République Dém. du Congo
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Rapport Mapping : chronique d'exactions ignorées

Bien que le rapport Mapping soit un document fondateur de la lutte contre l’impunité en République démocratique du Congo (RDC), il est oublié dans les tiroirs des Nations unies depuis 9 ans. C’est qu’il fait la lumière sur les exactions commises entre 1993 et 2003, mettant en cause jusqu’aux plus hauts responsables politiques et militaires de la région des Grands Lacs.
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Le 08 / 11 / 2019

« Au moment même où je vous parle, un rapport est en train de moisir dans le tiroir d’un bureau à New York. Il a été rédigé à l’issue d’une enquête professionnelle et rigoureuse sur les crimes de guerre et les violations des droits humains perpétrés [en République démocratique du Congo, RDC, ndlr]. Cette enquête nomme explicitement des victimes, des lieux, des dates, mais élude les auteurs. » Lors de la remise de son prix Nobel de la paix, à Oslo (Norvège) le 10 décembre 2018, le docteur Denis Mukwege a tenté de briser un tabou. Il a évoqué tout haut un sujet que tous les diplomates évitent d’aborder en public : le Projet Mapping. Sous ce nom jargonneux se cache un inventaire des graves violations des droits humains commises en RDC entre mars 1993 et juin 2003. À l’époque, le bilan humain fut catastrophique : plus de 4 millions de Congolais morts des suites directes ou indirectes des conflits, plus de 40 000 fillettes et femmes victimes de violences sexuelles et environ trois millions de personnes déplacées. Mais l’horreur de ces chiffres n’a pas suffi à convaincre la communauté internationale de l’importance de juger les responsables de ces crimes. Depuis sa publication en 2010, le rapport Mapping est passé sous silence, ce qui participe à l’impunité des violations qu’a subies la population congolaise pendant dix ans.

Première guerre sur fond de génocide

L’histoire commence en juillet 1994 au Rwanda, où le Front patriotique rwandais (FPR) de Paul Kagamé vient de s'emparer du pouvoir. À la suite du génocide qui fit 800 000 morts Tutsis entre avril et juillet 1994, environ deux millions de Rwandais hutus se réfugient au Zaïre voisin (actuelle RDC), alors dirigé par Mobutu Sesse Seko. Parmi eux, on trouve des génocidaires dont de nombreux Interahamwe, membres de la milice responsable de la plupart des massacres pendant le génocide. En quête de vengeance, les Interahamwe s’attaquent aux Tutsis congolais au printemps 1996 et lancent plusieurs raids sur le Rwanda. En réaction, des milices de Tutsis congolais se constituent et reçoivent un soutien militaire du FPR. Les affrontements armés se succèdent et des massacres de civils sont commis.

C’est dans ce contexte que l’Ouganda, emmené par son président Yoweri Museveni, intervient aux côtés de Paul Kagamé. Les deux dirigeants envoient des troupes au Zaïre pour protéger les Tutsis congolais menacés par les Interahamwe. Ils ont aussi une arrière-pensée : renverser le régime de Mobutu, s'arroger un contrôle politique sur l'est du Zaïre et tirer profit des richesses naturelles de la région. Ils font appel à un opposant de longue date de Mobutu, Laurent-Désiré Kabila. Ensemble, Museveni, Kagamé et Kabila fondent l’Alliance des forces démocra-tiques pour la libération du Zaïre (AFDL). C’est le début de la Première guerre du Congo.

Entre octobre 1996 et mai 1997, les massacres se multiplient. L’AFDL, accompagnée des troupes étrangères, démantèle les camps de réfugiés hutus. L’armée zaïroise ne cherche même plus à les combattre et ses soldats, impayés, désorganisés, commettent des pillages et des viols sur les populations locales. En mai 1997, Mobutu s’enfuit vers le Maroc. Laurent-Désiré Kabila s'autoproclame président de la République. Le Zaïre est rebaptisé République démocratique du Congo (RDC). L’ONU, qui commence à parler de crimes de guerre, voire de génocide, estime que 200 000 Hutus ont été tués.

Sept pays, deux coalitions

Vient le deuxième acte de cette tragédie. Nous sommes en août 1998, en République démocratique du Congo. Des mi-litaires congolais tutsis se rebellent à l’est du pays contre le régime de Kabila et créent le Rassemblement congolais pour la démocratie (RCD). Le Rwanda et l’Ouganda soutiennent la rébellion et s'opposent ainsi à Kabila, qui était pourtant leur allié durant la Première guerre du Congo. Dans une moindre mesure, le Burundi décide lui aussi de soutenir le RCD. Les rebelles prennent rapidement le contrôle de l’est du pays. Entrent alors en jeu de nouveaux protagonistes : l’Angola, la Namibie, le Zimbabwe et le Tchad qui viennent en aide au régime vacillant de Kabila. C’est la Seconde guerre du Congo qui voit donc s’affronter pas moins de sept pays africains regroupés en deux coalitions. Pendant les trois ans de ce conflit complexe et meurtrier, les groupes rebelles ne cessent de se scinder en leur sein selon les appartenances ethniques, les intérêts politiques ou économiques et les renversements d’alliances entre les pays belligérants. Les troupes étrangères restent sur le sol congolais jusqu’en 2002. En juin 2003, un gouvernement de transition est créé en RDC, mais dans l’est, des milices armées et des militaires congolais continuent de plonger la région dans une insécurité chronique.

Pendant dix ans, toutes les parties aux deux conflits se sont rendues coupables de graves et massives violations des droits humains, dont les populations locales furent les premières victimes. En 2003, le système de santé congolais s'est effon-dré, l’insécurité alimentaire est grande, les ressources natu-relles sont pillées par les belligérants. De son côté, l’ONU a entamé un processus pour que justice soit rendue : en 1997, son Secrétaire général, Kofi Annan, mandate des enquêteurs qui sont bloqués à plusieurs reprises par le régime de Kabila. En 1998, ils parviennent toutefois à rendre des conclusions préliminaires, attestant que certains massacres commis en 1996 et 1997 par l'armée rwandaise et ses alliés pouvaient constituer un génocide.

Identité confidentielle

En septembre 2005, trois fosses communes sont découvertes dans la région du Kivu. Une équipe de spécialistes est mise en place sous la tutelle du Haut-Commissariat aux droits de l’homme des Nations unies (HCDH) avec un budget de plus de 2,7 millions d’euros. En mai 2007, le président Joseph Kabila approuve le Projet Mapping. Durant sept mois, d’octobre 2008 à mai 2009, 33 experts congolais et internationaux des droits humains rassemblent des documents et interrogent des témoins. Lorsque la première version du rapport est diffusée en juin 2009, les pays mis en cause cherchent à la censurer. Échaudé par l’allégation de crimes de génocide, le Rwanda encourage les autres pays de la région à dénoncer le document. L’appel est suivi par l’Ouganda en septembre 2009. Malgré tout, le HCDH rend public le « rapport du projet Mapping concernant les violations les plus graves des droits de l’homme et du droit international humanitaire commises entre mars 1993 et juin 2003 sur le territoire de la République démocratique du Congo (RDC) » le 1er octobre 2010.

Parmi les auteurs des crimes, sont cités des groupes rebelles congolais et les forces armées nationales de la RDC, ainsi que, entre autres, les forces armées ougandaises, burundaises, angolaises, rwandaises, tchadiennes et zimbabwéennes et d'autres groupes rebelles étrangers. Concernant les massacres de la Première guerre du Congo, commis principalement sur des réfugiés hutus rwandais et des citoyens hutus congolais, le rapport in-dique que les attaques commises par l'armée rwandaise et l’AFDL « révèlent plusieurs éléments accablants qui, s'ils sont prouvés devant un tribunal compétent, pourraient être qualifiés de crimes de génocide ». Le rapport conclut que la majorité des crimes documentés peuvent être qualifiés de crimes contre l'humanité et de crimes de guerre. Pro-blème : l’identité des auteurs présumés de ces violations – environ 200 personnes, dont plusieurs dizaines de responsables de premier plan – n’apparaît pas dans le rapport public, mais figure dans une base de données confidentielle à la disposition de la HCDH.

Projet sacrifié

Le gouvernement congolais a, dans un premier temps, accueilli favorablement le rapport, mais n’a jamais fait en sorte que les recommandations soient mises en œuvre. Les systèmes judiciaires des pays voisins – Angola, Burundi, Ouganda, Rwanda – ont systématiquement ignoré les exactions commises par leurs armées régulières. Alors qu’une mobilisation du Conseil de sécurité des Nations unies était attendue, ce dernier n’a apporté aucune ré-ponse pour pallier le manque d’initiative des États. Au contraire, pour apaiser les voisins de la RDC, et plus particulièrement le Rwanda et l’Ouganda, la communauté internationale a sacrifié la suite du Projet Mapping. Les enquêtes complémentaires ont été arrêtées dans le cou-rant de l'année 2010.

En 2020, cela fera donc dix ans que l’impunité est couverte dans les plus hautes instances de la communauté interna-tionale. Lorsqu’en mars 2016, le docteur Denis Mukwege a déposé une lettre signée par près de 200 ONG au HCDH, réclamant la publication de la base de données qui identifie les principaux responsables des crimes décrits dans le rapport Mapping, le Haut-Commissariat lui a répondu que « la divulgation publique de ces informations pourrait mettre en danger les victimes et les témoins desdites violations ». Pourtant, c’est bien la présence continue, depuis plus de 25 ans, des auteurs présumés dans les plus hautes instances dirigeantes, politiques et militaires des pays de la région des Grands Lacs, qui met le plus en danger les victimes et les témoins des violations commises.

le contexte

Cela fait 9 ans que la communauté internationale passe sous silence le rapport Mapping, qui répertorie les violations les plus graves des droits humains commises en République démocratique du Congo (RDC) entre 1993 et 2003. Publié en 2010, ce rapport recommande notamment la mise en place d’une juridiction spécialisée. Si le régime congolais a proposé la création de chambres spécialisées mixtes intégrées au sein du système judiciaire congolais, la loi créant un tel organe n’a jamais été adoptée. Depuis, la revendication majeure de la société civile, demandant la publication des noms des auteurs présumés, aujourd’hui consignés dans une base de données confidentielle, n’a jamais été entendue. Pire : l’équipe des Nations unies qui travaillait sur ce document a été démantelée en 2010, alors qu’elle bénéficiait de financements jusqu’en août 2011.

1 500 documents rassemblés et analysés par les experts des Nations unies entre 2007 et 2010.

1 280 témoins interrogés.

617 présumés incidents violents répertoriés, dont les principales victimes sont des femmes et des enfants.

AGISSEZ !

Jusqu'à ce jour, les responsables politiques et militaires des graves violations des droits  humains commises
en République démocratique du Congo (RDC) entre 1993 et 2003 restent impunis. Or, sans justice, la spirale des violences continuera. C'est pourquoi l'ACAT se mobilise à nouveau pour que le rapport Mapping et ses recommandations autour de la mise en place d'une justice transitionnelle soient enfin considérées par la RDC, avec le soutien de la communauté internationale. L'ACAT appelle le Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l'homme (HCDH) à lever l'embargo sur la base de données qui identifie les présumés auteurs et responsables.

Agissez : téléchargez notre lettre d'intervention !

Par Clément Boursin, responsable des programmes Afrique

Article issu du n°14 d'Humains

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