CAMÉRAS MOBILES : POUR PROTÉGER QUI ?
Vous êtes (peut-être) filmé ! Expérimentées depuis 2013, les caméras mobiles individuelles portées par les forces de l’ordre leur permettent d’enregistrer leurs interventions. Elles sont utilisées par la police et la gendarmerie nationales, ainsi que par les policiers municipaux, dans le cadre d’une expérimentation menée entre 2016 et 2018. À titre expérimental également, les agents de la SNCF et de la RATP peuvent y avoir recours. L’usage des caméras mobiles individuelles est strictement encadré par le code de sécurité intérieure, qui précise à quelles fins elles peuvent être utilisées (voir encadré).
Qui allume la caméra ?
Pour la place Beauvau, le bilan de ces caméras-piétons est positif, en témoigne la volonté de Gérard Collomb, alors ministre de l’Intérieur, de porter à 10 000 le nombre de caméras en service d’ici à 2019. Ce « troisième œil » policier est présenté par les autorités comme permettant de pacifi er les relations entre les forces de l’ordre et la population, les personnes adoptant un comportement bien plus respectueux se sachant fi lmées. Les images issues des caméras-piétons ont également pu être utilisées dans le cadre de poursuites pour rebellion, outrage ou encore pour des violences sur dépositaire de l’autorité publique. De son côté, l’ACAT a constaté dans son rapport L’Ordre et la force, publié en 2016, que les affaires de violences policières ayant le plus de chances de prospérer en justice étaient celles dont la scène avait été fi lmée par une tierce personne.
Car, même lorsqu’il existe des témoins extérieurs, leurs déclarations ne sont souvent pas su santes pour prouver les faits allégués. À cet égard, la vidéo utilisée comme un élément de preuve tangible permettrait de faire la lumière sur le déroulé de certaines altercations. En France, aucune étude approfondie n’a été réalisée à ce jour sur leur e cacité pour réduire les violences, qu’elles soient le fait des personnes contrôlées ou d’agents des forces de l’ordre. Quant aux recherches qui ont pu être menées à l’étranger, et en particulier aux États-Unis, elles donnent des résultats contradictoires et leurs résultats sont difficilement transposables.
En effet, outre-Atlantique, ce dispositif a été introduit pour répondre aux violences policières et donc comme un outil de transparence et de protection des citoyens. Telle n’est pas la logique adoptée en France, où les caméras-piétons sont avant tout utilisées comme un outil au service des forces de l’ordre. Cette vision s’incarne par exemple dans les règles d’enregistrement, pour lesquelles il n’existe aucune doctrine unifi ée entre les polices nationale et municipale, la gendarmerie ou encore la SNCF. Un point commun cependant : les agents équipés décident seuls d’allumer ou non la caméra, alors qu’un citoyen ne peut exiger le déclenchement de l’enregistrement. Dès lors, rien n’empêche un agent d’éteindre l’appareil s’il se rend coupable d’un usage excessif de la force ou plus largement, d’un comportement inapproprié. Ce fl ou pourrait par ailleurs porter préjudice à un agent à qui l’on reprocherait de ne pas avoir utilisé sa caméra individuelle.
Seul cas dans lequel l’enregistrement devait être obligatoire, celui donné par la loi relative à l’égalité et à la citoyenneté adoptée fi n 2016. Celle-ci prévoyait l’expérimentation, pendant un an et dans 23 zones de sécurité prioritaires, de l’enregistrement systématique des contrôles d’identité, à défaut d’instaurer la remise d’un récépissé. En revanche, le non-déclenchement de la caméra par le représentant des forces de l’ordre n’avait aucune conséquence légale et ne justifi ait pas la remise d’un récépissé pour autant.
Consultation quasi-impossible
Les modalités de déclenchement de l’enregistrement ont inquiété le Comité de prévention de la torture lors de sa dernière visite en 2015. En effet, les autorités françaises justifi aient le fait de ne plus utiliser de pistolet à impulsion électrique muni d’une caméra se déclenchant automatiquement dès la mise en tension de l’arme, au motif que les forces de l’ordre seraient dorénavant équipées de caméras individuelles. Or, pour le Comité, « un tel système qui se déclenche automatiquement dès la sortie de l’arme de son étui ne peut totalement être substitué par une caméra embarquée dont le déclenchement dépend de la volonté de l’agent ».
Enfin, en ne prévoyant qu’un accès indirect à ces informations, c’est-à-dire une consultation par un magistrat de la Commission nationale d’informatique et des libertés (CNIL), le législateur a rendu presque impossible leur consultation. Cette commission examine en général les demandes qui lui sont adressées dans un délai de six mois. Or, c’est justement au bout de ce délai que les images enregistrées sont effacées automatiquement, sauf si une procédure est en cours.
Pour la CNIL, « une telle modalité d’accès aux données va à l’encontre [du code de sécurité intérieure], qui a pour objet de renforcer les liens de la population avec des forces de l’ordre en s’assurant notamment du respect par ces dernières des règles de déontologie qui leur incombent dans le cadre de leurs missions ». En l’état actuel, les modalités d’utilisation de ces caméras individuelles semblent avant tout servir les représentants des forces de l’ordre, au lieu d’être un outil au service de tous dans l’optique de restaurer la confi ance entre les forces de l’ordre et les citoyens. Il aurait pourtant été intéressant, à l’instar de ce qui a été mis en place aux ÉtatsUnis, d’avoir une vision plus ambitieuse de l’intérêt de cet outil. Une occasion manquée.
TEXTE : MARION GUÉMAS, responsable des programmes France (police, justice, prison) à l’ACAT