Torturé et détenu pour avoir dénoncé des policiers ?
Le 6 février 2015, deux policiers ont pointé une arme à feu sur Miguel Ángel Gaytan López alors qu’il sortait d’une épicerie. Miguel Ángel allègue qu’ils lui ont pris son portefeuille, ses papiers d’identité et ses cartes bancaires. Puis, ils l’ont conduit à un terrain vague où, l’accusant du vol d’un portable, ils lui ont infligé des chocs électriques, l’ont frappé et piétiné, et ont menacé de mort sa mère. L’interrogatoire s’est poursuivi au poste, sous les coups, les gifles. Un policier lui crachait également dessus. Ils lui ont dit que c’était en représailles de la plainte déposée contre leur unité par son père : le 29 décembre 2014, la police judiciaire se serait introduite chez eux sans mandat de perquisition et leur aurait dérobé de l’argent et des objets de valeur.
Le lendemain, conduit au ministère public, Miguel Ángel indique que l’agent chargé de sa déposition éteignait régulièrement la caméra pour faire pression sur lui. Son avocat commis d’office, arrivé plus tard, l’incitait également à se déclarer coupable. Au terme des 48 heures légales de garde-à-vue, qui devaient aboutir à sa libération, deux mandats d’arrêt pour vol qualifié sont tombés à son encontre, et il a été envoyé en prison, où il est toujours.
En octobre 2016, les services du procureur de l’État indiquent avoir ouvert une enquête pour torture. Cependant, il n’y a toujours aucune avancée connue.
Saisie en juin 2015 par le père de Miguel Ángel, la Commission étatique des droits de l’homme (CEDH) a rendu ses conclusions au Procureur général de Chihuahua le 2 mai 2018. Il en ressort que Miguel Ángel a été arrêté et détenu arbitrairement et que le Protocole d’Istanbul sollicité par la CEDH établit la vraisemblance des allégations de torture. La CEDH recommande d’accélérer l’enquête et de suspendre de leurs fonctions les policiers mis en cause. Cela apparaît d’autant plus urgent que Ricardo, frère de Miguel Ángel, et leurs parents dénoncent des menaces régulières à leur encontre.
Contexte
Les ravages de la « guerre contre le crime »
Depuis douze ans, le Mexique traverse une très grave « crise des droits de l'homme » avec un taux d'impunité de 98 %, selon les propres termes de l’ONU. Dans le cadre de la « guerre » gouvernementale contre la délinquance organisée, les forces de l’ordre et l’appareil judiciaire ont procédé à des arrestations et des condamnations massives en recourant à l’extorsion d’aveux et aux preuves illicites.
La torture, une pratique endémique
Policiers et militaires sont généralement responsables des épisodes de torture les plus sévères au cours des premières heures de l’arrestation, des transferts et de la détention. Dans de nombreuses affaires, des agents des ministères publics sont accusés d’avoir couvert des arrestations et des détentions arbitraires, torturé les détenus et fabriqué des preuves, procédé à des intimidations jusqu’à la présentation devant le juge. Plusieurs cas mettent en évidence la complicité de juges qui n’ordonnent pas d’enquête en cas d’allégations de tortures, d’avocats commis d’office (liés au ministère public) qui couvrent ou taisent les atteintes aux droits de leurs clients.
Ciudad Juárez, ville frontalière de tous les dangers
La ville de Ciudad Juárez est adossée à la ville de El Paso, côté américain, et forme avec cette dernière le noyau frontalier le plus peuplé du monde. Ciudad Juárez est une zone de passage pour les constants flux de migrants mexicains et centraméricains. De nombreux travailleurs précaires passent dans les quelque 300 maquiladoras (usines d’assemblage d’entreprises étrangères). La ville enregistre une très grande inégalité sociale et des conflits de territoires pour les divers trafics. A côté, Valle de Juárez, plus rurale et moins peuplée, est le lieu idéal pour passer la drogue si bien qu’on y enregistre les taux les plus élevés d’exécutions, de disparitions, de fosses clandestines et de déplacements forcés (40 % des habitants sont partis du fait de la violence).
Non seulement les autorités se rendent coupables de violations de droits humains et n’enquêtent pas, mais en plus elles continuent de criminaliser les victimes, de sous-entendre qu’elles sont liées à la délinquance, ce qui les isole du reste de la société et les rend plus vulnérables à de nouvelles violences.