Après avoir servi l’État camerounais pendant plus de 20 ans, notamment en tant que secrétaire général à la Présidence de la République et ministre de l’Administration territoriale et de la Décentralisation, Marafa Hamidou Yaya a été arrêté le 16 avril 2012 et condamné peu après pour détournement de fonds publics, malgré le fait que le tribunal ait expressément reconnu son innocence. Aujourd’hui âgé de 72 ans, Marafa Hamidou Yaya est incarcéré arbitrairement au Cameroun depuis 13 ans. Il souffre gravement de problèmes de santé, notamment d’une perte de vision qui menace de le rendre totalement aveugle. Il a besoin de soins médicaux spécifiques à l’étranger, mais ses demandes d’évacuation médicale restent sans réponse.
Qui est Marafa Hamidou Yaya ?
Le 9 décembre 2011, Marafa Hamidou Yaya, ministre de l’Administration territoriale et ancien Secrétaire général de la Présidence de la République, est brutalement évincé du gouvernement, à la suite de la publication par Wikileaks de câbles diplomatiques américains faisant état d’entretiens confidentiels dans lesquels il évoquait ses ambitions politiques nationales.
Accusé de détournement de fonds publics dans une affaire controversée liée à l’achat d’un avion présidentiel, Marafa Hamidou Yaya est arrêté le 16 avril 2012. Le 25 mai 2012, il est incarcéré au Secrétariat d’Etat à la Défense (SED), un camp militaire situé à Yaoundé, qui est sous l’autorité du ministère de la Défense. Le 22 septembre 2022, à l’issue d’un procès entaché de graves irrégularités, il est condamné à 25 ans de prison par un tribunal criminel spécial pour « complicité intellectuelle de détournement d’argent public ».
Pour Niels Marquardt, ancien ambassadeur américain en poste au Cameroun de 2004 à 2007 : « [le] seul véritable crime [de Marafa Hamidou Yaya] est de m’avoir dit, en toute confidentialité en 2006, qu’il « pourrait être intéressé » par une éventuelle candidature à la présidence du Cameroun, dans l’éventualité où Paul Biya quitterait ses fonctions. Lorsque ce câble a été publié par WikiLeaks, cette confidence de M. Marafa a immédiatement fait la une des journaux camerounais. Cela a conduit directement à son arrestation, puis à son procès-spectacle l’année suivante ».
Le 18 mai 2016, la peine de Marafa Hamidou Yaya a été réduite à vingt ans par la Cour suprême. Cet homme politique autrefois influent est, jusqu’à ce jour détenu au SED, un camp militaire au sein duquel des prisonniers dit « sensibles » sont incarcérés sous la surveillance constante de militaires. Ses conditions de détentions sont inhumaines et dégradantes. Il est détenu, avec quatre autres personnes, au sein d’une cellule très humide d’environ 10 mètres carrés, privée de fenêtre. Il n’a le droit de sortir que dans une minuscule cour, à laquelle n’ont accès que ses codétenus.
Une détention qualifiée d’arbitraire par les Nations unies
Selon l’Avis n°22/2016 du Groupe de travail des Nations unies sur la détention arbitraire, adopté le 27 avril 2016, Marafa Hamidou Yaya est détenu arbitrairement : « Au regard des faits et des preuves présentées, le groupe de travail est convaincu que l’arrestation, la détention et la condamnation de M. Yaya ne se justifiaient pas et que son droit à un procès équitable a été sérieusement nié durant la procédure pénale à laquelle il a fait face ». Le groupe de travail demande depuis lors, sa libération immédiate et le versement de réparations adéquates. Les autorités camerounaises n’ont, à ce jour, donné aucune suite à ces injonctions.
Un homme malade, en danger
Marafa Hamidou Yaya, aujourd’hui âgé de 72 ans, souffre de graves problèmes de santé : hypertension, troubles neurologiques, perte progressive de la vue du fait d’un glaucome. Alors qu’il a déjà perdu l’usage de l’œil droit, il est en train de perdre son œil gauche. « Je perds la vue. Tous les spécialistes recommandent « une opération de la dernière chance » pour m’éviter de devenir totalement aveugle ». Une telle opération ne peut se pratiquer qu’à l’étranger, faute de structure adéquate au Cameroun. Ses demandes d’autorisation d’évacuation médicale adressées au président Biya restent sans réponse, de même que les multiples alertes de ses avocats, de sa famille, et de divers mécanismes onusiens. Le Comité des droits de l’homme, saisi le 29 novembre 2019, a demandé à plusieurs reprises aux autorités du Cameroun d’ « accorder à Marafa un accès aux soins immédiats, adéquats et spécialisés, de manière à garantir la préservation de sa vue ». Le gouvernement du Cameroun n’a, à ce jour, jamais répondu au Comité ni mis en œuvre ces injonctions. Marafa Hamidou Yaya est, jusqu’à ce jour, maintenu dans sa cellule exigüe, sans lumière naturelle, et sans accès régulier à ses proches ou à un avocat. Sa détention prolongée, dans ces conditions, met sa vie en danger et s’apparente à un traitement cruel, inhumain et dégradant, prohibé par la Convention contre la torture, ratifiée par le Cameroun en 1986.
Le Cameroun est soumis au droit international. En tant qu’État partie au Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP), il a l’obligation de garantir à toute personne détenue le droit à un procès équitable, l’accès à des recours effectifs, la protection contre les détentions arbitraires, et un traitement humain. En ignorant les conclusions des experts indépendants du groupe de travail sur la détention arbitraire, et en refusant de libérer Marafa Hamidou Yaya ou d’améliorer ses conditions de détention, le gouvernement camerounais viole ses engagements internationaux et ses obligations constitutionnelles.
Contexte
Le Cameroun connaît une dégradation constante de la situation des droits humains, marquée par des tensions politiques persistantes, deux conflits armés internes et une répression croissante des libertés civiles, dans un contexte préélectoral de l’élection présidentielle d’octobre 2025. Les autorités camerounaises utilisent régulièrement -les services de défense et de sécurité -ainsi que l’appareil judiciaire comme instruments de contrôle politique, ciblant notamment les opposants, les militants de la société civile, les journalistes et les défenseurs des droits humains.
Dans les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest, la crise anglophone a donné lieu à de graves violations des droits humains telles que les exécutions extrajudiciaires, des disparitions forcées, de la torture, des violences sexuelles, des arrestations arbitraires, et la destruction de villages…
Dans l’Extrême-Nord, la lutte contre Boko Haram -est également entachée d’abus commis tant de la part des groupes armés que par les forces de défense et de sécurité. Par ailleurs, la liberté d’expression et de manifestation est sévèrement restreinte à l’échelle nationale : des médias indépendants subissent pressions, suspensions ou poursuites, tandis que les rassemblements pacifiques de l’opposition et de la société civile sont régulièrement interdits ou brutalement dispersés.
Des cas de détention arbitraire et prolongée, notamment au sein du Secrétariat d’État à la Défense (SED) à Yaoundé, à la prison centrale de Kondengui, également dans la capitale, et au sein de brigades de gendarmerie, sont régulièrement signalés. Le recours à la torture pour extorquer des aveux demeure courant, malgré les engagements internationaux du Cameroun à ne pas pratiquer la torture. Enfin, l’environnement dans lequel évoluent les organisations de défense des droits humains s’est fortement détérioré ces derniers mois, comme-en témoigne la suspension du REDHAC (Réseau des Défenseurs des Droits humains en Afrique centrale), en décembre 2024, et les intimidations judiciaires actuelles visant sa directrice Maximilienne Ngo Mbe et sa présidente, Maître Alice Nkom, dans deux affaires.
De nombreux prisonniers politiques et d’opinion
Le Cameroun détient un nombre significatif de prisonniers politiques et d’opinion, souvent poursuivis sous des chefs d’inculpation liés à l’« atteinte à la sûreté de l’État », « insurrection », « hostilité contre la patrie » ou encore « terrorisme ». Ces accusations sont fréquemment utilisées pour criminaliser l’expression d’opinions dissidentes, en particulier dans le cadre de la crise anglophone et des activités de l’opposition politique. Dans ce contexte, la loi antiterrorisme de décembre 2014 est un outil liberticide aux mains du régime en place.
Depuis la présidentielle contestée de 2018, plusieurs cadres et militants du Mouvement pour la Renaissance du Cameroun (MRC) de Maurice Kamto ont été arrêtés, parfois sans jugement pendant de longs mois, et condamnés à de lourdes peines par des tribunaux militaires, en violation du droit à un procès équitable. Certains ont été libérés sous la pression nationale et internationale, d’autres ont purgé leurs peines. Cependant, 38 restent encore détenus arbitrairement.
Dans les régions anglophones, des centaines de personnes (militants, enseignants, journalistes, leaders communautaires) ont été arrêtées -en raison de leurs liens présumés avec les mouvements indépendantistes. Nombre d’entre elles ont été condamnées à des peines de prison à perpétuité à l’issue de procès iniques devant des juridictions militaires.
Le recours aux tribunaux militaires pour juger des civils, en particulier pour des infractions à caractère politique, a été fermement dénoncé par les Nations unies, l’Union africaine et de nombreuses ONG. La libération des prisonniers politiques reste l’une des principales revendications des acteurs de la société civile camerounaise et des partenaires internationaux, soucieux d’une véritable ouverture démocratique dans le pays.
Le SED, une prison inhumaine
Le Secrétariat d’État à la Défense (SED), situé à Yaoundé, est un camp militaire relevant du ministère délégué à la Présidence chargé de la Défense. Il abrite plusieurs services de sécurité, dont la gendarmerie nationale, et possède une unité d’enquête judiciaire dotée de cellules de garde à vue. Sa fonction de « prison secondaire de Yaoundé » n’a été officialisé qu’en mai 2012.
N’y sont détenus qu’un petit nombre de personnes condamnées, considérées comme « sensibles » par le pouvoir car détenant possiblement des secrets d’État. Ces personnes, souvent des anciens membres du gouvernement, sont maintenues à l’isolement, surveillés et écoutés -jour et nuit. Depuis plusieurs années, le SED est également utilisé comme lieu de détention provisoire, pour des personnes accusées d’atteinte à la sûreté de l’État, de terrorisme ou d’autres infractions sensibles. Les cellules des condamnés sont, pour certaines, attenantes aux cellules où sont interrogés et torturés les personnes en détention provisoire. Les condamnés entendent les souffrances des suppliciés, les exposant à une vulnérabilité constante -face à la terreur. Plusieurs témoignages et rapports publics d’ONG ont documenté, ces dernières années, des conditions de détention extrêmement préoccupantes au sein du SED dont un usage routinier de la torture.