Le 28 mai 2025, l’avocat et défenseur des droits humains Arnon Nampa a été contraint de comparaître devant le tribunal, les jambes entravées par des chaînes, alors que la loi interdit clairement de telles mesures. La Cour d’assises de Thaïlande l’a condamné à une peine supplémentaire de deux ans d’emprisonnement, en plus de ses condamnations précédentes, portant ainsi son total à 24 ans de prison. Cet incident s’est produit lors d’une audience visant à statuer sur l’une de ses affaires de lèse-majesté. Cette situation soulève une fois de plus des questions cruciales sur la liberté d’expression et les droits fondamentaux en Thaïlande, illustrant l’intensification de l’acharnement judiciaire dont il est victime depuis son arrestation à Bangkok, le 7 août 2020.
Un avocat engagé pour l’État de droit et la défense des libertés fondamentales en Thaïlande
Arnon Nampa est un avocat en droits humains et un militant actif pour la démocratie, qui joue un rôle de premier plan dans le mouvement pour la réforme politique et la liberté d’expression en Thaïlande. Bénévolement, il met son expertise juridique au service de Thai Lawyers for Human Rights (TLHR), une organisation fondée en 2014, peu après le coup d’État militaire du 22 mai, afin d’offrir une assistance juridique gratuite aux personnes accusées de « crime de lèse-majesté », aux défenseurs des droits humains (DDH) et à d’autres victimes de la loi martiale, souvent sans représentation légale. En reconnaissance de son engagement, TLHR a reçu un prix de l’ambassade de France à Bangkok en décembre 2014. Au fil des années, Arnon Nampa a défendu de nombreuses personnes, y compris des DDH emprisonnés. Son travail en faveur des droits humains lui a valu le Prix Front Line Defenders 2025, une distinction décernée aux défenseurs des droits humains en danger. Actuellement, il purge une peine de plus de 24 ans d’emprisonnement dans plusieurs affaires, la plupart étant liées à l’exercice pacifique de la liberté d’expression.
L’acharnement judiciaire : un obstacle à l’activisme pour la démocratie
Fervent défenseur de la démocratie en Thaïlande, Arnon Nampa a été arrêté le 7 août 2020 à son domicile à Bangkok. Cette arrestation a eu lieu après sa participation à un rassemblement pacifique le 18 juillet 2020, où il a exprimé des revendications pour des réformes politiques et une nouvelle constitution. Accusé de sédition et d’autres infractions, il a été confronté à une série de poursuites judiciaires qui ont abouti à plusieurs condamnations pour lèse-majesté, une loi qui interdit d’insulter la monarchie.
Au fil des mois, la situation d’Arnon Nampa s’est détériorée. Le 9 août 2020, il a été libéré sous caution, mais cette libération a été annulée le 3 septembre 2020, le tribunal ayant décidé de le maintenir en détention préventive. Malgré ses efforts pour obtenir une mise en liberté, avec au moins 41 demandes de caution rejetées en 2024, il a continué à être emprisonné. Le 27 mars 2025, il a été condamné à une peine supplémentaire de deux ans de prison pour un discours prononcé à Chiang Mai en novembre 2020, portant sa peine totale à 24 ans. Le 28 mai 2025, lors de sa comparution devant la Cour d’assises de Thaïlande, il a été contraint de se présenter les jambes entravées par des chaînes, un traitement qui constitue une violation des droits humains fondamentaux.
Jambes enchaînées lors d’un procès : la Thaïlande viole ses propres lois et ses engagements internationaux
Le traitement réservé à l’avocat Arnon Nampa lors de son procès le 28 mai 2025 constitue un acte inhumain et dégradant. Il est préoccupant que des mesures telles que la contrainte par des chaînes soient encore utilisées, alors que la loi thaïlandaise et les conventions internationales auxquelles la Thaïlande est partie interdisent explicitement de telles pratiques. L’utilisation de chaînes ou de toute autre mesure de contrainte dégradante lors de la détention ou de la comparution en justice viole la dignité humaine ainsi que les droits fondamentaux protégés par la Constitution thaïlandaise.
La Constitution de 2017, notamment son article 32, garantit que « nul ne peut être privé de sa liberté sauf dans les cas prévus par la loi, et toute personne privée de sa liberté doit être traitée avec humanité ». De plus, le Code de procédure pénale thaïlandais (articles 81 et suivants) encadre la détention en insistant sur le respect des droits de la personne.
La Thaïlande est signataire de plusieurs instruments internationaux, notamment la Convention contre la torture (ONU, 1984), ratifiée en 2013, la Déclaration universelle des droits de l’homme (1948), et le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (ONU, 1966), ratifié en 1996. Ces textes interdisent tous les traitements cruels, inhumains ou dégradants, soulignant que toute violation de ces principes constitue une atteinte aux droits fondamentaux.
Le traitement réservé à Arnon Nampa lors de son procès ne respecte ni la législation nationale ni les engagements internationaux de la Thaïlande, ce qui soulève de graves préoccupations quant au respect des droits humains dans le pays.
Contexte
La situation d’Arnon Nampa illustre de manière emblématique la répression à l’encontre des militants prodémocratie en Thaïlande, où les défenseurs des droits humains sont souvent ciblés en raison de leur travail légitime. Son cas met en lumière les nombreux défis auxquels sont confrontés ceux qui osent s’opposer à l’autorité et plaider en faveur d’un changement démocratique dans le pays.
L’article 112 du Code pénal : une loi sur la lèse-majesté utilisée pour étouffer toute voix contestataire
Les autorités thaïlandaises abusent depuis longtemps de la loi sur le crime de lèse-majesté, tant à l’encontre des citoyens thaïlandais que des étrangers. Considérée comme l’une des plus sévères au monde, elle a été détournée pour réprimer toute voix dissidente à des fins politiques. L’article 112 du Code pénal thaïlandais prévoit une peine pouvant aller jusqu’à 15 ans de prison, tandis que l’article 14 de la loi sur la cybercriminalité de 2007 (Computer Crime Act) impose une peine pouvant atteindre cinq ans d’emprisonnement.
Le nombre d’affaires liées au crime de lèse-majesté est en forte augmentation, et les personnes arrêtées, souvent pour avoir écrit ou partagé des informations sur les réseaux sociaux, sont fréquemment maintenues en détention prolongée sans possibilité de libération sous caution.
En 2020, alors que la Thaïlande, comme le reste du monde, est confrontée à la pandémie de Covid-19, un nouveau mouvement antimonarchique émerge, suivant l’intronisation d’un souverain controversé. Entre l’été 2020 et mars 2023, près de 1 800 personnes ont été inculpées pour des crimes dits « politiques », dont environ 230 pour des violations de la loi de lèse-majesté. En novembre 2020, cette loi est également invoquée contre les meneurs du mouvement étudiant réclamant notamment la réforme de la monarchie. Entre janvier et mars 2021, soixante personnes sont accusées de ce crime, y compris le milliardaire Thanathorn Juangroongruangkit, ancien chef du Parti du nouvel avenir, qui critique l’attribution exclusive à la société Siam Bioscience de l’habilitation à produire des vaccins contre le Covid-19. En mai 2024, l’activiste antimonarchique de 25 ans, Netiporn Sanesangkhom, décède d’un arrêt cardiaque alors qu’il était en détention provisoire, après avoir été accusé de lèse-majesté.
L’utilisation fréquente de cette loi a rendu difficile pour les autorités (police, justice) de remettre en question la légitimité des accusations de lèse-majesté, car elles craignent d’être elles-mêmes accusées de déloyauté envers la monarchie. Les poursuites visent autant les Thaïlandais dans leur pays que ceux qui sont exilés, s’appliquant sur l’ensemble du globe, y compris aux non-Thaïlandais. Plusieurs figures du monde politique ou de l’entreprise ont ainsi été condamnées et forcées de quitter le pays, comme l’entrepreneur Nopporn Suppipat, désormais réfugié politique en France.
Une utilisation abusive dénoncée par la société civile et la classe politique libérale
Depuis les grandes manifestations de 2020 et 2021, qui réclamaient une refonte en profondeur de la monarchie, plusieurs groupes de défense des droits humains ont dénoncé l’utilisation abusive de la loi. Plus de 270 personnes ont été poursuivies pour lèse-majesté, selon un collectif d’avocats thaïlandais.
En novembre 2021, les dirigeants du Pheu Thai, le parti majoritaire à l’Assemblée thaïlandaise, ont annoncé leur intention de débattre de l’usage de l’article 112, tant pour dénoncer les abus de pouvoir que pour protéger les opposants politiques. Le parti Move Forward (Aller de l’avant), qui a fait de la lutte contre l’article 112 son cheval de bataille, a relancé la contestation en plaçant la réforme du crime de lèse-majesté au cœur de son programme lors des élections législatives de 2023.
Le 31 janvier 2024, Pita Limjaroenrat, le dirigeant du parti Move Forward, qui avait terminé en tête des élections législatives de mai 2023 mais avait été écarté du pouvoir, a saisi le Conseil constitutionnel pour demander une réforme de cet article de loi. Le 7 août 2024, la Cour constitutionnelle thaïlandaise, réputée pour ses vues conservatrices, a estimé que la proposition de réforme du parti Move Forward présentait un risque de « séparer la monarchie de la nation thaïlandaise ». La Haute juridiction a également déclaré que le parti Move Forward avait tenté de renverser la monarchie durant sa campagne électorale en remettant en cause le crime de lèse-majesté dans son programme. En conséquence, Pita Limjaroenrat a été déclaré inéligible pour dix ans par la Cour constitutionnelle, et son parti a été dissous.
Appel à l’action
L’ACAT-France, ainsi que l’ensemble de son réseau de militants, lance un appel urgent au gouvernement thaïlandais pour qu’il respecte ses obligations internationales en libérant immédiatement et sans condition Maître Nampa. L’acharnement judiciaire dont il est victime, ainsi que le traitement inhumain et dégradant qu’il a subi lors de son procès le 28 mai 2025, portent gravement atteinte à ses libertés fondamentales. Nous dénonçons fermement l’utilisation abusive du crime de lèse-majesté par la Thaïlande pour étouffer les voix dissidentes. Nous exigeons la fin de l’enchaînement des prisonniers lors des audiences judiciaires, ainsi qu’une enquête indépendante et transparente sur le traitement d’Arnon Nampa.
Nous appelons Son Excellence Madame Paetongtarn Shinawatra, Première ministre de Thaïlande, à concrétiser la promesse qu’elle a faite lors de sa campagne électorale de 2023. Nous l’invitons à engager un débat parlementaire sur des mesures visant à empêcher l’utilisation des accusations de lèse-majesté comme outil politique, ainsi qu’à libérer les activistes et dissidents prodémocratie actuellement détenus dans ce contexte.