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Soudan
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Massacres au Soudan et apathie internationale

Au Soudan, le Darfour est en proie à une guerre de pouvoir très violente entre les généraux Abdel Fattah al-Burhane et Mohamed Hamdan Dagalo. En résultent de nombreuses violations des droits humains dont les populations civiles payent le prix fort. Jusqu'à réveiller le spectre du génocide dans une région encore traumatisée.
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Des gens marchent dans les décombres d'une maison touchée par un tir d'artillerie dans le district d'Azhari, au sud de Khartoum, le 6 juin 2023. © Photo AFP
Le 22 / 06 / 2023

Analyse par Clément Boursin, responsable Programmes et plaidoyer Afrique de l'ACAT-France.

Cela fait maintenant plus de deux mois que la guerre fait à nouveau rage au Soudan. D’un côté,les forces armées soudanaises (SAF), l’armée nationale commandée par le général Abdel Fattah al-Burhane arrivé au pouvoir après le coup d’État contre le gouvernement de transition en octobre 2021. De l’autre, les paramilitaires des Forces de soutien rapide (FSR) dirigés par le général Mohamed Hamdan Dagalo dit « Hemetti ».

Ce n’est pas une guerre civile mais une guerre de pouvoir entre deux généraux, deux criminels qui mettent le pays à feu et à sang pour un contrôle total du pays et de ses richesses.

« Combien de morts ? Combien de disparations forcées ? Combien de victimes de violences sexuelles et de tortures ? Il est difficile de se prononcer sur le nombre de victimes au Soudan alors que les exactions sont en cours. »

– Clément Boursin, responsable Programmes et plaidoyer Afrique à l’ACAT-France.

Une énième reprise du conflit armé au Darfour

Les affrontements qui ont éclaté le 15 avril 2023 à Khartoum se sont étendus à d'autres parties du territoire soudanais. À El-Geneina, capitale de l'État du Darfour occidental, située à l'Ouest du Soudan, le conflit a dégénéré avec des violences intercommunautaires entre tribus masalit (dites « populations noires ») et arabes.

Dans la nuit du 14 juin 2023, le gouverneur du Darfour occidental, le général Khamis Abdallah Abakar, a été capturé par des membres des FSR puis assassiné. Quelques heures plus tôt, il avait accusé à la télévision les paramilitaires des FSR de commettre un génocide à El-Geneina. Il demandait une « intervention internationale pour protéger les populations restant dans la région ».

Isolés de toute aide extérieure et soumis à des violences intenses, des milliers de civils ont tenté ces derniers jours et continuent de tenter de fuir la ville, contrôlée en grande partie par les FSR et les milices arabes alliées. Moins de 20% de la ville serait contrôlée par des groupes d’autodéfense masalits.

Selon Médecins sans frontières (MSF), « près de 900 blessés sont arrivés au Tchad. Ils racontent s’être fait tirer dessus et avoir vu des gens mourir en tentant de fuir les violences en cours à El-Geneina ». Les témoignages recueillis par MSF nous bouleversent. lls nous rappellent les heures les plus sombres du génocide récent au Darfour.

Des crimes internationaux en cours

Des civils sont ciblés, tués, violés, torturés, dépouillés par des hommes armés du fait leur appartenance ethnique. De probables crimes contre l’humanité, voire une reprise des pratiques génocidaires contre la population non arabe du Darfour occidental. La justice le dira un jour prochain.

Qu'est-ce qu'un crime de génocide ?

Lire la réponse.

D'après l'article 6 du Statut de Rome de la Cour pénale internationale, on parle de « crime de génocide » lorsque les faits sont commis «  dans l'intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux ». Pour parler de « crime de génocide », le droit international retient plusieurs critères :         

  • une ou des victimes ciblées du fait de leur appartenance à un groupe ;
  • l'intention de contribuer à l'élimination de ce groupe ;
  • un ou plusieurs actes commis parmi une liste exhaustive,  tels que le meurtre, l'atteinte à l'intégrité physique ou mental, l'entrave des naissaces ou le transfert forcé d'enfants.

 

Amnesty International nomme les responsables de ces crimes : les FSR et les milices arabes alliées.

« Pourquoi l’armée soudanaise, qui s’est cantonnée à quelques kilomètres de la ville, n’intervient pas pour mettre un terme aux massacres ? Une telle passivité ne serait-il pas une forme de complicité passive dans le nettoyage ethnique possiblement en cours à El-Geneina ? »

– Clément Boursin, responsable Programmes et plaidoyer Afrique à l’ACAT-France.

Déjà dévasté par une guerre civile particulièrement sanglante entre 2003 et 2020, le Darfour revit l’horreur. Il y a une vingtaine d’année, le général « Hemetti » avait pris la tête des miliciens arabes janjawid et mené une politique de la terre brûlée contre les populations noires du Darfour sur ordre du président de l’époque, Omar el-Béchir. La guerre avait fait environ 400 000 morts et près de 2,5 millions de déplacés selon les Nations unies. Un génocide selon la Cour pénale internationale, qui instruit encore le dossier.

En 2013, les FSR sont créées et nombre de Janjawid les intègrent. Aujourd’hui, ce sont ces paramilitaires qui massacrent à grande échelle des civils à El-Geneina  et ses environs. L’histoire est bouclée.

Dans une interview réalisée par le communicant Frédéric Encel dans la revue Politique internationale, le général « Hemetti » tentait encore de charmer les autorités françaises : « Nous souhaitons entretenir de bonnes relations avec Paris et développer une vraie coopération ».

L'ACAT-France exhorte le gouvernement français, dans le respect de ses engagements en matière de défense des droits humains et de lutte contre l’impunité, à ne pas tisser des relations avec des personnes qui pourrait être impliquées dans des crimes relevant du droit international.

Qu'est-ce qu'un crime contre l'humanité ?

Lire la réponse.

D'après l'article 7 du Statut de Rome de la Cour pénale internationale, on parle de « crime contre l'humanité » lorsque les faits sont commis « dans le cadre d'une attaque généralisée ou systématique lancée contre toute population civile et en connaissance de cette attaque ». Pour parler de « crime contre l'humanité », le droit international retient plusieurs critères :

  • des victimes civiles, excluant les forces armées ;
  • de multiples actes commis parmi une liste exhaustive, tels que le meurtre, la réduction en esclavage ou la déportation ;
  • la poursuite délibérée d'une telle attaque, dans le cadre d'une «  politique d'État ».

 

Dans une situation de suspicion de crimes contre l’humanité, la communauté internationale ne peut pas tergiverser ni répéter les erreurs du passé. Elle doit se montrer plus ferme vis-à-vis de ces deux généraux criminels qui continuent à recevoir des soutiens internationaux, notamment au niveau de la péninsule arabique.

Leurs parrains doivent mettre un terme à ces soutiens au risque d’être taxés de complicité dans les exactions commises. Tous les acteurs armés présents à El-Geneina et dans ses environs doivent mettre un terme aux violences ciblées et permettre à la population civile de quitter la zone librement et en toute sécurité.

Et la France ?

La France affirme sa solidarité avec le peuple soudanais en débloquant une aide de 41,3 millions d’euros pour répondre aux besoins humanitaires des populations au Soudan et des réfugiés soudanais dans les pays voisins.

Mais la France doit être plus ferme dans ses déclarations et accompagner ses paroles par des actes forts.

 « Nous assistons encore à un conflit irresponsable et insensé qui se déroule dans un contexte d’impunité totale » a rappelé le Haut-Commissaire des Nations unies aux droits de l’homme, Volker Türk devant le Conseil des droits de l’homme le 19 juin. « Le mépris flagrant du droit international humanitaire et des droits de l’homme, et l’indifférence totale pour la vie et la dignité humaines sont au cœur de ce conflit ».

La crise actuelle au Soudan prend en grande partie sa source dans l’impunité des responsables des exactions passées., Pour la contrer, la France doit appuyer des sanctions internationales à l’encontre d’Abdel Fattah al-Burhane et de Mohamed Hamdan Dagalo .

Les violations des droits humains en cours doivent être documentées par le Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme pour que tous les responsablespuissent être sanctionnés par la justice. L’appui diplomatique de la France et son aide technique et financière sont indispensables.

Concrètement, un couloir humanitaire sécurisé entre le Tchad et El-Geneina permettrait d’assurer en partie la sécurité des populations civiles qui fuient les violences commises dans la capitale du Darfour occidental. La France peut et doit y contribuer grâce au dispositif militaire déployé au Tchad. Une telle option doit être envisagée avec d’autres partenaires internationaux.

L’histoire ne peut pas se répéter au Darfour devant une communauté internationale incapable d’agir et d'arrêter les massacres.

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