Dans une interview mise en ligne le 14 juillet 2021 sur RFI, le président burundais Evariste Ndayishimiye affirme qu’il n'y a pas de disparition forcée au Burundi : « À ce que je sache, il n’y a pas de disparitions au Burundi. Sinon, vous me diriez : Telle personne est disparue ». En réalité depuis 2015, un nombre important de citoyens burundais – dont des militants de la société civile et des opposants – ont disparu sans laisser de traces après avoir été arrêtés par des agents de l’Etat. Les autorités burundaises n’ont pour l’instant aucune volonté politique de procéder à de véritables enquêtes pouvant établir la vérité sur ces crimes et rendre justice aux victimes et à leurs proches.
Le Forum pour la conscience et le développement (FOCODE), association de défense des droits humains burundaise a enquêté sur les disparitions forcées au Burundi et a documenté plus de 200 cas depuis 2016, dont une trentaine depuis l’arrivée au pouvoir du président Évariste Ndayishimiye. Parmi les centaines de personnes portées disparues à la suite d’arrestations de la part d’agents de l’Etat figurent la défenseure des droits humains Marie-Claudette Kwizera, la trésorière de la Ligue Iteka, et le journaliste Jean Bigirimana du média Iwacu, respectivement enlevés le 10 décembre 2015 et le 22 juillet 2016 par des agents du Service national de renseignement (SNR). Ils ont été pris pour cible en raison de leur travail et vraisemblablement assassinés.
Disparition forcée de Marie-Claudette Kwizera
Le 10 décembre 2015, aux alentours de 18 heures, des hommes habillés en civil forcent Marie-Claudette Kwizera à monter dans un véhicule près de la polyclinique centrale à Bujumbura. Le véhicule aux vitres teintées, considéré comme appartenant au SNR, l’emmène vers une destination inconnue.
En septembre 2019, la Commission d’enquête des Nations Unies sur le Burundi indique qu’elle a été « conduite dans les locaux du SNR sans y être enregistrée comme l’une des personnes détenues. Après quelques jours dans ces lieux, elle a été emmenée dans un autre endroit pour être exécutée. Elle a été visée en raison de son travail à la Ligue Iteka qui avait trait aux droits de l’homme ».
Disparition forcée de Jean Bigiramana
Le journaliste Jean Bigirimana, âgé de 37 ans, n’a plus donné signe de vie depuis le 22 juillet 2016. Il a été vu pour la dernière fois à Bugarama, dans la province de Muramvya, à environ 40 kilomètres de Bujumbura où il était en déplacement pour un reportage pour Iwacu le dernier journal indépendant encore en activité au Burundi à cette époque. Selon plusieurs témoins le journaliste aurait été arrêté par des agents en civil du SNR.
En juin 2017, son épouse, Godeberthe Hakizimana a trouvé un message avec des menaces de mort devant chez elle. Elle menait alors des activités pour retrouver son mari et cela a suscité de l’hostilité. Bien qu’elle ait signalé ces menaces à la police, aucune enquête n’a été menée.
Une justice absente dans les cas de disparitions forcées
Plus de cinq ans après, le sort réservé à Marie-Claudette Kwizera et à Jean Bigirimana reste inconnu et rien n’indique qu’ils sont encore en vie. Comme pour les nombreuses autres familles de personnes disparues, l’incertitude est particulièrement douloureuseet il est difficile de faire le deuil de leur proche. Cette souffrance aiguë, associée aux fréquents actes d’intimidation et à l’absence de volonté des autorités pour établir la vérité sur ces disparitions, constitue un acte de torture.
Dans les affaires « Kwizera » et « Bigirimana », les autorités burundaises n’ont entamé aucune enquête impartiale bien qu’elles aient été rapidement saisies. Elles n’ont également entrepris aucune action pour apporter des réponses aux familles des disparus et pour mettre fin à leur souffrance.
La négation récente par les plus hautes autorités burundaises des disparitions forcées survenues au Burundi depuis 2015 est un affront aux principes de vérité, de justice et d’obligation de rendre des comptes.
En ne sanctionnant pas les auteurs présumés de ces disparitions forcées, le Burundi a violé et continue de violer les normes internationales en matière de droits humains. Les autorités burundaises doivent immédiatement mener des enquêtes exhaustives sur ces disparitions forcées et traduire en justice leurs responsables. Les familles ont le droit de connaître la vérité quant au sort réservé à leurs proches.
Demandons aux autorités burundaises de faire la lumière sur les disparitions forcées de Marie-Claudette Kwizera et de Jean Bigirimana :
– Téléchargez la lettre, personnalisez-la avec vos coordonnées et adressez-la par voie électronique directement sur le site de l'ambassade du Burundi en France ou par postale via cette ambassade. Vous pouvez également adresser le courrier par Fax au 01 45 20 02 54.
– Tweetez notamment les comptes @GeneralNeva, @NtareHouse, postez sur Facebook, faites-le savoir autour de vous !
CONTEXTE
En 2005, le Burundi sort d’une longue guerre civile. Pierre Nkurunziza arrive au pouvoir après des accords de paix. Sa faction armée remporte tous les scrutins et contrôle toutes les institutions du pays. Au cours des années suivantes son pouvoir ne cessera de s’éroder et de se criminaliser par la répression et la corruption. En 2010, l’opposition ne participe pas au scrutin présidentiel permettant à Pierre Nkurunziza d’être réélu. En mars 2014, il tente de faire modifier la Constitution afin de supprimer la limitation des mandats présidentiels : les députés refusent. Face à ce camouflet, les conseillers du président burundais prétendent que son premier mandat ne compte pas puisqu’il a été élu de manière indirecte par le Parlement. Le 25 avril 2015, Pierre Nkurunziza annonce qu'il se présente à l'élection présidentielle pour un troisième mandat consécutif. Dès le lendemain, la jeunesse descend dans les rues de Bujumbura pour dire « non » au troisième mandat. La police et la milice pro-gouvernementale « Imbonerakure » répriment. C’est le début des exactions : manifestants tués par balles, torturés, menacés… Tous les partis d’opposition comme la très grande majorité des organisations de la société civile appellent à la mobilisation citoyenne pacifique pour faire échouer cette dérive totalitaire. Conscient de la vitalité de la société civile dans ce combat pour le respect des Accords d’Arusha (qui interdisent de conserver le pouvoir plus de 10 ans), le régime s’engage dans une politique d’affaiblissement délibéré de cette société civile. Il profite de l’échec du coup d’État du 13 mai 2015 et de la chasse aux militaires dissidents pour décimer la plupart des médias indépendants. Des mesures arbitraires sont prises à leur égard, notamment, la fermeture et la saisie de leurs comptes bancaires personnels et de celles d’une dizaine d’organisations de la société civile (novembre 2015), la suspension et la radiation des principales organisations et médias œuvrant pour la défense des droits humains (octobre 2016). Les avocats engagés dans la défense des victimes des crimes commis depuis 2015 constituent une des principales cibles du pouvoir burundais du fait de leur travail de représentant des victimes auprès de différents mécanismes internationaux juridictionnels.
Avec la montée des violences politiques, les disparitions forcées, les tentatives d’assassinat de membres de la société civile, la nécessité de s’exiler est devenu évidente chez les détracteurs du régime en place.
La communauté internationale ne réussit pas à s’accorder sur les mesures à prendre pour arrêter la dérive autocratique de Pierre Nkurunziza et de son régime. Le scrutin présidentiel se tient le 21 juillet 2015. Le 20 août, Pierre Nkurunziza est investi pour un nouveau mandat. Petit à petit, les manifestants pacifiques écrasés par la répression quittent la rue et laissent la place à ceux qui ont des armes et des revendications plus belliqueuses. La violence augmente encore : assassinats ciblés, arrestations et tortures de détenus, attentats à la grenade, disparitions forcées, etc.
Après environ deux années de conflit de basse intensité, le régime, à force de répression, parvient à un contrôle draconien du territoire et de la société. Mais à quel prix ? Le pays est économiquement exsangue et vit dans la peur. Il n’existe plus de société civile indépendante. Environ 400 000 Burundais ont fui le pays. Au moins 1 200 personnes sont décédées de mort violente entre 2015 et 2018 selon la Ligue burundaise des droits de l’Homme (Iteka). En mai 2018, le régime fait modifier la Constitution par un référendum controversé. La nouvelle Constitution permet dorénavant au président en place de briguer deux mandats de sept ans. Le président Nkurunziza indique qu’il ne sera pas candidat au prochain scrutin présidentiel. Durant deux années, le régime refuse toute discussion sur la tenue d’élections libres, transparentes et inclusives avec l’opposition en exil, qu’elle qualifie de « putschiste ». A la fin de l’année 2019, une nouvelle rébellion armée appelée « Red Tabara » apparaît et multiplie les attaques dans le nord-ouest du pays. Le 20 mai 2020, l’élection présidentielle se tient dans un contexte politique tendu. A l’issue d’un scrutin entaché de nombreuses violations des droits humains et manquant de transparence et d’équité, le candidat du pouvoir, le général Évariste Ndayishimiye, 52 ans, remporte sans surprise l’élection avec 68,72% des suffrages. Le 8 juin, le président sortant Nkurunziza décède brutalement à l’âge de 55 ans obligeant Ndayishimiye à prendre ses fonctions plus tôt. Le régime fait alors front commun : le gouvernement choisi par le nouveau président est exclusivement composé de membres du Conseil national pour la défense de la démocratie-Forces de défense de la démocratie (CNDD-FDD), faction issue de la guerre civile. Le Premier ministre – le général Alain-Guillaume Bunyoni (ex-commissaire général de la police, considéré comme le véritable numéro deux du régime depuis la crise politique de 2015) – et le ministre de la sécurité – le général Gervais Ndirakobuca (ex-chef du Service national des renseignements, pièce maîtresse de la répression depuis 2015) – sont tous deux sous sanctions des Etats-Unis et de l’Union européenne. Ce gouvernement est loin de rassurer l'opposition et la société civile.
Le changement de président au sommet de l’État n’a, dans les faits, pas amélioré la situation des droits humains dans le pays. « La répression des opposants politiques supposés et des défenseurs des droits humains se poursuit de façon implacable, galvanisée par des discours de haine et d’incitation à la haine inter-ethnique qui contribuent à entretenir un climat de peur » indique Maître Armel Niyongere, président de l’ACAT-Burundi[1].