant les gangs d’adolescents violents, fait régulièrement les unes des médias au Congo. Ce phénomène de criminalité juvénile s’est développé dans les quartiers périphériques des grandes villes, où sont installés les exclus de la croissance économique. En 2008, la crise économique, mêlée à l’inégale répartition des richesses, a favorisé le chômage et entraîné la marginalisation de ces jeunes. Des scènes de pillage et de violences orchestrés par des jeunes munis d’armes blanches ont commencé à être observés et se sont multipliés.
Une politique violente de lutte contre la criminalité
En mai 2017, face à l’exaspération des populations, les autorités publiques ont annoncé la mise en place d’unités destinées à éradiquer les « bébés noirs ». Depuis lors, l’Etat réprime avec des opérations de police de plus en plus violentes, sans sembler vouloir s’attaquer avec la même détermination aux problèmes que rencontre le pays. Pour les autorités, « les bébés noirs sont des terroristes. Nous allons combattre et nous allons les mettre hors d’état de nuire » déclare André Ngakala Oko, le procureur de la République près le tribunal de grande instance de Brazzaville. Sur le terrain, les exactions contre les jeunes hommes se multiplient. Le massacre de Chacona est l’exemple le plus frappant de ces dernières années. En juillet 2018, une vingtaine de jeunes hommes sont arrêtés par la police dans les quartiers nord de Brazzaville. Treize d’entre eux décèdent dans la nuit du 22 au 23 juillet au commissariat de Chacona suite à des actes de torture.
En 2021, la répression perdure et les violences des forces de l’ordre sont parfois filmées. Une vidéo publiée le 16 avril 2021 sur Facebook montre deux jeunes hommes, soupçonnés d’appartenance à un groupe de « bébés noirs » se faire rouer de coups sauvagement par des hommes en tenue militaire dans la cour d’un lycée dans la ville de Gamboma. Le 29 septembre 2021, des images montrent des hommes en tenue militaire achever par balles un jeune homme au sol à Pointe Noire au niveau de l'école appelée Balou Costant dans le quartier Loandjili.
Les méthodes brutales des forces de l’ordre n’ont, jusqu’à ce jour, pas permis de faire diminuer la criminalité. Le phénomène des « bébés noirs » s’est accru en quatre ans et pose aujourd’hui un véritable problème de sécurité publique. Les pouvoirs publics n’ont, dans le même temps, développé aucune politique cohérente pour lutter contre les causes sous-jacentes de cette criminalité. En effet, ce sont les politiques d’exclusion et d’absence de politique sociale de l’État ces dernières décennies qui ont favorisé le phénomène.
Pour aller plus loin :
- Sois forte, ce sont des choses qui arrivent, un rapport du CAD, décembre 2021
- Les « bébés noirs », un rapport de la Division de l’Information, de la Documentation et des Recherches de l’OFPRA, décembre 2017
- « Le phénomène tortionnaire en République du Congo », ACAT-France, 2016