Mobilisons-nous pour demander une enquête sur le drame survenu au sein du commissariat de Angola-libre !
Téléchargez la lettre, personnalisez-la avec vos coordonnées et retournez-la par voie postale ou par voie électronique au ministre congolais de la Justice.
Qui sont les victimes mortes en détention ?
Pour l’instant, seules deux victimes ont pu être clairement identifiées par le Centre d’Actions pour le Développement (CAD), organisation de défense des droits humains congolaise :
- Daniel Sakamesso, 21 ans, congolais, arrêté pour présomption de banditisme.
- Justin Yambou Gwange, 23 ans, ressortissant de République démocratique du Congo (RDC), arrêté pour séjour irrégulier.
En partenariat avec l’ACAT-France, le CAD poursuit ses recherches pour connaître le nom des autres victimes. L’accès à l’information est difficile. Les autorités congolaises n’ont, jusqu’à ce jour, pas communiqué sur cette affaire et elles ne répondent pas aux sollicitations du CAD. Seuls quelques médias ont communiqué et présenté l’affaire comme une conséquence liée à des affrontements entre délinquants au sein du commissariat, balayant toute responsabilité de la police.
Pourquoi ont-ils été arrêtés ?
Daniel Sakamesso disparait le 28 février 2024. Une semaine plus tard, son père est informé de la détention de son fils au sein du commissariat central de police Djoué, plus couramment appelé commissariat central de Angola-libre. Les parents se rapprochent du commissariat et apprennent par des policiers que Daniel Sakamesso aurait été arrêté à cause de tatouages qu’il a sur lui. Les policiers demandent alors 75 000 Francs CFA (environ 115 euros) en échange de sa libération. Le drame du 10 au 11 mars est survenu alors que la famille était en train de rassembler la somme requise devant permettre la libération de Daniel Sakamesso.
Justin Yambou Gwange a été arrêté par des gendarmes le 4 mars 2024 autour 18h avec quatre autres compatriotes de RDC pour défaut de pièces d’identité et suspicion de séjour irrégulier. Ils se trouvaient alors à une veillée mortuaire d’un autre ressortissant de RDC. Le 5 mars, ils ont été transférés à la brigade de recherche de la gendarmerie. Après cinq jours de garde-à-vue, les cinq détenus ont été scindés en deux groupes. Justin Yambou Gwange s’est retrouvé dans le lot des individus transférés au commissariat central de Angola-libre tandis que les quatre autres sont restés à la gendarmerie. Ces derniers ont été libérés après le drame survenu à Angola-libre.
Que s’est-il passé au sein du commissariat de police Angola-libre ?
Les premières informations faisant état du drame survenu au sein du commissariat central de Angola-libre proviennent du média Le troubadour de Brazzaville , un média proche de la police. Selon ce média, des bandes rivales de jeunes dits « bébés noirs » se seraient affrontées en détention, causant la mort de cinq personnes. Le titre parle de « l’impuissance des institutions face à la violence carcérale ». L’article n’évoque, à aucun moment, une possible responsabilité au sein de la police : « Ce drame pose l’épineux problème de la surpopulation dans les locaux de garde à vue de nos commissariats. Des détenus en mandat de dépôt que la justice n’a pas pu transférer dans les maisons d’arrêt surpeuplées, notamment des centaines de « bébés noirs », y croupissent, à la charge de la police. Il est plus que temps que l’État construise des maisons d’arrêt et des centres de détention pour mineurs dignes de ce nom. Dans le cas contraire, d’autres drames pourraient survenir. Car les locaux de la police ont aussi des limites ». Le 11 mars 2024, le CAD fait état de sources qui « indiquent que les policiers auraient tiré des grenades lacrymogènes dans les cellules ».
L’association congolaise indique que le « caractère répétitif des morts en détention soulève de graves interrogations et appelle à des mesures fortes » dont « une enquête approfondie, indépendante et transparente pour faire toute la lumière sur cette tragédie ». De manière surprenante, les autorités congolaises ne communiquent pas sur ce drame. Et plus d’un mois plus tard, alors que, selon le droit international, tout décès en détention doit faire l’objet d’une enquête devant déterminer les circonstances et causes de décès, aucune ne semble être menée par les autorités compétentes. De son côté, le CAD entreprend un « appel à témoins » pour faire avancer son enquête et entreprend des démarches en vue d’une autopsie des corps.
Une obligation d’enquêter en cas de décès en détention
Conformément à l’Ensemble de règles minima des Nations unies pour le traitement des détenus, dites Règles Nelson Mandela, les autorités congolaises doivent « imposer le signalement de tout décès, toute disparition ou toute blessure grave survenant en cours de détention à une autorité compétente indépendante de l’administration pénitentiaire, qui sera chargée d’ouvrir promptement une enquête impartiale et efficace sur les circonstances et les causes de tels cas ». De telles démarches doivent également être effectuées « chaque fois qu’un acte de torture ou d’autres formes de mauvais traitement pourraient avoir été commis en prison, qu’une plainte formelle ait été reçue ou non ».
Selon l’Ensemble de principes des Nations unies pour la protection de toutes les personnes soumises à une forme quelconque de détention ou d’emprisonnement, « si une personne détenue ou emprisonnée vient à décéder ou à disparaître pendant la période de sa détention ou de son emprisonnement, une autorité judiciaire ou autre ordonnera une enquête sur les causes du décès ou de la disparition, soit de sa propre initiative, soit à la requête d’un membre de la famille de cette personne ou de toute personne qui a connaissance de l’affaire […] Les résultats ou le rapport d’enquête seront rendus disponibles si la demande en est faite » (Principe 34).
Ainsi, selon les normes internationales relatives aux droits humains concernant le droit à la vie, toute mort en détention crée de facto une présomption de responsabilité de l’État, qui ne peut être réfutée qu’au moyen d’une enquête indépendante et impartiale qui permette de lever toute responsabilité de l’État.
L’association CAD a demandé formellement aux autorités congolaises d’ouvrir une telle enquête. Elle a sollicité les partenaires européens, français et américains à soutenir cette demande.
Contexte
Depuis mai 2017 et la déclaration du procureur de la République près le tribunal de grande instance de Brazzaville affirmant que « les bébés noirs [terme désignant les gangs d’adolescents violents] sont des terroristes. Nous allons combattre et nous allons les mettre hors d’état de nuire » (source Africanews), la lutte contre la criminalité et le banditisme en République du Congo se fait au détriment du droit et les exactions contre les jeunes hommes se multiplient à Brazzaville et Pointe-Noire : exécutions sommaires, disparitions forcées, tortures, arrestations arbitraires… Des associations congolaises alertent depuis plusieurs années sur la dérive répressive des forces de l’ordre. En juillet 2018, une vingtaine de jeunes hommes sont arrêtés par la police dans les quartiers nord de Brazzaville. Treize d’entre eux décèdent dans la nuit du 22 au 23 juillet au commissariat de Chacona suite à des actes de torture.
Des vidéos postées sur les réseaux sociaux montrent régulièrement des exactions commises par des forces de l’ordre. Une vidéo publiée le 16 avril 2021 sur Facebook montre deux jeunes hommes, soupçonnés d’appartenance à un groupe de « bébés noirs », se faire rouer de coups sauvagement par des hommes en tenue militaire dans la cour d’un lycée dans la ville de Gamboma.
Le 29 septembre 2021, des images montrent des hommes en tenue militaire achever par balles un jeune homme au sol à Pointe Noire au niveau de l’école appelée Balou Costant dans le quartier Loandjili. En janvier 2022, une terrible vidéo de plus de cinq minutes, montrant en plein jour des policiers frapper les jambes de trois jeunes hommes avec un gros marteau, fait le tour des réseaux sociaux et crée un grand émoi auprès des Congolais. Cette vidéo, tournée sous le viaduc reliant Brazzaville à sa banlieue nord, gêne fortement les autorités congolaises et les oblige à agir.
Le 6 janvier, le procureur de la République ordonne le placement en détention de quatre policiers et trois civils pour « crime flagrant, association de malfaiteurs, coups et blessures volontaires » (article 55 du code de procédure pénale). Quelques mois auparavant, le Centre d’Actions pour le Développement (CAD) affirmait dans un rapport que les exemples de violences des forces de l’ordre à l’encontre de jeunes hommes soupçonnés d’appartenance à un groupe de « bébés noirs » étaient nombreux : « des vidéos, dont certaines devenues virales sur Internet, montrent des faits d’exécutions sommaires, de torture et de mauvais traitements dans plusieurs lieux du pays, sans que cela ne suscite l’indignation des autorités. Les auteurs ne sont jamais inquiétés […] au nom de la lutte contre le banditisme, la police congolaise disposerait du permis de tuer ».
Hormis quelques affaires largement médiatisées sur les réseaux sociaux qui obligent la justice à se saisir de ces cas de violences, les autorités congolaises laissent majoritairement les forces de l’ordre agir en dehors de la loi dans leur lutte contre la criminalité et le banditisme. En laissant les forces de l’ordre agir de la sorte en toute impunité, les autorités congolaises se rendent auteures de violations.