Une blague sur Boko Haram : 10 ans de prison pour trois lycéens
Cela va bientôt faire un an que Fomusoh Ivo Feh, Afuh Nivelle Nfor et Azah Levis Gob, trois amis lycéens, ont été condamnés à une peine de dix ans de prison ferme pour avoir partagé par SMS une blague sur le groupe islamiste nigérian Boko Haram.
En décembre 2014, Azah Levis Gob reçoit d’un ami le SMS suivant en anglais : « Boko Haram recrute des jeunes de 14 ans et plus. Condition de recrutement : avoir validé quatre matières et la religion au baccalauréat ». Il transfère la plaisanterie à son ami Fomusoh Ivo Feh qui, à son tour, l’envoie à Afuh Nivelle Nfor. Le SMS est découvert par un enseignant. Il alerte aussitôt la police. Les trois lycéens sont immédiatement arrêtés et écroués à la maison centrale de Yaoundé.
Le 2 novembre 2016, pratiquement deux ans après leur arrestation, les trois jeunes sont condamnés à dix ans de prison ferme en première instance par le tribunal militaire de Yaoundé pour « non dénonciation d’actes terroristes ».
Ils ont fait appel et depuis lors ils attendent que leur procès en appel soit ouvert. Mis au programme le 16 mars 2017, ce procès en appel est sans cesse renvoyé.
La sentence de dix ans de prison contre ces trois jeunes lycéens ne se justifie pas sur le plan légal : il a été clairement démontré, au cours du procès, que le SMS a été échangé dans un cadre amical, sans lien avec une organisation terroriste. La Cour d’appel doit réexaminer l’affaire en partant de zéro. Il faut mettre un terme à cet intolérable abus contre ces lycéens qui ont pratiquement perdu trois années de leur vie.
Contexte
Depuis 2014, la région de l’Extrême-Nord au Cameroun est en proie à un conflit, quand la secte islamiste nigériane Boko Haram a entrepris des attaques répétées contre les populations et les organes de l’État. Face à ces attaques, les autorités camerounaises ont déployé de plus en plus de soldats sur le terrain. Ces derniers ont répondu à Boko Haram par la force, y compris contre les populations considérées comme proches des islamistes. Depuis lors, la situation sécuritaire et celle des droits de l’homme se sont fortement dégradées dans le nord du Cameroun.
Une société civile intimidée qui s’autocensure
Depuis le début du conflit de basse intensité, plusieurs journalistes et défenseurs des droits de l’homme camerounais et étrangers ont été intimidés pour avoir été présents dans le Nord du Cameroun ou pour avoir voulu enquêter dans cette partie du territoire. Une autocensure est aujourd’hui pratiquée au sein de ces professions, d’autant plus que la législation nationale relative à la lutte contre le terrorisme s’est durcie avec une loi promulguée en décembre 2014 qui enfreint de nombreux droits et libertés fondamentales. Dorénavant, toute parole ou écrit public, considérés comme « apologie des actes de terrorisme », est passible de 15 à 20 ans d’emprisonnement et d’une amende de 25 à 50 millions de FCFA. Le problème c’est que la définition du « terrorisme » est très large et que le terme « apologie » n’est pas définie. Du coup, les défenseurs des droits de l’homme et les journalistes peuvent potentiellement être condamnés à de lourdes peines s’ils font leur travail.