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Peine de mort aux États-Unis : les pauvres en première ligne

Aux États-Unis, les accusés défavorisés sont plus susceptibles d’être condamnés, notamment en ce qui concerne les procès avec réquisition de peine de mort.
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Crédit : Aline Bureau.
Le 12 / 09 / 2017

« Notre système judiciaire est très sensible à l'argent. Il vous traite mieux si vous êtes riche et coupable, que si vous êtes pauvre et innocent. » Bryan Stevenson, de l'ONG américaine Equal Justice Initiative, résume ainsi l'iniquité du système pénal américain qui oppose deux Amériques. La première, celle des plus favorisés qui disposent des moyens financiers et des ressources nécessaires pour s'assurer une défense efficace lors du procès. La seconde, celle des plus pauvres qui subissent de plein fouet la discrimination socio-économique et qui sont plus exposés à des condamnations. Selon l'ONG Equal Justice Initiative, 95 % des personnes condamnées à mort provenaient de milieux défavorisés en 2007.

Inégalité de moyens

Le système pénal américain fait du droit à une assistance juridique efficace une condition nécessaire à un procès équitable. Mais la réalité est loin du compte. Les accusés les plus défavorisés n'ont pas les moyens d'affronter une procédure judiciaire particulièrement coûteuse. Si la présomption d’innocence existe dans le système pénal américain, elle semble plus difficile à faire respecter pour eux. Les procureurs, en charge de l’accusation, enquêtent uniquement pour démontrer la culpabilité de l’accusé. Ils ont pour cela des moyens illimités. Bien qu’ils ne soient pas censés dissimuler des preuves permettant de l'innocenter, dans les faits, cela reste possible et difficile à démontrer. Face à eux, les accusés les plus pauvres doivent s’en remettre à des avocats commis d'office souvent très mal payés, qui ne sont pas toujours spécialisés en droit pénal et encore moins en procès avec réquisition de peine de mort. Dans ces conditions, difficile également de payer des enquêteurs privés et des experts susceptibles de mettre à mal la version de l'accusation, voire de prouver l’innocence du prévenu.

Emprisonné dans le couloir de la mort du Texas depuis quatorze ans et participant du programme de correspondance avec des condamnés de l'ACAT, Robert Roberson est de ceux-là. Il est accusé d'avoir tué sa fille, Nikki, en la secouant violemment. Robert Roberson a affirmé durant son procès que Nikki était tombée de son lit en pleine nuit, et qu'il l'avait recouchée après avoir constaté qu'elle allait bien. Ce n'est que le matin qu'il s'était rendu compte que le bébé ne respirait plus. Lors de son procès en 2003, l’accusation avait présenté une expertise médico-légale l’accusant d’avoir secoué, et donc tué, son enfant. Robert Roberson n’avait alors pas eu les moyens de se payer une contre-expertise éventuelle. Ce n’est que treize ans plus tard que quatre experts médicaux ont attesté que la théorie scientifique de l'accusation pouvait être démontée, notamment car Nikki ne présentait pas les blessures au cou que l'on retrouve habituellement sur les bébés secoués. En juin 2016, la Cour d'appel du Texas a levé l'exécution de Robert Roberson et a ordonné une nouvelle audience sur son affaire devant un Tribunal de première instance.

« Vraies-fausses » preuves

Le Death Penalty Information Center (DPIC, Centre d'information sur la peine de mort) a examiné 34 cas de condamnation à mort entre 2007 et 2017. 32,4 % d'entre eux (11 cas sur 34) avaient été prononcés sur la base de preuves médico-légales fausses ou trompeuses. Or, ces derniers temps, associations et médias ont montré que ces « vraies-fausses » preuves, présentées comme inattaquables du fait qu'elles sont scientifiques, étaient bien souvent viciées ou manipulées à des fins malhonnêtes. En 2015, des fonctionnaires du FBI ont indiqué que les laboratoires de police scientifiques américains utilisaient des méthodes dépassées pour analyser les données génétiques et que les experts appelés à la barre – dont certains n'ont « d'expert » que le nom – avaient souvent exagéré la fiabilité des tests. Pourtant, ces « preuves » scientifiques suffisent la plupart du temps à faire condamner à mort un accusé, qui n'a pas les moyens de les contester. Une fois la condamnation prononcée, c’est au condamné qu’il incombe de prouver son innocence.

Pauvreté, isolement et préjugés

Mais l'obstacle pour les accusés les plus défavorisés n'est pas uniquement financier, puisqu'ils sont également privés du capital social et des connaissances juridiques nécessaires pour affronter le système pénal américain. Ces prévenus ne sont généralement pas au fait de leurs droits et la plupart du temps, ils ne disposent pas d'un réseau de relations qui pourraient leur venir en aide. Enfin, ils pâtissent des préjugés qui pèsent sur les personnes désignées comme « pauvres ». C’est d’autant plus vrai dès lors qu’ils appartiennent à une minorité comme les Afro-Américains ou les Hispano-Américains, ou qu'ils souffrent de déficience ou maladie mentales. D'après l'ONG ATD Quart Monde, qui lutte contre la pauvreté, ces représentations stigmatisantes sont des « causes de discriminations quotidiennes qui compromettent l'accès aux droits », ce qui accroît le risque pour ces prévenus de faire l'objet d'un verdict de culpabilité.

Notamment, le 6è amendement de la Constitution américaine qui stipule que l'accusé a droit à un jury « impartial » est difficilement respecté en pratique. Le principe du jury populaire censé garantir la représentativité de la société est, en réalité, très largement manipulable et peut être orienté par les deux parties au procès. Si l’avocat de la défense est peu consciencieux et peu impliqué face à un procureur zélé, il est probable qu’il laisse se composer un jury par trop favorable à l’accusation. Il est ainsi possible de se retrouver avec un jury de douze hommes blancs pour juger un prévenu noir accusé d’avoir assassiné une femme blanche. Même s’il est illégal d’écarter un juré pour des questions ethniques ou de genre, il reste possible de le faire de manière déguisée grâce aux récusations non motivées auxquelles chacune des parties a droit.

Discriminés, même en prison

Une fois emprisonnés, les détenus des couloirs de la mort vivent dans des conditions carcérales qui sont conditionnées par leur situation sociale et économique. Ils ont plus de difficultés à accéder aux services payants de la prison, comme certains soins médicaux, certains aliments ou des dispositifs permettant d'améliorer leur quotidien (envoi d’e-mails, livres, certains produits d’hygiène, etc.). En détention, le manque de moyens financiers accable également les proches des détenus, déjà privées d'un revenu lorsque celui du condamné était le principal gagne-pain de la famille. Les détenus les plus aisés peuvent bénéficier d'une aide financière familiale, tandis que les condamnés les plus pauvres sont un poids supplémentaire pour leurs proches, notamment parce que les déplacements pour les visites au parloir représentent un coût conséquent.

Autre condamné à mort américain participant au programme de l'ACAT, William Thompson survit dans le couloir de la mort de Floride depuis plus de 40 ans, complètement coupé de sa famille qui vit dans l'Ohio. Il n'a pas vu sa mère depuis 1989, car elle est malade et n'a pas les moyens de parcourir les plus de 1 600 km qui la séparent de son fils. Cet éloignement a un impact sur les conditions de détention de William Thompson. En 40 ans, celles-ci n'ont cessé de se dégrader. Enchaîné et menotté aux pieds et à la taille, il affirme qu'il ne donnerait pas la nourriture que les gardiens lui servent à des cochons, de peur de les rendre malades.

Abolition totale et définitive

Si la lutte contre la peine de mort aux États-Unis progresse – le nombre de condamnations est passé de 315 en 1996 à 30 en 2016 et 19 États sont abolitionnistes –, il reste fort à faire pour venir à bout des discriminations économiques et sociales des accusés et détenus. Parmi les revendications portées par la Coalition mondiale contre la peine de mort – dont l'ACAT fait partie –, on retrouve celle d'assurer le droit à un procès équitable et à une représentation efficace quelques soient les moyens de l’accusé. Mais cette avancée ne serait qu’un préalable à l’abolition totale et définitive de la peine de mort, châtiment injuste, inhumain et irréversible.

 

Iniquité, discriminations : Sandra Babcock, professeure clinique à la faculté de droit de l’université Cornell (New-York), revient sur certains dysfonctionnements du système américain.

 

 

 

 

Pourquoi les pauvres ont-ils plus de risques d’être condamnés à mort ?

Sandra Babcock : Il existe plusieurs raisons. Mais si je devais n’en retenir qu’une, ce serait le manque fréquent d’accès à des avocats compétents et bien formés. Bien que chaque état prévoit une aide juridictionnelle pour les personnes indigentes accusées d’un crime, ces avocats sont souvent inexpérimentés et/ou manquent de moyens pour engager des experts et des enquêteurs.

En quoi les minorités peuvent-elles être affectées plus particulièrement ?

S. B. : Les jurys condamnent plus facilement à mort des personnes qu’ils voient comme « différentes », « autres », moins humaines. Diverses études ont montré que dans les affaires impliquant des victimes blanches et des accusés noirs, il y a beaucoup plus de chances que les procureurs requièrent la peine capitale et que les jurys votent pour. Au Texas, les jurys doivent décider si l’accusé constitue un danger probable pour la société à l’avenir. Cette question entraîne un risque élevé que les préjugés raciaux « contaminent » la procédure de condamnation à mort : beaucoup de gens croient que les Afro-américains (mais aussi les Mexicano-américains et d’autres gens de couleur) sont plus enclins à commettre des crimes violents.

Les déficients mentaux sont-ils plus exposés ? Est-ce aussi une question de moyens ?

S. B. : Premièrement, notre société s’acquitte très mal de son devoir de traitements et de soins vis-à-vis des délinquants ayant des maladies mentales ou des déficiences intellectuelles. Ils sont placés dans des prisons où ils subissent mauvais traitements et abus. Deuxièmement, beaucoup de troubles mentaux ne sont pas correctement diagnostiqués, d'autant que les contre-expertises médico-légales demandées par la défense doivent être financées par l'accusé. S'il dispose de peu de moyens, il ne pourra donc pas démontrer comment ses déficiences mentales ont affecté son comportement au moment du crime. De son côté, le jury n'en sera peut-être jamais informé. D’autres sont sceptiques et ont tendance à minimiser l’impact qu’un trouble mental peut avoir sur le comportement. Enfin, beaucoup de gens croient que les malades mentaux sont plus dangereux, et cela peut conduire les jurés à considérer les preuves de maladies mentales comme des facteurs aggravants au bénéfice de la peine de mort.

Les ressources financières ont-elles un impact sur les conditions de détention ?

S. B. : Le principal problème n’est pas le manque de ressources des condamnés. Les prisons ont une approche très punitive des individus condamnés à mort. Ils sont privés d’éducation et de formation professionnelle parce que les prisons croient qu’ils n’ont pas besoin de réhabilitation. Mais ils demeurent des décennies dans le couloir de la mort du fait du long processus d’appel (et d’autres facteurs). Ils sont isolés des autres détenus et bien souvent ils n’ont pas droit au contact physique avec leurs proches du moment où ils sont condamnés. Il n’y a pas de bonne raison à cela, à part la volonté réflexe de les soumettre à une punition plus forte que celle de détenus condamnés à de moins longues peines.

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