Maître Guy Hervé Kam, avocat au barreau de Ouagadougou, militant infatigable des droits humains et figure majeure de la société civile burkinabè, est la cible d’un acharnement politico-judiciaire sans précédent au Burkina Faso. Détenu arbitrairement depuis le 1er août 2024, il est accusé de « complot contre la sûreté de l’État » et « association de malfaiteurs », dans une affaire pour laquelle il avait déjà été arrêté puis libéré à deux reprises au cours de l’année 2024.
Une arrestation arbitraire malgré des décisions de justice favorables
Avocat, cofondateur du mouvement citoyen Le Balai Citoyen et chef du mouvement politique Servir et non se servir (SENS), Maître Guy Hervé Kam est une voix essentielle de la lutte pour la démocratie au Burkina Faso. Depuis l’arrivée au pouvoir du capitaine Ibrahim Traoré en septembre 2022, il n’a cessé de dénoncer les dérives autoritaires du régime militaire.
Dans la nuit du 24 au 25 janvier 2024, Maître Kam est arrêté à l’aéroport de Ouagadougou par des agents en civil de la Sûreté de l’État. Il est détenu au secret pendant plus d’un mois, sans mandat judiciaire, dans des conditions violant ses droits fondamentaux. Le 5 mars 2024, un agent judiciaire de l’État confirme publiquement qu’il est mis en cause pour « atteinte à la sûreté de l’État ». Deux jours plus tard, le 7 mars 2024, un juge des référés ordonne sa libération immédiate, -considérant sa détention illégale ; une décision confirmée le 23 avril par la Cour administrative d’appel de Ouagadougou. Malgré cela, Maître Kam est resté détenu jusqu’au 29 mai 2024, date à laquelle il est finalement libéré… avant d’être de nouveau arrêté le soir même devant son domicile. Présenté le lendemain à un juge d’instruction militaire, il est mis en examen une nouvelle fois pour les mêmes chefs d’accusation.
Un bref espoir de liberté vite anéanti
Le 8 juillet 2024, la chambre de contrôle de l’instruction du tribunal militaire de Ouagadougou conclut qu’aucun indice grave ni concordant ne justifie les accusations. Deux jours plus tard, le 10 juillet, Maître Kam est libéré. Le 12 juillet, le procureur du tribunal militaire de Ouagadougou engage une énième procédure contre l’avocat sur la base des mêmes faits. Le 1er août 2024, Maître Kam est convoqué devant ce même procureur militaire. À l’issue de son audition, il est placé en garde à vue puis placé sous mandat de dépôt et conduit, le 2 août 2025, à la Maison d’arrêt et de correction des armées, toujours pour les mêmes faits. Depuis, l’affaire s’enlise : une seule audience a eu lieu, le 20 janvier 2025, avant que la chambre de contrôle de l’instruction n’annule une fois encore la mise en examen le 4 avril 2025. Malgré cela, Maître Kam reste détenu. Le 1er août 2025, le juge d’instruction militaire signe une ordonnance prolongeant sa détention sans justification ; un acte qualifié de crime de forfaiture au regard de l’article 261-132 du Code de procédure pénale, puisqu’il contredit une décision judiciaire antérieure ordonnant sa libération.
Une justice militaire instrumentalisée et un silence inacceptable
Le 8 octobre 2025, un collectif de 24 avocats africains a dénoncé dans un communiqué la détention illégale de Maître Kam. Selon eux, aucun acte d’instruction sérieux n’a été mené depuis plus d’un an : la procédure judiciaire est devenue un instrument de répression politique.
Tout indique que ces poursuites relèvent d’un acharnement judiciaire visant à réduire au silence un adversaire politique. La détention prolongée et arbitraire de Maître Guy Hervé Kam illustre la dérive autoritaire croissante du régime militaire au pouvoir.
Contexte
Depuis la prise du pouvoir par le capitaine Ibrahim Traoré en septembre 2022, le Burkina Faso traverse une phase de transition politique marquée par une grave détérioration de la situation des droits humains. Dans un contexte d’insécurité persistante liée aux attaques armées de groupes jihadistes, les autorités de transition ont progressivement mis en place un climat de répression généralisée visant les voix critiques, en particulier au sein de la société civile, des médias et du système judiciaire.
Répression des voix critiques au sein de la société civile
De nombreuses organisations internationales de défense des droits humains, telles qu’Amnesty International, Human Rights Watch (HRW), la FIDH et l’Organisation mondiale contre la torture (OMCT), ont documenté une série de violations préoccupantes. L’un des phénomènes les plus marquants est le recours aux disparitions forcées à l’encontre de défenseurs des droits humains et de journalistes. Amnesty International a notamment dénoncé l’enlèvement du Dr Daouda Diallo, figure reconnue de la société civile, en décembre 2023. Celui-ci a été réquisitionné de force pour être envoyé au front, sans information préalable à ses proches ni justification légale. Ce cas n’est pas isolé : plusieurs autres activistes ont subi un sort similaire, dans une logique de représailles à leur engagement indépendant.
Les autorités utilisent également les mécanismes de « réquisition » militaire de manière ciblée, comme outil de sanction contre les voix dissidentes. En août 2024, au moins sept magistrats ont été contraints à rejoindre les rangs militaires alors qu’ils enquêtaient sur des affaires sensibles impliquant des soutiens du régime. HRW a qualifié cette pratique de conscription punitive, portant atteinte à l’indépendance de la justice.
Le climat de répression s’étend aussi au secteur des médias. Des suspensions de médias internationaux, comme la BBC ou Voice of America, ont été décrétées à la suite de la diffusion de rapports critiques, notamment après la publication d’un rapport de HRW accusant les forces burkinabè d’avoir exécuté sommairement des centaines de civils. Cette volonté de contrôler l’information se traduit par une surveillance accrue des journalistes, des menaces, et une instrumentalisation des réseaux sociaux pour intimider les professionnels de l’information.
Impunité des responsables de crimes de masse
Ce climat oppressif s’inscrit dans un contexte plus large d’impunité. Selon HRW, des massacres de grande ampleur, comme ceux de Nondin et Soro en février 2024 – où au moins 223 civils, dont 56 enfants, ont été tués par des militaires – sont restés sans suites judiciaires. La peur généralisée et l’absence de recours renforcent la vulnérabilité des organisations locales qui œuvrent pour la défense des droits humains.
De plus en plus d’associations locales sont entravées dans leur fonctionnement, avec une restriction de plus en plus importante des libertés de réunion et d’expression. De manière générale, toute forme de contestation de la politique mis en œuvre par la Junte militaire est assimilée à de la trahison ou à de la complicité avec les groupes armés. Les discours de haine, souvent véhiculés par des personnalités proches du pouvoir sur les réseaux sociaux, participent à ce climat d’intimidation et de stigmatisation des acteurs indépendants.
Une dérive autoritaire sous couvert de lutte antiterroriste
Ainsi, sous prétexte de lutte contre le terrorisme et de mobilisation nationale, le régime de transition met en place une gouvernance autoritaire qui réduit considérablement les libertés fondamentales. Les acteurs de la société civile, piliers de la démocratie et du dialogue social, sont progressivement marginalisés, voire criminalisés. Cette dérive autoritaire compromet non seulement la protection des droits humains mais aussi les perspectives de sortie durable de crise pour le Burkina Faso.