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RWANDA : OUVERTURE POLITIQUE TROMPEUSE ?

Sans oublier son histoire douloureuse, le Rwanda se tourne vers l’avenir et aspire à être considéré comme un pays modèle. Mais qu’en est-il de la situation de la liberté d’expression, particulièrement celle des opposants politiques et des militants de la société civile ?
H10-FOCUS
Crédit : DR.
Le 28 / 03 / 2019

14 septembre 2018, Kigali. Le président de la République, Paul Kagame (ci-dessus), vient de prononcer une grâce présidentielle inattendue : plus de 2 000 détenus – dont certains incarcérés pour des raisons politiques – viennent de retrouver la liberté. Pour beaucoup, la décision présidentielle met fin à un long calvaire dans les geôles rwandaises. À l’image de Victoire Ingabire, soutenue par l’ACAT depuis plusieurs années. Cette ancienne candidate à l’élection présidentielle de 2010 avait été arrêtée en octobre 2010. Son tort : avoir demandé publiquement justice pour les massacres commis par le Front patriotique rwandais (FPR), le parti de Paul Kagame, sur les Hutus au Rwanda, puis au Zaïre (aujourd’hui République démocratique du Congo) à la suite du génocide des Tutsis en 1994. Après un procès entaché d’irrégularités, elle avait été condamnée en 2013 à 15 ans de prison pour« minimisation de génocide » et « conspiration contre les autorités par le terrorisme et la guerre », sur la base d’aveux de témoins extorqués sous la torture.

Heureux hasard ou pas, la grâce présidentielle est survenue alors que la diplomatie rwandaise s’activait en faveur de la candidature de la ministre rwandaise des Affaires étrangères, Louise Mushikiwabo, au poste de Secrétaire générale de l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF). Un poste qu’elle a finalement obtenu le 12 octobre 2018 avec le soutien quasi unanime des pays francophones. Tout porte à croire que la grâce de Paul Kagame répondait davantage à la nécessité d’envoyer un signal politique opportuniste sur la scène internationale, plutôt qu’aux aspirations démocratiques d’une société civile rwandaise que les pouvoirs publics cherchent à contrôler et à censurer depuis 25 ans. D’ailleurs, plusieurs opposants politiques continuent de croupir dans les prisons rwandaises. Parmi eux, Déogratias Mushayidi pour qui nous vous invitons à vous mobiliser dans ce numéro d’Humains.

Oubliés de tous

Déogratias Mushayidi a d’abord été assistant politique du Secrétaire général du FPR et a démissionné de son poste après avoir dénoncé les assassinats extrajudiciaires commis par l’armée du FPR. Ancien journaliste indépendant, président de l’association rwandaise des journalistes de 1996 à 2000, il a publiquement critiqué les dérives autoritaires du parti de Paul Kagame. Il a fini par fuir le Rwanda pour la Belgique en 2000, où il a obtenu le statut de réfugié politique. En Europe, il s’est mobilisé pour rassembler Hutus et Tutsis en vue d’un changement politique au Rwanda. C’est sûrement cette capacité de rassemblement qui en a fait, au fil du temps, l’un des opposants les plus gênants pour les autorités.

Il décide de revenir en Afrique en 2009. Devenu président du parti politique Pacte de défense du peuple (PDP) qu’il a lui-même fondé, Déogratias Mushayidi s’installe en Tanzanie. Ce pays d’Afrique de l’Est devient son port d’attache d’où il voyage dans les pays voisins du Rwanda pour rencontrer les diasporas, en utilisant un faux passeport burundais et sous un faux nom. Arrêté en Tanzanie avec un visa périmé, il est remis aux autorités rwandaises le 5 mars 2010 malgré son statut de réfugié censé le protéger. Déogratias Mushayidi est condamné à la prison à perpétuité le 17 septembre 2010, peine confirmée en appel par la Cour suprême en février 2012. Toute la procédure judiciaire intentée à son encontre aura été expéditive et arbitraire.

Empêcher toute opposition

L’histoire de cet opposant suffit à démontrer l’importance de continuer à surveiller la situation des droits humains au Rwanda. Pourtant, le pays semblait prêt à ouvrir une nouvelle page de son histoire lorsqu’en 1994, Paul Kagame, alors à la tête de la rébellion armée du FPR, mettait fin au génocide au cours duquel plus de 800 000 Tutsis avaient été exterminés entre avril et juillet. Croissance et diversification économique, respect et préservation de l’environnement, place des femmes dans la société, programmes innovants dans les secteurs de la santé et de l’éducation… En 25 ans, le Rwanda est parvenu à donner l’image d’un pays moderne, salué dans le monde entier et surtout en Afrique, où il est perçu comme un modèle de développement, de stabilité politique et sécuritaire.

Ce que l’on sait moins, c’est qu’il est en réalité difficile pour les opposants de se présenter contre Paul Kagame. Les périodes électorales sont des périodes sensibles, durant lesquelles le régime est particulièrement soucieux de contrôler ses adversaires. Les opposants sont intimidés, menacés ou font l’objet d’arrestations arbitraires et/ou de poursuites judiciaires iniques. Alors qu’en 2010, c’est Victoire Ingabire qui en a fait les frais, l’élection présidentielle de 2017 a vu l’arrestation de Diane Rwigara. D’abord empêchée de se présenter au scrutin pour de prétendues fausses signatures sur sa liste de parrainages, elle a été placée en détention provisoire en septembre 2017 pour « faux et usage de faux » et « incitation à l’insurrection ». Elle a finalement été acquittée le 5 octobre 2018 par la Haute Cour de la République, qui a levé toutes les charges retenues contre elle. Plus globalement, en 2017, la Commission électorale a rejeté les candidatures de la plupart des opposants, estimant qu’ils ne remplissaient pas les critères d’éligibilité.

Traquer jusqu'à l'étranger

En dehors des périodes électorales, les autorités n’hésitent pas à recourir aux disparitions forcées, phénomène devenu courant au Rwanda. Dernier exemple en date, la disparition forcée et présentée comme une évasion par les autorités de Boniface Twagirimana, numéro deux des Forces démocratiques unifiées (FDU-Inkingi), dans la nuit du 7 au 8 octobre 2018 alors qu’il était détenu au sein de la prison à Mpanga, dans le sud du pays. Selon le FDU-Inkingi, des détenus auraient affirmé que Boniface Twagirimana aurait été enlevé et emmené vers une destination inconnue à bord d’un véhicule de la prison d’État. Pour ceux qui choisissent l’exil, le fait d’être à l’étranger n’est pas une protection en soi. Au Kenya, en Ouganda, ou au Mozambique, des dizaines d’assassinats d’opposants ont été recensés. D’autres ont été enlevés et sont réapparus devant la justice rwandaise. Certains ne sont jamais réapparus et ont été mis dans la case des disparus forcés. Les opposants les plus virulents, notamment les membres du Congrès national rwandais (RNC) – des anciens compagnons de route de Paul Kagame ayant fait défection – ont été ciblés par ces attaques. L’ancien patron de l’armée, le général Kayumba Nyamwasa, a échappé à plusieurs tentatives d’assassinats en Afrique du Sud à partir de 2010. En 2014, à Johannesburg, l’ancien chef des services de renseignement, Patrick Karegeya, a été retrouvé étranglé dans une chambre d’hôtel. « Vous ne pouvez trahir le Rwanda en toute impunité. Tous, même ceux qui sont toujours en vie, en paieront le prix. Tous. C’est une question de temps », affirmait Paul Kagame en 2014, assumant la responsabilité de ces attaques au plus haut niveau de l’État.

Question de volonté

Les défenseurs des droits humains et les journalistes sont les autres acteurs de la société civile qui ont fini par payer le prix de leur engagement en faveur de la démocratie. Par peur, ils critiquent rarement le régime. Depuis 2013 et la prise de contrôle des instances de la Ligue rwandaise pour la promotion et la défense des droits de l’homme (LIPRODHOR) par des proches du régime, il n’y a plus d’association de défense des droits humains indépendante au Rwanda. Les médias indépendants qui se permettaient de sortir des lignes politiques officielles n’existent plus. Certains qui osaient encore faire retentir une voix dissidente ont été assassinés ou portés disparus. Les autres, eux, ont fui le pays.

Mais ce climat délétère ne semble pas éroder la détermination des cinq principaux partis d’opposition qui, réunis sur la plateforme P5, ont réclamé en novembre 2018 la mise en place d'un dialogue national avec le pouvoir, pour « essayer de trouver ensemble la solution aux problèmes qui gangrènent notre pays », selon les mots de Victoire Ingabire. « Il n'y a pas de développement durable s'il n'y a pas de démocratie », a-t-elle ajouté. Il est vrai que 25 ans après le génocide et malgré ses succès économiques, le Rwanda ne pourra pas continuer à se développer sans un minimum de démocratie. Jusqu’à ce jour, la stabilité et la sécurité dans le pays se sont en partie basées sur la peur du régime en place, l’autocensure des citoyens et les violences de l’État à l’encontre de ses opposants et détracteurs. Et s’il était temps de sortir de la répression ciblée et de permettre à tous les Rwandais de parler librement pour enfin renforcer la culture démocratique au Rwanda ? Les autorités rwandaises ont la possibilité de mettre définitivement fin aux dérives passées et de libérer les derniers prisonniers politiques. En ont-elles réellement la volonté ?

Par Clément Boursin, responsable des programmes Afrique à l'ACAT

 Article issu du n°10 d'Humains

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