Trois défenseurs condamnés à 10 ans de prison
Aimé Constant Gatore, Marius Nizigama et Emmanuel Nshimirimana - membres de l’ONG Paroles et actions pour le réveil des consciences et l’évolution des mentalités (PARCEM) - ont été condamnés à 10 ans de prison et 200 000 Francs burundais d’amende (environ 90 euros) pour « atteinte à la sécurité intérieure de l’État » par le tribunal de Grande instance de Muramvya, le 8 mars 2018. Les juges ont annoncé ce verdict alors qu’ils siégeaient dans une autre affaire. L’audience initialement prévue le 12 mars 2018 a été avancée quatre jours plus tôt sans que la défense ne soit informée. Par conséquent, les trois condamnés et leurs avocats n’étaient pas présents à l’audience du 8 mars. Ils ont été notifiés de la décision de condamnation le 9 mars 2018.
Messieurs Emmanuel Nshimirimana, Aimé Constant Gatore et Marius Nizigiyimana ont été arrêtés en juin 2017 dans la province de Muramvya, en possession de documents concernant l’organisation d’un atelier national sur les violations des droits de l’homme.
Les autorités les ont accusé d’avoir voulu inviter des membres de partis d’opposition en tant que lanceurs d’alerte pour dénoncer les violations des droits de l’homme commises dans le pays sans inviter aucun membre du parti au pouvoir, le Conseil national pour la défense de la démocratie-Forces de défense de la démocratie (CNDD-FDD). Pour l’autorité judiciaire, ces trois défenseurs des droits de l’homme, en voulant travailler uniquement avec l’opposition, auraient cherché à perturber la sécurité du pays.
Leur procès, pour « atteinte à la sécurité intérieure de l’État » s’est ouvert le 1er décembre 2017. Messieurs Emmanuel Nshimirimana, Aimé Constant Gatore et Marius Nizigiyimana ont été condamnés malgré l’absence de preuve tangible.
Cette condamnation est un nouveau signal adressé à la société civile burundaise. Dorénavant, le régime n’accepte plus la moindre activité indépendante. PARCEM était en effet la dernière ONG indépendante tolérée au Burundi.
Mobilisons-nous pour dénoncer cette mascarade de procès et appeler à un procès en appel équitable afin que ces trois défenseurs des droits de l’homme, condamnés pour leurs activités légitimes et pacifiques de défense des droits de l’homme, soient enfin libérés !
Contexte
En moins de trois années, le Burundi est retombé dans une crise politique majeure avec de multiples violations des droits de l’homme. Tout cela à cause du président Pierre Nkurunziza qui a voulu, avec son clan, garder à tout prix le pouvoir et ses prébendes : l’argent du pays, sa gestion et la mainmise politique sur l’appareil d’État, quitte à entraîner le pays dans le chaos. En 2005, le Parlement élit Pierre Nkurunziza, Président de la République. En 2010, cet ancien rebelle hutu est réélu face à une opposition désorganisée. En mars 2014, Pierre Nkurunziza tente de faire modifier la Constitution afin de supprimer la limitation des mandats présidentiels : les députés refusent. Face à ce camouflet, les conseillers de Pierre Nkurunziza prétendent que son premier mandat ne compte pas puisqu’il a été élu de manière indirecte par le Parlement. Le 25 avril 2015, Pierre Nkurunziza annonce qu'il se présente à l'élection présidentielle, pour un troisième mandat consécutif. Dès le lendemain, la jeunesse descend dans les rues de Bujumbura, pour dire « non » au troisième mandat. La police et la milice pro-gouvernementale « Imbonerakure » répriment. C’est le début des exactions : manifestants tués par balles, torturés, menacés… Tous les partis d’opposition comme la très grande majorité des organisations de la société civile appellent à la mobilisation citoyenne pacifique pour faire échouer cette dérive totalitaire. Conscient de la vitalité de la société civile dans ce combat pour le respect des Accords d’Arusha, le régime en place s’engage dans une politique d’affaiblissement délibéré de cette société civile. Il profite de l’échec du coup d’Etat du 13 mai 2015 et de la chasse aux militaires dissidents pour décimer la plupart des médias indépendants. La quasi-totalité des défenseurs des droits de l’homme sont contraints de quitter le pays. Face à cette dérive, la communauté internationale ne réussit pas à s’accorder sur les mesures à prendre pour arrêter Pierre Nkurunziza dans sa fuite en avant. Le scrutin présidentiel se tient le 21 juillet 2015. Le 20 août, Pierre Nkurunziza est investi pour un nouveau mandat. Petit à petit, les manifestants pacifiques écrasés par la répression sanglante quittent la rue et laissent la place à ceux qui ont des armes et des revendications plus belliqueuses contre le régime répressif. La violence augmente encore : assassinats ciblés, arrestations et tortures de détenus, attentats à la grenades etc. Après environ deux années de conflit de basse intensité, le régime, à force de répression et d’un contrôle draconien du territoire et de la société, réussi à circonscrire la menace militaire armée. Mais à quel prix ? Le pays est économiquement exsangue. Il n’existe plus de société civile indépendante. Une partie importante de la population vit dans la peur : environ 400 000 Burundais ont fui le pays. Aujourd’hui, le régime s’apprête à modifier la Constitution par référendum (mai 2018) afin de permettre à Pierre Nkurunziza de briguer un quatrième mandat en 2020.